Quels effets de l’agrivoltaïsme sur les cultures

Installer des dispositifs agrivoltaïques permet de coupler une production d’énergie et une production agricole. Mais ces installations pénalisent-elles la croissance des plantes ou les protègent-elles ?
Les systèmes agrovoltaïques apparaissent comme une opportunité pour  préserver les cultures, en particulier dans les secteurs où la réserve utile  du sol est très limitante

Quelles sont les incidences de l’agrivoltaïsme sur les cultures ? Ces dispositifs ne sont pas qualifiés d’ombrières par hasard : ils sont bien- sûr conçus pour produire de l'électricité, mais aussi pour protéger les cultures d’un excès d’ensoleillement. Dès le printemps, ils s’avèrent de précieux outils pour protéger les stades sensibles des cultures du froid et du gel. L’été, ils préservent des coups de chaud et limitent l’évapotranspiration des plantes. Sous les ombrières, les températures sont moins basses au printemps et l’été, les températures moyennes seraient inférieures de 1 à 5°C à celles mesurées en plein soleil. Or les températures excessives ont une incidence négative sur l’élaboration des composantes du rendement des céréales, en particulier du blé, de l’orge ou du triticale.

Limiter les excès thermiques

Les excès thermiques, même de courte durée, engendrent des troubles physiologiques qui provoquent des arrêts dans la croissance ou le développement de la plante, lesquels ont une incidence importante sur les potentiels de rendements des céréales. Deux stades des céréales sont particulièrement sensibles aux coups de chaud : la méiose et la floraison. Une température supérieure à 30°C durant la méiose peut ainsi faire chuter le nombre de grains par épi d’un blé tendre de 50%. à 35°C, la perte de nombre de grains est de 90 %. à floraison, la sensibilité du blé à des températures élevées, même sur une très courte période, est également importante. Les fortes températures bloquent la fécondation des grains : des températures de 30°C survenant deux à trois jours juste avant la floraison peuvent induire, par exemple, une stérilité des grains de l’ordre de 50 %.

Ces éléments ne prennent pas en compte le risque de déficit hydrique : en cas d’excès thermique couplé à une faible disponibilité en eau du sol, les plantes ferment leurs stomates pour diminuer leur transpiration. Ce phénomène ralentit la croissance de la plante et son potentiel de rendement, pour un effet encore plus dépressif sur les rendements.

L’occurrence des séquences climatiques supérieures à 30°C durant le remplissage des grains, au moment de la méiose, avant la floraison ou durant le remplissage des grains était jusqu'ici faible. Mais le changement climatique bouleverse cette réalité. Avec ses températures caniculaires, plusieurs fois supérieures à 35°C au nord de la Loire à ces stades, l'été 2022 est annoncé comme étant bientôt la norme. Plus les productions seront soumises à des stress, plus les synergies potentielles entre panneaux photovoltaïques et cultures seront importantes et réelles.

 

Multiplier les expérimentations de grandes tailles

Face à une telle montée des risques climatiques, les ombrières apparaissent comme une opportunité pour préserver les cultures, en particulier dans les secteurs où la réserve utile du sol est très limitante. Reste toutefois une limite importante : les données fiables publiées, pouvant être transposée sous nos latitudes, sont encore extrêmement rares. Une difficulté d'autant plus grande que la qualité de l'ombre varie selon le modèle d'ombrière, la dimension des panneaux, et leur densité.

« En général, quand on regarde l’état de l’art bibliographique, on observe des effets neutres à négatifs mais nous manquons d’expérimentations de grandes tailles, pluriannuelles pour mesurer l’impact sur la production agricole », résumait Nicolas Tonnet, responsable innovation et énergie dans les systèmes agricoles à l’ADEME, lors d’un colloque sur le sujet organisé par l’INRAE et l’ADEME le 2 mars dernier à Paris. Et les effets sur les grandes cultures manquent singulièrement. La plupart des publications concernent des cultures légumières.

Parmi les données disponibles en grandes cultures, citons une étude conduite en 2018 en Italie par l’Université de Piacenza pour REM-Tec, société pionnière de l’agrivoltaïsme en grandes cultures. Celle-ci montre que le rendement du maïs sous ses trackers ne varie pas significativement par rapport aux mêmes cultures cultivées en plein champ. Une simulation sur 39 ans montre même une augmentation moyenne de 4,3 % des rendements, qui permet à ses auteurs de conclure que l’agrivoltaïsme réduit la variabilité des rendements du maïs face aux conditions climatiques. Dans le détail, des pertes de rendement sont observées les bonnes années mais le potentiel est moins affecté que celui des cultures de plein champ lors des années chaudes. Les ombrières aplaniraient ainsi les variations de récolte. Ces données sont toutefois à prendre avec prudence, car elles n’ont été acquises que sur un site ; il est donc difficile voire dangereux de tenter de les extrapoler à la diversité des conditions de cultures que l’on rencontre en France.

