Face aux stress abiotiques : la sélection comme solution
Pour faire face au changement climatique, les filières ont un atout : la recherche génétique. L’enjeu est de trouver des variétés à haut potentiel, capables de s’adapter aux fortes variations de températures, et qui parviendront à accéder à l’eau et à l’azote même lorsque les disponibilités sont faibles.
En somme, des variétés qui continueront à produire malgré les stress climatiques. Une chimère ? Non, à en croire les chercheurs. Les réseaux d’essais de post-inscription nous permettent d’évaluer de nouvelles variétés de blé en termes de rendement, de qualité, de résistance aux maladies…
La diversité des contextes pédoclimatiques représentée par ces réseaux pourrait également permettre d’étudier leur adaptation aux stress abiotiques multiples. La campagne 2022 a ainsi permis de comparer les écarts de performance selon les sites d’essais. Arvalis a caractérisé le stress hydrique de 84 essais de blé tendre sur la France entière avec des variables agroclimatiques. Pour la moitié d’entre eux, l’intensité du déficit hydrique subi explique les rendements obtenus : plus le déficit est important, plus la perte de rendement est conséquente. Côté variétés, si on observe bien une variabilité de réponse au stress hydrique (certaines perdent moins de rendement que d’autres), ces différences ne sont pas statistiquement significatives en 2022 à l’échelle du réseau étudié. Ces travaux devront être poursuivis dans les prochaines campagnes pour gagner en robustesse sur ces analyses et diversifier les scénarios climatiques.
Des variétés qui préservent leur nombre de grains
L’effet des stress hydriques est étudié de près par Arvalis. Pour comprendre les mécanismes d’adaptation des plantes au manque d’eau, les ingénieurs regardent leurs réponses physiologiques. Les stress abiotiques ont des impacts sur la croissance des grains, la vitesse de remplissage des grains, l’architecture des racines et plus généralement sur le développement végétatif de la culture. Les plantes sont plus petites et la sénescence est prématurée.
Plusieurs études dans lesquelles Arvalis était impliqué mettent en évidence des comportements variétaux à même de mieux résister à des coups de chaud ou encore des manques d’eau intenses et prolongés, en particulier sur maïs. Ainsi, au sein du projet AMAIZING, une étude sur le progrès génétique du maïs a chiffré un gain de productivité moyen de 1 q/ha/an sur un réseau d’essai européen comparant des hybrides inscrits entre 1950 et 2015. Autre constat important : dans les essais en situation de stress hydrique voire thermique, les nouvelles variétés ont également permis des gains de rendement, ce qui prouve qu’elles sont plus performantes face aux stress abiotiques.
D’autres expérimentations du projet Caravage, hébergées sous la plateforme PhénoField®, ont évalué les stratégies d’adaptation des maïs au stress hydrique. Dans ce projet, différentes variétés ont été placées en situation de stress hydrique sur la période encadrant la floraison du maïs grâce aux toits roulants de PhénoField®. Deux types de mécanismes ont été distingués correspondant à deux types de variétés. Très tôt dans le cycle, les ingénieurs ont repéré grâce à des suivis par capteurs que l’un des types variétaux (nommé A) ferme ses stomates et réduit sa fraction de vert quand l’autre type variétal (B), malgré le stress, continue sa croissance. Au regard du rendement, les données collectées à la récolte par Caravage montrent que dans ce cas de restriction hydrique, le nombre de grains chute nettement plus pour le groupe variétal B que pour le groupe variétal A. Ainsi, pour une variété représentative du groupe B, le nombre de grains décroche de 28%, contre un gain de 7% pour une variété représentative du groupe A (figure 1).
Par contre, ces deux variétés à réponse contrastée voient leur rendement chuter, de 16 % pour la variété du groupe A et 21% pour la variété du groupe B (figure 1). Ceci est dû à des phénomènes de compensation entre le poids des grains (PMG) et le nombre de grains : le groupe A a préservé sa croissance pendant le stress, assurant un bon nombre de grains mais peu de réserves pour les remplir ; quand le groupe B a lui maintenu sa croissance malgré le stress hydrique précoce, lui assurant un meilleur remplissage de ses grains et donc un meilleur PMG. Si ces groupes montrent des stratégies différentes, c’est finalement la performance générale de la variété qui reste à retenir. Dans ce cas les meilleurs rendements étaient retrouvés avec la variété représentative du groupe B, bien que ce groupe aitsubi les plus grandes pertes comparées au traitement bien irrigué (figure 1).
Ces écarts confirment que des types variétaux sont plus à même de résister à des stress hydriques autour de la floraison, bien que les deux aient besoin d’eau. Un stress n’est jamais gratuit pour une plante. Il va forcément avoir un impact sur les rendements.
