Colza en agriculture bio : la réussite est possible à certaines conditions

Trois ans d’essais menés par Terre Inovia dans le Sud-Ouest révèlent les déterminants d’une production rentable du colza conduit en bio. Une bonne implantation est notamment essentielle.
Comment assurer la productivité d'un colza conduit en bio

La sole nationale de colza bio s’élève à près de 3 700 hectares pour la campagne 2018 : de faibles surfaces mais en forte progression, puisqu’elles représentaient moins de 1 000 ha en 2011 et à peine plus de 1700 ha en 2015.

C’est aujourd’hui dans le Sud-Ouest que les surfaces sont les plus élevées, avec en tête le département du Gers et ses 370 ha en 2018. Les Landes et l’Aveyron viennent compléter ce podium. Ces départements ne sont pas des bassins historiques de la production de colza en conventionnel, aussi la pression des bioagresseurs associés à cette culture (altises, charançons du bourgeon terminal, sclérotinia…) est moins forte. Cependant, les risques existent tout de même et nécessitent une vigilance particulière.

Ces faibles surfaces rendent difficiles les estimations de rendements moyens, d’autant plus que les variations peuvent être importantes selon l’année et la région : de la perte totale de la culture dans quelques cas à plus de 35 q/ha dans les meilleures situations. Des rendements de l’ordre de 15 à 20 q/ha sont typiquement obtenus chez les producteurs du Gers, et de 20-25 q/ha dans les Landes ou l’Aveyron.

Azote, phosphore et soufre : des besoins à ne pas négliger
Les besoins en azote du colza sont élevés, de l’ordre de 7 unités d’azote par quintal produit. Par conséquent, privilégiez les parcelles à fortes disponibilités et les précédents à base de légumineuses. La fertilisation se joue principalement au semis. L’objectif est d’apporter une fraction d’azote qui sera rapidement assimilable par le colza, ainsi que du phosphore, afin de favoriser une croissance forte de la culture qui concurrencera ainsi rapidement la flore adventice, en particulier les levées sur le rang.

Toutefois, la stratégie d’un apport unique en début de cycle peut conduire à une faim d’azote au printemps ; ce fut le cas sur nos essais en 2017 et 2018. Les travaux en cours évaluent l’intérêt d’un fractionnement de l’apport : 70 % d’azote à l’automne, puis 30 % en sortie d’hiver. La principale limite de l’apport en sortie d’hiver est si la minéralisation sera suffisamment rapide pour rendre l’azote disponible lorsque la plante en aura le plus besoin, en particulier pour la production de la tige. Avec une fertilisation de 100 à 120 unités d’azote, un potentiel de rendement de 20 q/ha peut être largement atteint et même dépassé selon les niveaux de reliquat et de minéralisation.
Le colza est très exigeant en phosphore. Prévoir un apport de 70 unités, à ajuster selon la teneur du sol. Autre élément essentiel à la production de colza, le souffre. Un apport de l’ordre de 70 unités est fortement conseillé pour combler les exportations de la culture.

Pour sécuriser l’implantation, il faut combiner tous les leviers

Terres Inovia conduit depuis 2017 des essais dans le Sud-Ouest visant à sécuriser les itinéraires techniques de production du colza bio. Ainsi la mise en place de cette culture et la gestion des risques associés sont aujourd’hui mieux appréhendés. Plusieurs leviers ont été testés, seuls ou en combinaison : date de semis, fertilisation organique et couvert associé.

L’implantation de la culture de colza est la phase déterminante pour la réussite de la culture. Face au risque majeur que représentent les altises d’hiver adultes, le colza produit en agriculture biologique ne peut compter que sur lui-même pour faire face au ravageur. Par conséquent, il est indispensable de rechercher une levée précoce, au plus tard début septembre, afin que le colza ait atteint quatre feuilles avant l’arrivée des altises. Les essais montrent une réduction des attaques d’environ 50 %, à l’avantage des semis autour de fin août par rapport à des semis début septembre.
Concernant le rendement (figure 1), pour la campagne de récolte 2018, un semis le 24 août a accéléré l’installation de la culture par rapport au semis du 13 septembre (figure 1-B). Ce semis précoce a favorisé un meilleur développement racinaire et de la biomasse. Les apports organiques ont été d’autant mieux valorisés (encadré). Sur les deux années d’essais, le rendement final apparaît comme étant corrélé à la biomasse en entrée d’hiver.

