Associations céréales-protéagineux : une pratique reconnue en agriculture biologique
Une association céréales-légumineuses est la culture simultanée sur une même parcelle d’une ou plusieurs espèces de céréales et de légumineuses. Elle peut être récoltée en grains (on parle alors d’association céréales-protéagineux) ou en fourrage immature selon sa valorisation finale. Ces associations sont particulièrement répandues en agriculture biologique (AB) où elles représentaient en 2018 près de 13 % des surfaces françaises de grandes cultures bio (65 000 ha sur 514 000 ha). Leur développement (figure 1) a suivi la progression générale des grandes cultures en AB. Les surfaces de production (figure 2) se concentrent logiquement dans les bassins de productions animales où dominent les exploitations de polyculture-élevage de ruminants. En effet, ces mélanges, assez bien équilibrés en MAT et en énergie, sont particulièrement bien valorisés par ces espèces.
Des intérêts agronomiques indéniables
Le succès des associations céréales-légumineuses auprès des agriculteurs bio s’explique notamment par les multiples bénéfices agronomiques de la diversification spécifique intraparcellaire. Ces mélanges bénéficient, en effet, d’une « complémentarité de niches » car, plutôt que d’entrer en compétition, les plantes utilisent majoritairement les ressources (eau, lumière, nutriments) de façon différée et, en général, de manière plus efficiente qu’en culture pure.
C’est particulièrement vrai pour l’azote. En effet, le système racinaire de la céréale se développe plus rapidement que celui du protéagineux : le blé « pompe » alors l’azote du sol, ce qui oblige le protéagineux à développer plus précocement sa capacité à fixer l’azote de l’air, laissant l’azote du sol principalement à disposition de la céréale. En revanche, le blé ne bénéficie pas d’azote directement transmis par la légumineuse. Par ailleurs, la compétition pour la colonisation du sol par les deux espèces en début de cycle les amène à explorer davantage de volume de sol, notamment en profondeur, leur donnant un accès accru à l’eau et aux autres éléments minéraux. Concernant la lumière, la différence de dynamique de croissance aérienne de la céréale et du protéagineux maximise l’utilisation de la lumière sur la parcelle.
Par rapport à une culture pure, l’occupation plus importante de l’espace par l’association exerce en outre une concurrence accrue vis-à-vis des adventices. Cet effet est particulièrement visible avant la floraison pour les deux espèces - quand, en culture pure, la céréale ou le protéagineux sont les moins concurrentiels. Cette concurrence à la floraison sera d’autant plus bénéfique que la pression des adventices sera forte. La biomasse d’adventices peut ainsi être divisée par un facteur 2 à 5 selon les espèces associées. Ainsi, parmi les céréales, le pouvoir couvrant à ces stades est beaucoup plus important pour une avoine ou un triticale que pour un blé. Les adventices ont également un accès restreint à l’azote du sol du fait de la meilleure utilisation de l’azote par les cultures, ce qui limite aussi leur croissance.
Ces associations bénéficient-elles des aides de la PAC ?
Les associations céréales-protéagineux n’ont pas de statut particulier pour la déclaration PAC. Elles sont considérées comme des céréales lorsqu’elles contiennent une majorité de céréales, et comme des protéagineux si ces derniers (pois, fèverole, lupin, lentilles…) prévalent dans le mélange. C’est seulement dans ce dernier cas, et si la récolte se fait en grains, qu’elles peuvent bénéficier de l’aide couplée aux protéagineux. Cependant, en cas d’aléa, les proportions semées peuvent être différentes de celles récoltées ; il faudra alors pouvoir le justifier en cas de contrôle.
La synergie d’effets booste et stabilise le rendement total
Concernant les maladies, l’effet bénéfique est plus mitigé. Sur les maladies aériennes, une réduction de la nuisibilité par rapport à la culture conduite en pur a été plusieurs fois observée sur l’aschochytose du pois et le botrytis de la féverole, ainsi que sur l’oïdium et la septoriose sur blé. Néanmoins, ces réductions ne sont pas systématiques.
Concernant les maladies racinaires, des baisses de nuisibilité par rapport à un blé de blé ont pu être observées sur piétin-échaudage ou piétin-verse sur un blé précédé d’une association pois-blé. En revanche, ces niveaux de réduction sont bien plus faibles qu’avec un précédent pois car l’association maintient malgré tout l’inoculum dans le sol.
Concernant les ravageurs, les données disponibles sont plus limitées. Elles font état d’un effet variable suivant les années et surtout suivant les ravageurs considérés. L’association d’un protéagineux à une céréale a néanmoins démontré un fort effet sur la pression des pucerons verts.
