Calcul de crédits « carbone » : quels leviers privilégier ?
L’étude réalisée par Arvalis entre 2021 et 2022 avait deux objectifs : identifier dans différents systèmes de production de grandes cultures français les leviers pouvant être mis en œuvre lors d’un projet label Bas carbone - grandes cultures (LBC-GC) et évaluer leur intérêt en termes de durabilité.
Neuf fermes au banc d’essai
L’étude1 a porté sur neuf fermes-types de la Fermothèque France d’Arvalis. Le fonctionnement technique et économique de chacune est décrit finement dans le logiciel SYSTERRE2.
Toutes se caractérisent par des systèmes de production performants sur le plan de la production, des pratiques et des résultats économiques. Trois systèmes de production ont été étudiés dans différentes régions :
- Deux systèmes avec céréales oléo-protéagineux (COP) et des cultures industrielles comme la betterave ou la pomme de terre : la ferme Limons Picard (betterave et pomme de terre) et la ferme Champagne Crayeuse (betterave),
- Trois systèmes COP en zone à petit potentiel en sec : la ferme Plateau de Bourgogne, la ferme Champagne Berrichonne et la ferme Lauragais,
- Quatre systèmes COP comprenant du maïs avec recours à l’irrigation : la ferme Alsace irriguée, la ferme Plaine de Lyon graviers irriguée, la ferme Poitou-Charentes irriguée et la ferme Vallée de l’Adour irriguée.
Un peu de méthode pour calculer des crédits « carbone »
Seule la référence spécifique proposée par le LBC-GC a été étudiée. Elle correspond à la situation sans projet LBC-GC. Elle est définie par ferme-type ; par les rendements moyens 2016/20 par culture, les itinéraires représentant la pratique moyenne des trois années avant le projet. Les sols sont définis et caractérisés dans la « BaseSol » d’Arvalis. Le contexte économique est calqué sur le contexte historique : moyenne des prix de marché des productions 2016/20, prix des intrants semences et phytos 2020 et moyenne des prix azote et carburant 2018/20.
Avant la mise en place des projets, chaque ferme-type est caractérisée par son bilan « carbone » initial et des informations permettant d’identifier des leviers pertinents. L’expertise des ingénieurs régionaux et spécialistes d’Arvalis complète le diagnostic initial pour construire les projets LBC-GC.
Plusieurs projets ont été définis pour chaque ferme-type, qui se traduiront par la mise en place d’un levier ou d’une combinaison de leviers proposés par le LBC-GC. (figure 1). Selon les leviers, ceux-ci s’appliquent à un ou plusieurs des systèmes de culture de la ferme-type.
Dans cette étude, la mise en place des leviers a été réalisée dès la première année du projet. On estime que les pratiques sont maitrisées immédiatement.
C’est l’écart entre la situation de « référence » et le « projet » sur 5 ans qui est évalué dans cette étude. Sur le plan technique, cela correspond aux réductions d’émissions totales, c’est-à-dire l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) et le stockage de carbone dans le sol (RE émissions et RE Stockage), aboutissant au calcul du nombre de crédits « carbone ». Un crédit « carbone » correspond à une réduction d’émissions totales de 1 tonne équivalent CO2 (t éqCO2) ; réduction permise par le projet par rapport à la référence. Ni les réductions d’émissions en aval, ni les rabais potentiels3 n’ont été pris en compte ici. Sur le plan économique, l’évaluation des écarts de marge nette4 de la ferme permettra de calculer un prix minimal, ou coût d’équilibre, auquel il faudrait vendre chaque crédit « carbone » pour rembourser le coût de mise en œuvre des leviers. Il est exprimé en euros par crédit. Enfin, certains co-bénéfices sont calculés : l’IFT, le temps de traction (temps sur parcelle) sont les indicateurs par hectare de SAU et par an privilégiés dans cet article.
Le chiffrage des enjeux du LBC-GC a été réalisé avec l’appui de trois outils : SYSTERRE, CHN-AMG (stockage carbone) et Carbon Extract (réduction des émissions).
Avant projet, huit fermes sur neuf émettent du carbone
Le bilan « carbone » annuel initial de huit des fermes-types est émetteur de CO2 (figure 2) : elles émettent entre 0,5 et 3,5 TeqCO2 par hectare de SAU et par an. Seule la ferme Vallée de l’Adour a un bilan « carbone » positif : 0,4 t éqCO2 par hectare et par an ; elle compense ses émissions par du stockage de carbone dans les sols.