Néanmoins, les résultats satisfaisants obtenus, y compris avec le semis plus tardif, sont également liés à l’utilisation de l’irrigation. Celle-ci a assuré une levée aux dates visées, notamment pour la première date de semis qui a nécessité une irrigation de 10 mm sur les deux campagnes car aucune pluie n’était survenue sur la période avant et après le semis. En l’absence d’irrigation, il faut envisager de semer beaucoup plus tôt, dès qu’une pluie est annoncée, afin de sécuriser la levée. Ainsi, en 2019, la date de semis optimale se situait autour du 15 août : l’implantation a bénéficié des pluies du 19 août (suivies d’un mois sans pluie).

La réussite de cette phase d’installation, combinée aux conditions poussantes du Sud-Ouest et à la mise à disposition des principaux éléments minéraux (dont l’azote et le phosphore) assureront une croissance régulière du colza à l’automne. Ainsi, le colza pourra mieux supporter les attaques de larves d’altises, mais aussi et surtout de charançons du bourgeon terminal dans certains secteurs.

Attention au salissement précoce, en particulier par la flore estivale
La connaissance de la flore adventice typique de la parcelle à semer est indispensable en bio. La stratégie d’implantation doit être adaptée au risque de salissement précoce de celle-ci, en particulier par la flore estivale et, a fortiori, par une flore difficile. Ainsi l’essai conduit en 2017 a fait l’objet d’une forte infestation précoce de datura stramoine ; la parcelle avait déjà subi une pression datura l’année précédente. Dans ce cas-là, le décalage du semis à début septembre a permis de réaliser des faux-semis supplémentaires et s’est avéré la stratégie la plus payante (figure 1-A). L’absence de faux-semis sur la première date de semis a contribué à des infestations importantes qui ont pénalisé fortement l’installation du colza et se sont traduits par une diminution de la biomasse produite en sortie d’hiver et, par suite, par une perte de rendement.

L’avantage, dans ce cas, était à la deuxième date de semis, plus favorable à la biomasse et au rendement, car le colza a été moins concurrencé à l’installation. Au contraire, en 2018, le jeune colza n’a été soumis à aucune concurrence sévère par des adventices, et la date de semis la plus précoce a donné les meilleurs résultats.

Le risque d’élongation doit être maîtrisé

L’élongation du colza (l’allongement de la tige à l’automne entre le collet et l’apex) peut conduire à une plus grande sensibilité au gel, à un risque de verse accru et à une plus grande sensibilité au phoma. Dans ce contexte de semis plus précoce, le risque d’élongation doit donc impérativement être pris en compte, d’autant plus que la quasi-totalité des apports d’azote par la voie des matières organiques sont réalisés au semis (encadré) et contribuent donc à augmenter ce risque. Par conséquent, en AB, il est indispensable de choisir une variété très peu sensible à l’élongation.

Les surdensités au semis sont également à éviter. Il faut viser une densité de levée d’environ 35 plantes par m² en semoir céréales, et pas plus de 25-30 plantes/m² en semoir monograine à 60 cm d’écartement (soit une quinzaine de plantes au mètre linéaire). Les pertes à la levée sont variables selon la préparation de sol, le type de semoir et le désherbage mécanique réalisé. Quand les conditions de semis sont bonnes, des densités de semis à 40-45 grains/m² maximum suffisent en semoir monograine (en anticipant les pertes possibles par le désherbage mécanique). Sur nos deux campagnes d’essais, les densités semées étaient celles visées par l’agriculteur, soit environ 75 grains/m². Les levées ont été bonnes mais une forte concurrence interplantes a été constatée, qui a abouti à une perte de pieds et surtout à une élongation en entrée d’hiver. Les objectifs de densité étaient trop élevés.

Sur la partie sud de la façade Atlantique, où les conditions douces sont plus favorables à la croissance du colza, les semis peuvent être légèrement retardés pour ne pas trop augmenter ce risque d’élongation.