L’association doit être réfléchie en fonction de son objectif et du débouché visé, notamment si elle doit être collectée.
Autre atout pour les seuls protéagineux : la céréale associée a un effet « tuteur » qui limite les risques de verse. Ce bénéfice est reconnu notamment pour la lentille ou encore le pois, bien que pour ce dernier, les avancées génétiques de ces dernières années aient considérablement amélioré la tenue de tige et donc réduit le risque de verse.
Quant à la céréale, elle gagne en moyenne 0,5 à 1 % supplémentaires de protéines, en raison d’une disponibilité de l’azote quasi identique à celle d’une culture en pur mais avec une densité de semis généralement réduite (et donc un rendement à l’hectare plus faible). Ce gain est non négligeable en AB où les ressources en azote sont restreintes et où les teneurs en protéines restent assez faibles malgré l’apport de produits organiques. Ce surplus de protéines se valorise d’autant plus sur blé puisqu’il permet d’accéder au débouché « alimentation humaine », mais aussi en alimentation animale, en proposant une matière première plus riche en protéines.
L’ensemble de ces effets - qui agissent en synergie - font qu’on obtient quasi systématiquement un rendement total (somme du rendement du protéagineux et de la céréale) plus important que le rendement de la céréale ou du protéagineux conduits en pur dans toutes les situations regardées. De surcroît, ces rendements sont plus stables d’une année sur l’autre, contrairement aux rendements des cultures en pur.
Cette stabilité cache néanmoins une forte hétérogénéité de la composition du mélange récolté, dont la teneur en protéagineux (ou sinon en céréales) peut être divisée par dix d’une année à l’autre. Cette hétérogénéité est très souvent liée à des différences de disponibilité en azote dans les parcelles : là où elle est faible, la céréale aura du mal à se développer et le protéagineux prendra le dessus ; c’est l’inverse là où la disponibilité est élevée. Mais dans tous les cas, la place laissée par le partenaire le moins favorisé une année donnée est prise par l’autre, ce qui permet de sécuriser la production globale.
Les outils de collecte ont su s’adapter
La collecte de céréales et de protéagineux issus d’associations est le parfait reflet de la nécessaire adaptation des collecteurs aux spécificités de l’AB. Pour le groupe Terrena, acteur majeur du Grand Ouest où les associations sont très présentes dans les assolements, la collecte d’associations en AB représente 40 % de la collecte d’été. Pour le groupe Axéréal Bio, également présent dans le Grand Ouest mais également en région Centre, les associations représentent 10 % de la collecte totale.
Pour pouvoir les collecter et les valoriser par la suite, les deux coopératives ont investi dans des outils de tri et de stockage. En effet, les utilisateurs finaux – les fabricants d’aliments du bétail (FAB) ou les meuniers - n’achètent que des produits « purs ». Gilles Renart, directeur du secteur AB chez Axéréal, précise ainsi que « les FAB ne peuvent utiliser les lots non triés car leur composition est trop irrégulière (5 à 50 % de protéagineux dans le mélange) et hétérogène (il s’opère une ségrégation par gravité dans les cellules de stockage, qui entraine une valeur nutritionnelle variable) ». Un travail de tri à réception de l’association est donc nécessaire, qui doit être plus performant (donc plus onéreux) si l’un des produits au moins est destiné à l’alimentation humaine. De plus, chaque sous-produit de l’association est stocké dans une cellule spécifique, ce qui oblige à multiplier les cellules de stockage.
Des gains économiques variables selon le débouché choisi
Avant l’implantation, si l’association n’est pas destinée à l’autoconsommation, il faut s’assurer du débouché par la contractualisation, notamment avec un collecteur ou un utilisateur. Le choix des espèces à associer et leur conduite se font en fonction du débouché visé - produit riche en protéagineux, mélange céréales-protéagineux productif et équilibré pour une valorisation fourragère, ou céréale riche en protéines pour l’alimentation humaine - afin de répondre à ses exigences et éviter d’être déclassé.
Pour un débouché en autoconsommation, les associations présentent un maximum d’avantages par rapport à une culture en pur. En effet, aux bénéfices déjà évoqués - rendements supérieurs et plus stables sécurisant le revenu, taux de protéines plus élevés des céréales (notamment du blé pouvant garantir un débouché panifiable), et enfin diminution des charges de fertilisation organique (particulièrement onéreuse en AB) et de désherbage mécanique - s’ajoute l’autonomie alimentaire pour les éleveurs.