Comprendre comment les plantes s’adaptent
Identifier les variétés qui résistent le mieux à un manque d’eau, c’est également l’un des objectifs du projet européen BreedWheat, qui portait sur le blé tendre. Étudiant les mécanismes d’adaptation des plantes à différents scénarios de stress abiotiques distincts, ce projet s’est appuyé sur un panel de 210 variétés de blé et un réseau d’essais dense, entre 2012 et 2014. Au passage, il montre les possibilités de sélection au regard de la diversité génétique mondiale (figure 2) peu exploitée à ce jour au niveau européen.
Un autre projet, baptisé HeatWheat, a étudié l’impact du stress thermique sur le remplissage du blé tendre et met en évidence des pertes variant de 10 à 30% sur le PMG selon les variétés. Ces écarts de PMG entre des conditions thermiques stressantes et non stressantes sont en partie expliqués par l’expression d’une région du génome à effet quantitatif (ou QTL). Mais le déterminisme génétique de la tolérance aux stress abiotiques est complexe et polygénique. Le bénéfice d’un QTL observé dans une situation peut devenir nul ou négatif dans une autre.
À ce stade, il reste encore difficile d’intégrer ces résultats dans les variétés de demain. Mais pourquoi pas d’après-demain ? En tout cas, les chercheurs y comptent bien. Arvalis multiplie les essais dans des contextes pédoclimatiques différents afin de comprendre les fonctions des gènes impliqués dans les mécanismes de tolérance. À ce stade, il reste encore difficile d’intégrer ces résultats dans les variétés de demain. Mais pourquoi pas après demain ?
Evolution des rendements : entre stagnation et plafonnement
Depuis 1996, l’augmentation des rendements des cultures est sérieusement ralentie. Mais le progrès génétique est toujours présent, y compris sous contrainte hydrique (figure 3). Avant 1996, le rendement du blé tendre progressait de 1,1 à 1,3 q/ha/an. Depuis 1996, il n’est que de 0,1 q/ha/an. Pour le maïs grain, avant 1996, les rendements évoluaient entre 0,8 et 1 q/ha/an. Depuis, ils ne dépassent pas 0,1 à 0,7 q/ha/an. « On parle de plafonnement des rendements pour le blé et d’un ralentissement en maïs », précise élodie Quemener, ingénieure régionale ARVALIS en Bretagne. Doit-on voir déjà là l’effet du changement climatique ? Pas seulement. Les évolutions de pratiques - et les problèmes de gestion des adventices - expliqueraient également ce changement de pied. Autre explication avancée par les experts : la productivité n’est pas le seul critère recherché, la sélection variétale a aussi privilégié certains caractères qualitatifs des céréales, avec succès d’ailleurs. « Sur quinze ans de progrès génétique, on voit une très nette évolution de la tolérance des variétés à la septoriose. 40 à 50% des nouvelles variétés ont des notes de tolérance supérieures à 6,5. De même, la majorité des variétés de blé tendre sont désormais des variétés BPS », abonde élodie Quemener.
Trois questions à Yann Manès, responsable stratégie céréales et collaboration extérieure chez Syngenta.
Vers des variétés qui cumulent rendement et stabilité
Disposer de variétés productives et stables malgré les aléas et un climat plus continental n’est pas illusoire. Les sélectionneurs s’activent pour cela, comme en témoigne Yann Manès à l’occasion de la Journée de l’Innovation de Tours, le 25 janvier dernier.
Face au changement climatique, comment vos équipes de sélectionneurs adaptent-elles leurs travaux ?
Lorsqu’une variété est commercialisée, nous disposons de 5 à 7 ans d’essais et ce recul nous permet de mesurer les variations d’une année par rapport à l’autre. Nous recherchons des variétés qui sont à la fois productives et stables. Chaque agriculteur voudrait une variété capable à la fois de produire beaucoup les bonnes années et d’encaisser les chocs climatiques en année dure.
Ces deux objectifs ne sont-ils pas contradictoires ?
Pas forcément. Nous disposons d’outils puissants et la sélection peut arriver à cumuler ces deux facteurs. Sur un panel génétique de blé tendre, nous observons une bonne corrélation des rendements en conditions favorables et en conditions défavorables. Cela incite à être optimiste. Quand on regarde le maïs, le tournesol ou le colza, l’hétérosis1 a permis une augmentation du potentiel de rendement et de sa stabilité. Nous continuons à travailler cet axe-là.
Vus les hivers de plus en plus doux que nous observons et nos connaissances sur la phénologie du blé tendre, je plaide pour sélectionner des variétés avec des besoins de vernalisation importants. Cela permettra d’éviter un départ à montaison trop précoce avec des cultures qui seraient exposées à des gels tardifs survenant en cours de montaison.
Pourquoi ne pas semer des blés cultivés dans les pays méditerranéens ?
Si on fait ça, il faut accepter des rendements inférieurs de 20 à 30 % à nos potentiels ! En revanche, on peut aller chercher des gènes originaux identifiés dans des variétés cultivées dans des environnements très différents des nôtres et les introduire dans du matériel élite.
(1) Vigueur améliorée d’une espèce obtenue par croisement ou hybridation.
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