 

Laisser passer la lumière mais pas trop

Une baisse du rayonnement limite la croissance des plantes et allonge leur cycle. Dès lors, quelle densité de panneaux privilégier pour produire de l'électricité sans nuire à la production agricole ? L'équation est dans toutes les têtes des acteurs de la filière. « Plus on laisse passer la lumière, moins le rendement est affecté », résume Jean-Charles Deswarte, ingénieur spécialiste en écophysiologie chez Arvalis. « Aujourd’hui, en fonction des années, du type de sol et des cultures, le rendement est alternativement limité par le rayonnement lumineux reçu ou par la disponibilité en eau. Couvrir les cultures avec des ombrières ne peut donc pas être systématiquement positif ou négatif ». Par ailleurs, les équipements proposés sont très variés : « En fonction de la densité des panneaux et de leur orientation, les développeurs laissent entre 40 et 80% de rayonnement passer au travers des ombrières ». Les trackers, qui suivent la rotation du soleil pour capter le maximum d’énergie, présentent l’avantage de pouvoir être positionnés à la verticale lorsque les besoins en rayonnement des plantes sont élevés, via des outils de suivi de la croissance des plantes. Mais l’évolution technologique des panneaux permet aussi d’utiliser des panneaux fixes, moins nombreux, pour une puissance équivalente. Pour les grandes cultures, l’essentiel, après la rentabilité et la fiabilité des installations, est de s’assurer que ces dispositifs permettent le passage de tracteurs et autres engins agricoles.

La modélisation pour prévoir les effets de l’ombrage

D’autres travaux tendent à confirmer l’intérêt de l’agrivoltaïsme, telle l’étude conduite en France par le cabinet Agrisoleo en collaboration avec Acte Agri Plus. Cette simulation montre que la quantité d’eau dans le sol est supérieure en zone agrivoltaïque par rapport au témoin, permettant ainsi aux plantes de mieux résister à un stress hydrique. « Grâce à notre logiciel, énergéticiens et agriculteurs peuvent estimer les bénéfices agronomiques, opérer les meilleurs choix de structure, de dimensionnement. De plus, les services instructeurs peuvent évaluer la qualité des projets », explique Stéphane Héraud, fondateur d'Agrisoleo. « C'est pourquoi nous avons développé un logiciel qui simule le microclimat sous les panneaux, en quantifiant le rayonnement, l'humidité du sol et la température aux différents stades de la culture. Les résultats permettent d'estimer la protection apportée au regard du changement climatique et les rendements futurs », explique Stéphane Héraud, fondateur d’Agrisoleo. « Nous quantifions le rayonnement, l’humidité du sol et la température aux différents stades de la culture au regard du dimensionnement, de l’installation de la taille des panneaux et de la structure des installations, fixes ou mobiles ». En réduisant le rayonnement, l’agrivoltaïsme tend à allonger les cycles culturaux. Pour y remédier, les porteurs de projet prévoient de décaler les dates de semis et sélectionnent des variétés plus précoces, en particulier pour le maïs.

Au-delà des simulations, l'INRAE conduit des travaux spécifiques sur les interactions entre plantes et lumière. Sept thèses sont actuellement conduites sur l’agrivoltaïsme. L’une d’entre elles conduite par Sylvain Edouard, ingénieur doctorant chez EDF, retient l'attention. L'étude compare la production de luzerne sous des panneaux pilotés, sous ombrage et en plein champ, sur le site EDF des Renardières (Seine-et-Marne), entre 2020 et 2022. Les premiers résultats, dévoilés le 2 mars dernier, sont contrastés et montrent la nécessité de disposer de plusieurs années d'expériences pour tirer toute conclusion sur l'impact de ces dispositifs sur les cultures. Pour 2020, les rendements ont diminué de 21% par rapport au témoin mais les panneaux ont été laissés fixes. Pour 2021, les rendements ont augmenté de plus de 40% mais les panneaux étaient mobiles, favorisant selon les stades la production d'électricité ou la croissance des plantes (solartracking et antitracking). L'année 2022, avec son ensoleillement maximal, pourrait jouer les arbitres. « Notre objectif est de déterminer les conditions de synergie entre production agricole et production électrique. Il ne s'agit pas de sacrifier la production agricole au détriment de la production électrique », rappelle Didier Combes, ingénieur de recherche à l'INRAE de Lusignan.

Mais pour identifier les cultures à implanter préférentiellement sous différents types de panneaux, et selon des contextes pédoclimatiques variés, il faudrait mettre en place de multiples expérimentations avec différentes cultures, dans toute la France. Plutôt que de bâtir un tel dispositif, complexe et coûteux, l'INRAE crée un pôle national de recherche sur l'agri-photovoltaïsme, qui s'appuiera sur les dispositifs existants portés par différents opérateurs dans toute la France. « Ce projet implique que des concurrents partagent leurs données et cela ne va pas toujours de soi », précise Didier Combes. « Pour les convaincre, nous rappelons leur intérêt commun à adopter sur une analyse scientifique puissante, qui s'appuye sur le plus de données possibles, pour alimenter une vaste base de données permettant d'estimer les systèmes à privilégier », détaille le chercheur. Un autre projet collectif, l'Observatoire National de l'Agrivoltaïsme, porté par les chambres d'Agriculture, l'ADEME et l'INRAE  vise un objectif similaire d'acquisition de références technico-économiques, preuve de la nécessité de rassembler les données sur le sujet. « Il faut construire le savoir sur l'agrivoltaïsme en multipliant les sites, les cultures, les espèces et les technologies », résume Pierre Knoche, directeur opérationnel de REM-Tec. Dans cet objectif, et malgré les inconnues sur la production agricole, les chercheurs ont besoin d'agriculteurs qui osent innover et investir dans ces dispositifs, dans toute la France et avec différentes technologies.

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