Pour un débouché en culture de vente collectée par un organisme stockeur (OS), les avantages potentiels sont tout aussi importants pour le producteur sous condition de maitrise technique. En revanche, leur collecte et leur traitement ultérieur par l’OS entrainent de fortes contraintes logistiques (encadré) .
Pour une vente à un collecteur, que ce soit pour l’alimentation humaine ou animale, la séparation des espèces récoltées par triage est en effet incontournable car il n’y a pas de vente ou d’utilisation du mélange en l’état. Un bon triage évitera, en outre, des pénalités ou des déclassements. Les coûts de triage (et de stockage après triage, qui se fait dans des cellules séparées des espèces collectées en pur) doivent donc être pris en compte dans le calcul de la marge de la culture. Ils dépendent du nombre de tris à effectuer pour enlever le maximum d’impuretés, ainsi que du type et du nombre d’espèces associées ; un pois engendre, par exemple, plus de brisures qu’une féverole.
En meunerie, une meilleure qualité mais plus de nettoyage
Des céréales propres et de qualité, c’est en effet tout ce qui compte pour la meunerie. Les céréales issues d’associations (blé tendre, grand et petit épeautre, seigle) représentent une faible part des volumes : 2,5 % par exemple pour le Moulin Marion, meunier spécialisé en farine bio . Le meunier demande un échantillon de grains en amont afin de s’assurer de la propreté et de la qualité du lot.
Le Moulin de Brasseuil effectue un tamisage et un test de panification sur ces échantillons. S’il est accepté et propre, le lot entre dans le process normal. Si le taux d’impuretés est élevé mais la qualité satisfaisante, il est isolé pour subir un nettoyage plus fin afin d’enlever un maximum de graines et de brisures de protéagineux, qui peuvent compromettre la panification et être allergènes (cas du soja et du lupin). Ce nettoyage est d’autant plus contraignant pour le meunier que la farine est complète.
Pour Julien-Boris Pelletier, directeur du Moulin Marion, le traitement de ces céréales ne nécessite aucune adaptation logistique : un blé issu d’association est traité de la même manière qu’un blé conduit en pur, à condition qu’il soit propre ; sinon il est travaillé comme n’importe quel lot ayant un taux d’impuretés important. La seule différence est que les qualités sont souvent plus intéressantes. Il précise que les céréales issues d’associations bénéficient du même contrat que les céréales cultivées en pur, dans lequel la quantité d’impuretés maximale (2 %), les critères de qualité, les prix et les critères de déclassement sont stipulés.
Un compromis à trouver entre tous les maillons de la filière
Afin de limiter les coûts associés au triage et au stockage, les coopératives proposent à leurs adhérents une liste « positive » d’associations ; les autres associations proposées par les agriculteurs se verront refusées. Cette liste comprend dix associations chez Terrena et trois chez Axéréal Bio, et uniquement des mélanges de deux espèces (pas de mélange trinaire ou autre). Dans les deux cas, il apparaît difficile pour les deux collecteurs de proposer de collecter d’avantage d’associations, les contraintes logistiques étant trop importantes.
« Pourtant, » indique Gilles Renart, directeur du secteur bio chez Axéréal Bio, « les producteurs souhaiteraient pouvoir monter jusqu’à 25 %, voire 40 % de leur sole en mélange ». Par ailleurs, « les associations d’espèces nous semblent essentielles pour le développement de l’agriculture bio, pour tous les bénéfices agronomiques qu’elles octroient », indique Bertrand Roussel, directeur du secteur AB chez Terrena. Il est donc nécessaire, pour assurer le développement de l’AB sur les différents territoires, de parvenir à trouver un équilibre entre la « nécessité agronomique » de la culture en association et les difficultés logistiques que peuvent entrainer la collecte. Sur ce point, comme pour la plupart des cultures bio, la contractualisation de la production, annuelle ou pluriannuelle, est un garant essentiel de cet équilibre entre les différents maillons de la filière, du producteur à l’utilisateur final.
En collectant et utilisant les productions associées, les acteurs de l’aval se mobilisent donc pour favoriser le développement de l’AB, illustrant la cohésion caractéristique de la filière grandes cultures bio. Les évolutions règlementaires à venir, et notamment l’obligation d’utiliser 100 % d’ingrédients d’origine biologique pour l’alimentation animale dès 2021, risquent cependant de venir perturber ce fonctionnement en favorisant l’intégration massive du soja au détriment des protéagineux.
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