Auxiliaires des grandes cultures : quels facteurs influencent leur abondance ?

Carabes et syrphes sont les auxiliaires les plus étudiés en agriculture en raison de leur fort potentiel de régulation des ravageurs des grandes cultures. Des modèles prédictifs ont mis en évidence les facteurs qui favorisent l’abondance et l’activité de ces précieux auxiliaires.
Auxiliaires des grandes cultures : quels facteurs influencent leur abondance ?

La biodiversité agricole inclut toutes les formes de vie présentes en grand nombre dans les paysages agricoles - tels que les micro-organismes du sol, les insectes, les animaux sauvages, les cultures, les arbres… Sa spécificité a été actée dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. La biodiversité fonctionnelle joue un rôle pivot dans les écosystèmes agricoles : elle contribue à réguler les bioagresseurs des plantes cultivées et/ou assure leur pollinisation, ou encore améliore la structure des sols. Afin de mieux comprendre ce service écosystémique, Arvalis s’est intéressé plus particulièrement aux carabes et aux syrphes, des espèces qui s’attaquent aux ravageurs des grandes cultures. Mais il existe bien d’autres groupes d’auxiliaires présents dans les parcelles et leurs abords immédiats, encore méconnus.

Syrphes et carabes, de redoutables Prédateurs

Les syrphes sont des auxiliaires volants dont les larves s’attaquent notamment aux pucerons des grandes cultures. Les adultes, grands amateurs de pollen et de nectar, contribuent à la pollinisation. Les syrphes sont présents dans presque tous les habitats terrestres, de la zone racinaire des graminées jusqu’à la canopée des arbres dominants en forêt. Malgré des ressemblances avec certains hyménoptères (guêpes, abeilles…), ils appartiennent à la famille des diptères (mouches, moustiques...) qui se distinguent par une seule paire d’ailes membraneuses. Ces ailes sont légèrement colorées chez les syrphes, tandis que leur corps est parfois zébré ou tacheté de jaune ou de bleu sur fond noir ; leurs yeux imposants couvrent presque toute la tête. Leur taille varie de quelques millimètres jusqu’à 3,5 cm selon l’espèce. Ils sont capables de voler de manière stationnaire et de se déplacer latéralement à grande vitesse.

En France, plus d’un millier d’espèces de carabes sont recensées, dont trois cents en milieu agricole où ils régulent de nombreux ravageurs des cultures. Les larves, dépourvues d’ailes, grandissent sans changer de forme au cours des différentes mues et nichent principalement dans le sol. Se nourrissant d’œufs d’insectes et de gastéropodes, de jeunes limaces et d’escargots, ainsi que d’autres insectes tels quel les taupins et les cicadelles, elles sont considérées comme plus efficaces que les adultes dans la régulation des organismes nuisibles. Un seul carabe, dont la larve est strictement phytophage, est considéré comme un ravageur des cultures : le zabre (Zabrus tenebrioides).

À l’émergence, les adultes migrent dans divers habitats (haies, bandes enherbées…). Ils mesurent entre 8 et 50 mm. Leur carapace comporte des sillons et des reflets métalliques (verts, violets, bronze). Leur régime alimentaire est plus généraliste, et la taille des proies est généralement corrélée à celle de l’individu prédateur.

Objectif : prédire leur abondance

Une étude pluriannuelle a été mise en place depuis 2009 sur le site expérimental de Boigneville (Essonne) afin d’observer la diversité taxonomique et fonctionnelle des espèces auxiliaires de syrphes et de carabes(1). La caractérisation de la biodiversité des syrphes s’est effectuée de 2009 à 2011 dans le cadre du Projet CASDAR « Les entomophages en grandes cultures ». Les données concernant les espèces de carabes ont été recueillies de 2009 à 2015. Un travail important de description du paysage et des pratiques culturales dans un rayon de 500 mètres autour des pièges a été réalisé.

Grâce au traitement de ces données ont été construits des modèles prédictifs de l’abondance des espèces auxiliaires. La modélisation permet d’expliciter les relations et les causalités entre leur abondance et divers paramètres géographiques, environnementaux, mais aussi avec les pratiques agricoles. L’objectif est d’en dériver des directives simples de conduite des cultures et d’entretien des habitats semi-naturels qui amélioreraient le contrôle biologique des ravageurs. L’exploration des données a été réalisée en collaboration avec un Institut slovène, le Jožef Stefan Institute.

Syrphe Sphaerophoria Scripta



• Longueur de l’adulte : 7 à 10 mm
• Couleur de l’adulte : le thorax est noir, bordé sur les côtés par une ligne continue jaune ; l’abdomen du mâle dépasse largement les ailes.
• Larve : de petite taille, de couleur verte, ressemblant à un asticot.
• Période de vol : avril à début novembre – 2 à 4 générations par an suivant les régions
• Répartition : grande capacité migratoire, présente dans toutes les régions en France

Syrphes : leur abondance est favorisée par la présence de milieux semi-naturels

Quatre des 84 espèces de syrphes recensées à Boigneville représentent 88 % des piégeages : Sphaerophoria scripta (syrphe porte-plume), Melanostama mellinum, Episyrphus balteatus (syrphe ceinturé) et Eupeodes corollae (syrphe des corolles). L’espèce S. scripta (encadré) représente à elle seule 55 % des observations. Des résultats similaires ont été observés sur deux autres sites, en Rhône-Alpes et Picardie. D’après la carte(2) des richesses spécifiques départementales, la diversité enregistrée dans l’Essonne se situe dans la norme. 62 % des larves ont été localisées en zones herbeuses où elles hivernent. Certains adultes hivernent à la surface du sol dans une litière pourvue de graminées, d’autres quittent la région pour y revenir au printemps (tableau 1).

