Fertilisation azotée du colza : pas de remise en cause du raisonnement habituel en 2022
Depuis septembre 2021, le prix des engrais est devenu astronomique. À cela des causes multiples. Ainsi, le prix du gaz naturel, à partir duquel est fabriqué l’ammoniac de certains fertilisants, connait une forte hausse : la tonne d'ammonitrate 33,5 % coûtait ainsi plus de 750 € en septembre 2021, contre 300 € environ au printemps précédent, tandis que le prix de l’urée a quadruplé dans le même temps pour atteindre 805 €/t ! En outre, la pénurie d’engrais guette ; or la production nationale d’engrais azotés ne couvre qu’un tiers des besoins de l’agriculture française.
Au vu de ce contexte, ne serait-il pas judicieux d’économiser sur l’azote à apporter au colza ? Pas facile de décider a priori, d’autant qu’en parallèle, les prix de vente du colza ont fortement progressé pour la récolte 2021 mais aussi pour la prochaine récolte 2022. Ainsi, pour la récolte 2022, les cotations du colza sur le marché à terme dépassent 550 €/t (585 €/t à échéance août 2022 sur le marché à terme Euronext au 7 janvier 2022, par exemple) alors que les cotations sur la récolte 2021 ont dépassé 750 €/t début 2022.
Pour la campagne de commercialisation 2021-2022, la raison principale de cette flambée des prix est la baisse d’environ 30 % par rapport à 2020 de la production de canola (le colza de printemps) du Canada, principal exportateur sur le marché mondial, ainsi qu’une baisse de la production d’huile de palme, première huile produite au niveau mondial. De plus, la demande en huile de colza et, dans une moindre mesure, en tourteau est dynamique au niveau mondial, portée par les différents débouchés (alimentation humaine, animale et biodiesel).
Comparer les doses optimales technique et économique
Cinquante-deux essais « Courbes de réponse du rendement à la dose d’azote » conduits par Terres Inovia permettent d’évaluer la dose optimale économique pour le colza tenant compte du contexte de hausse des prix. L’ammonitrate, moins sujet à la volatilisation ammoniacale que d’autres engrais azotés, a été utilisé dans ces essais.
Pour chaque essai, la « dose optimale économique » a été calculée, c’est-à-dire la dose à partir de laquelle l’ajout d’une unité d’azote (exprimé en € /ha) ne permet plus de gagner l’équivalent (€/ha) en quantité supplémentaire de graines de colza. Une « dose optimale technique » a également été calculée : dans cette étude : c’est la dose d’azote fournie par l’outil gratuit « Réglette azote colza ® » (encadré), en prenant comme objectif de rendement la valeur maximale de rendement atteinte dans chaque essai ; il s’agit donc ici d’un rendement réalisé et non pas prévisionnel.
À propos de l’outil Réglette azote colzaLa Réglette azote colza est un outil gratuit pour calculer la dose prévisionnelle d’azote à apporter au colza mis à disposition par Terre Inovia - mais il en existe bien d’autres. Elle est disponible sur http://regletteazotecolza.fr.
Le choix des paramètres de la Réglette azote Colza® a été réalisé sur la base d’une évaluation multicritères (agronomique, économique et environnementale) mettant les critères économiques en avant. Terres Inovia a retenu les paramètres qui maximisent le résultat économique au-delà d’une situation moyenne, dans un contexte où la variabilité entre essais n’est pas négligeable.
Ceci explique que dans le contexte de prix des années 2015 à 2021 (scénarios 1, 2 et 3), la dose optimale économique soit en moyenne un peu plus faible que la dose technique fournie par la Réglette azote colza.
Le tableau 1 ci-dessous indique les écarts moyens entre la dose optimale économique et la dose optimale technique, pour différents couples « Prix des graines » (en colonne) et « Prix de l’azote » (en ligne).
Les scénarios 1, 2, 3 et 4 correspondent aux couples de prix constatés ces dernières campagnes. Dans ces situations, la dose économique reste proche de la dose technique. Il n’est alors pas judicieux de vouloir diminuer (ou augmenter) les doses d’azote, malgré la flambée des prix des engrais et du colza. Les très hauts niveaux de prix de graines actuels (jusqu’à 750 €/t) sont associés aux graines de la campagne 2021. Pour les graines de la campagne 2022, les cotations actuelles sont proches des prix utilisés pour les scénarios 4 et 5 (550 €/t). Ces scénarios sont donc extrapolables à la prochaine campagne, sous réserve que le prix de l’azote ne dépasse pas largement 2 € l’unité d’azote.
Lorsque l’on se situe en bas du tableau (zone orange foncé), avec un ratio « Prix colza (€/t) sur Prix azote (€/100 kg N) » inférieur à 2,7, des économies d’au moins 20 kg N/ha peuvent s'envisager sans pénaliser la performance économique (scénario 5).
Et en cas de réduction « forcée » de la dose d’azote ?
Les circonstances peuvent amener un producteur de colza à diminuer les apports d’engrais azotés - qu’il y ait une pénurie d’engrais, ou parce que le type d’engrais proposé par le distributeur (par exemple, des engrais NS ou NPK ou autre) ne lui convient pas. Les pertes de rendement à attendre en baissant la dose d’azote par rapport à la dose optimale permettant d’atteindre un rendement maximal sont indiquées dans le tableau 2.
En cas de manque d’engrais azoté dans les exploitations, les réductions seront à privilégier dans les parcelles de colza présentant des doses optimales techniques faibles : gros colzas, fournitures du sol en azote élevées, apports organiques, objectif de rendement faible...
Dès à présent, il convient de porter une attention toute particulière aux « facteurs plantes », qui influencent fortement le résultat du calcul de la dose prévisionnelle d’azote. Il faut ainsi estimer au plus juste la quantité d’azote absorbée par les plantes à l’ouverture du bilan : par des pesées directes de biomasse du colza en entrée et en sortie d’hiver, et/ou en recourant à des outils d’estimation indirecte via des images satellites (Farmstar, Agroptimize…) ou de drones, ou des outils portables (N-Pilot, ImageIT…). Éviter la méthode visuelle, notamment parce qu’elle est peu fiable au-delà de 1kg/m² de poids frais. D’autre part, viser un objectif de rendement raisonnable.
Dans tous les cas (engrais suffisamment disponible ou pas), il faudra veiller à maximiser l’efficacité des apports d’azote en les synchronisant avec les besoins de la culture. En particulier, ne pas effectuer d’apport précoce avant le décollement de la tige (stade C2) sur des colzas moyens à gros, car ces colzas ont des réserves suffisantes.
Pour accompagner la reprise des « petits » colzas (peu de réserve d’azote dans les plantes), un premier apport précoce d’environ 40 à 60 unités d’azote uniquement peut être effectué à la reprise de la végétation (stade C1-C2). Attention, toutefois, car la capacité d’absorption initiale de ces colzas est faible en sortie hiver : un risque de lessivage de l’azote apporté au-delà des capacités d’absorption racinaire n’est pas à exclure.
EN SAVOIR PLUS Pour des informations complémentaires, visionnez la vidéo du webinaire « Comment fertiliser son colza en 2022 ? » des Rencontres techniques de Terres Inovia : http://arvalis.info/2ay.
Jean Lieven - j.lieven@terresinovia.fr
Luc Champolivier - l.champolivier@terresinovia.fr
Vincent Lecomte - v.lecomte@terresinovia.fr
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