Adaptez les travaux d’interculture et en culture pour limiter le salissement

En préparant le lit de semences, il faut, essayer de remuer le moins possible le sol afin d’éviter la germination des dicotylédones éventuellement enfouies en profondeur (encadré). Si levées d’adventices il y a, elles pourront être détruites par un passage de vibroculteur juste avant le semis de façon à préserver l’humidité en profondeur. Néanmoins, il reste primordial d’assurer un bon enracinement du colza par fissuration si la structure du sol l’impose.

Quand un vibroculteur a été passé peu avant le semis, un passage de herse-étrille à l'aveugle peut être réalisé, idéalement à la germination du colza et impérativement avant la levée de la culture. Un second passage quelques jours plus tard avec la houe rotative peut être réalisé de façon à bien gérer les levées précoces d’adventices. Une reprise de sol très rapidement après le semis pourra aussi faire lever les repousses de céréales.

Avec la herse-étrille, le retour sur la parcelle ne doit pas s’envisager avant les stades « 3-4 feuilles » pour éviter des dégâts à la culture (perte de pieds). À partir du stade « 4 feuilles » et jusqu’à la sortie de l’hiver selon le développement et la croissance du colza, la bineuse permettra de maintenir la propreté sur l’inter-rang si le semis a été fait au semoir monograine.

Par ailleurs, un effet bénéfique du binage avant que le colza ne referme le rang est systématiquement observé au-delà de la seule gestion des adventices, car il réactive la minéralisation du 

Certains ravageurs restent difficiles à maîtriser

Les ravageurs d’automne, comme les altises (en particulier les adultes) et les charançons du bourgeon terminal, peuvent être gérés par une implantation réussie et un démarrage rapide de la culture. Toutefois, d’autres risques, souvent plus localisés, peuvent pénaliser la culture. Ainsi, les attaques de petites altises, de noctuelles terricoles ou encore de tenthrèdes peuvent impacter le colza ; or les moyens de gestions efficaces font défaut. Ces risques ne peuvent être négligés.

Au printemps, bien que peu de dégâts liés aux charançons de la tige du colza aient été signalés ces dernières années, le risque lié à ce ravageur est toujours bien présent. En cas d’attaque et d’éclatement des tiges, l’irrigation pourra assurer une partie du remplissage des graines et limiter la perte.

Associer la variété d’intérêt à 5 à 10 % d’une variété très précoce à floraison est une technique connue pour préserver le colza des attaques faibles à modérées de méligèthes. Toutefois, en cas de forte pression et/ou de difficultés pour la plante à entrer en floraison, des pertes peuvent être enregistrées. Là encore, irriguer une parcelle en stress hydrique pour faciliter l’entrée en floraison peut sauver la culture, comme ce fut le cas en 2019.

Enfin, en choisissant une variété de colza à bon comportement face au phoma, seuls l’oïdium et le sclérotinia pourront pénaliser la culture. Cependant, la fréquence et l’intensité de ces maladies constituent un risque acceptable en bio dans le Sud-Ouest. Le développement du colza bio dans les régions plus au nord doit, en revanche, appeler à la plus grande vigilance, en particulier vis-à-vis du sclérotinia.

L’association, un levier intéressant mais à bien maîtriser

Dans nos essais de 2017 et 2018, un couvert de fenugrec associé à de la vesce d’Alexandrie (aussi gélive qu’une lentille) a été testé en association avec le colza semé aux deux dates. Le couvert a été semé en plein. Pour les deux dates de semis et les deux années, les modalités avec couvert associé sont celles qui ont obtenu les moins bons résultats. En cause, une impossibilité de biner l’inter-rang, qui a conduit à un salissement beaucoup moins maîtrisé ayant pénalisé la culture.
Les travaux en cours n’ont cependant pas abandonné ce levier. Cette fois, ils évaluent son intérêt en semis uniquement sur le rang, dans les conditions spécifiques du Sud-Ouest (démarrage rapide, forte disponibilité en azote par la matière organique, conditions poussantes avec peu, voire pas d’arrêt de végétation). L’inter-rang est laissé disponible pour des passages de bineuse.

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