Les modèles prédictifs élaborés dans une seconde phase du projet ont identifié les principaux facteurs influençant l’abondance des syrphes dans la zone géographique de l’étude. Tout d’abord, l’abondance augmente en présence d’un grand nombre d’espèces dans l’échantillon : une importante interaction inter-espèces favorise donc le nombre de syrphes. Comme pour de nombreux insectes, le cumul de températures joue également un rôle : un pic d’abondance de syrphes est observé lorsque les sommes de températures sont comprises entre 660 et 760°C-jours, ce qui correspond approximativement au mois de juin. Cependant, un seuil maximal de température semble exister, puisqu’à partir de cette période et jusqu’au mois de juillet, leur abondance décroît. Un habitat semi-naturel avec présence de haies, d’arbres et de bandes végétalisés s’avère favorable à l’activité des syrphes. La forêt, notamment, les attire ; elle abaisse la température ambiante et conserve une humidité favorable.


Carabes : une abondance sensible au travail du sol

L’analyse taxonomique des espèces de carabes dans la région de Boigneville a montré une grande diversité, avec 93 espèces observées sur l’ensemble de l’étude. Trois espèces, Poecilus cupreus (encadré), Pterostichus melanarius et Anchomenus dorsalis, représentent 80 % de l’abondance totale des espèces capturées (tableau 2) où prédomine P. cupreus avec 53 %. Des espèces remarquables ont également été inventoriées, comme Notiohilus substriatus et N. quadripunctatus ; elles ont été relevées en majorité dans les bordures de parcelles ou aménagements (chemins herbeux, haies…), contrairement aux autres espèces, présentes principalement en parcelles. Le nombre d’espèces rencontrées annuellement au sein de la station se situe dans la norme de la diversité et confirme des observations antérieures.

Grâce aux modèles prédictifs, les principaux facteurs expliquant l’abondance de Poecilus cupreus ont été identifiés. Contrairement aux syrphes, cette espèce de carabe est plus abondante lorsque le nombre d’espèces présentes dans l’échantillon est faible. L’abondance de ce carabe, principalement présent au milieu des parcelles, est plus faible en technique culturale simplifiée qu’en conduites impliquant davantage de travail du sol (agriculture biologique, raisonnée ou intégrée). Un travail du sol très superficiel limite, en effet, les perturbations et ainsi favorise l’abondance de toutes les espèces de carabes. Il instaure, de ce fait, une plus forte compétition inter-espèces à laquelle P. cupreus est plus sensible. Un sol profond pourvu d’une bonne rétention en eau est aussi plus propice à l’activité de cette espèce : les larves ont la possibilité de se réfugier en profondeur, et ainsi le travail du sol a un impact moindre sur leur population.

Cependant, P. cupreus n’est pas le seul carabe intéressant. Il est préférable de maximiser le nombre d’espèces de carabes en limitant les perturbations du sol. Cela favorise la diversité des profils de prédation et, en théorie, augmente la chance d’avoir dans sa parcelle la ou les espèces de carabes les mieux à même de réguler le ravageur qui prédominera une année donnée.

Carabe Poecilus cupreus



• Longueur de l’adulte : 9 à 13 mm, ailé
• Couleur de l’adulte : vert cuivré
• Habitat : milieux ouverts divers
• Période d’émergence : avril-mai


(1) La phase « observations » du projet a été présentée dans l’article « Une biodiversité méconnue » du n°45 de Perspectives Agricoles, juillet-août 2018.
(2) Carte produite à partir de la base de données Syrph the Net.

Des modèles prédictifs pour mieux comprendre les auxiliaires

Pour identifier quel(s) facteur(s) favorisent l’abondance d’un auxiliaire de grandes cultures donné, les peuplements observés sont confrontés aux prédictions d’un modèle. Comment celui-ci est-il construit ?

Différents paramètres (ou variables descriptives) influencent l’abondance d’un auxiliaire sur une parcelle : les caractéristiques de la parcelle (profondeur du sol, taux d’humidité…), les pratiques agricoles (semis direct ou travail du sol, irrigation ou pas…), le climat, l’environnement paysager (proximité de bandes enherbées, de forêts…), etc. Les informations observées ainsi que la description des communautés d’auxiliaires sont fournies au modèle associé à un auxiliaire donné. Un tel modèle est de type « arbre de décision » : il attribue un poids à chacune de ces variables et ajuste ces poids de façon à reproduire au plus près les abondances observées. Le modèle est alimenté avec les 9/10e des données d’observation, et est vérifié automatiquement sur le 1/10e restant des données, et cela à plusieurs reprises.

La sortie principale du modèle est un arbre de classification des variables descriptives : plus une variable est située haut dans l’arbre, plus son effet est fort sur l’abondance de l’auxiliaire considéré. Chaque « feuille » de l’arbre indique l’abondance en auxiliaires obtenue par la combinaison de variables aboutissant à cette « feuille ». Par exemple, l’abondance maximale* du carabe Poecilus cupreus (figure 1) est obtenue en agriculture raisonnée, biologique ou intégrée, pour un sol de profondeur supérieure à une cinquantaine de centimètres ayant une capacité de rétention de l’eau supérieure à 30 %, à une distance à la bordure de la parcelle supérieure à 20 m. L’abondance la plus faible* est obtenue en semis sous couvert, pour un sol ayant une capacité de rétention de l’eau inférieure à 20 %.



(*) Les modèles établissent des comparaisons relatives entre situations conduisant à des abondances plus ou moins élevées, plus qu’ils ne fournissent des valeurs absolues des abondances.

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