Toutes les fermes émettent des gaz à effet de serre. Les émissions dues à la fertilisation sont évaluées entre 1,7 et 2,5 t éqCO2 par hectare et par an. Celles liées aux combustibles entre 0,2 et 0,3 t éqCO2/ha/an. En revanche, six fermes-types, Limons nord, Champagne crayeuse, Plaine de Lyon graviers, Alsace, Vallée de l’Adour et Lauragais stockent du carbone dans leur sol, entre 0,9 et 2,7 t éqCO2/ha/an. Les trois autres déstockent entre 0,8 et 1,2 t éqCO2/ha/an.
44 projets génèrent des Crédits « Carbone »
44 projets sur les cinquante étudiés génèrent des crédits « carbone » avant rabais, entre 0,01 et 1,24 crédits par hectare et par an (CC/ha/an) : 18 % entre 0,01 et 0,1 CC ; 44 % entre 0,1 et 0,5 et 26 % plus de 0,5 CC/ha/an. Six projets génèrent plus d’émissions que la référence (figure 3). Le potentiel de crédits « carbone » diffère selon les leviers ; et pour un même levier il diffère aussi selon les fermes-types 1. Enfin, pour un levier, des effets antagonistes peuvent être observés entre les réductions d’émissions liées à la fertilisation (RE Fertilisation) et celles liées au stockage (RE Stockage). Ainsi, parmi les 44 projets générant des crédits « carbone » avant rabais, 72 % génèrent des RE Fertilisation (entre 0,1 et 0,89 CC/ha/an) et 61 % des RE Stockage (entre 0,1 et 1,7 CC). Mais 45% des projets ont des effets antagonistes entre ces deux postes (certains leviers augmentant les émissions améliorent le stockage du carbone dans les sols, et inversement). En ce qui concernent les émissions de GES liées aux combustibles, 44 % des projets émettent légèrement plus que la référence, entre 0,01 et 0,07 t éqCO2 supplémentaires par hectare et par an.
Rappelons qu’il est plus facile de s’approprier certains leviers que d’autres. Ils peuvent demander de l’apprentissage technique (nouvelle culture, couverts, utilisation des PRO), une organisation du travail et du matériel différents (formes d’azote, PRO…), ou encore un débouché à proximité (CIVE, culture à faible besoin en azote…). La part de risque lié au climat est également à évaluer (nouvelle culture, couverts, CIVE).
Un coût d’équilibre de 4 à 662 €
Sur les 44 projets qui génèrent des crédits « carbone » avant rabais, 29 perdent de la marge (entre - 6 et - 106 €/ha/an), 10 ont une marge stable (entre - 5 et + 5 € /ha/an), 5 ont une marge supérieure à la référence (de + 6 à + 118 €/ha/an). Les écarts de marge ont plusieurs sources : baisse ou augmentation du produit (si évolution d’assolement), voire des aides (introduction de légumineuses), mais également des différences de charges, principalement les postes intrants et mécanisation.
Pour ces projets, le coût d’équilibre par crédit « carbone » varie de 4 à 662 €/CC. 57 % des projets entrainent un cout d’équilibre supérieur à 50 €/CC (figure 4). Ce coût est très variable pour un même levier : par exemple, pour les projets « Formes azote », il varie de 37 à 108 €/CC ou, pour les projets « Cultures faible N », de 95 à 231 €/CC.
Ces coûts d’équilibre sont pour la plupart supérieurs au prix de marché actuel qui est autour de 30 et 40 €/CC. Rappelons que ce coût d’équilibre ne prend en compte ni les rabais ni les coûts annexes (mise en place du projet, intermédiaires).
Autre détail qui compte : le calcul de ces marges s’appuie sur les prix des cultures et des intrants dans un contexte historique avant le conflit russo-ukrainien.
(1) L’intégralité de l’étude est disponible sur http://arvalis.info/2j0
(2) La ferme type se caractérise par les informations techniques (structure d’exploitation, types de sol, assolement et rotations, systèmes de culture, parc matériel, main d’œuvre et itinéraires techniques des cultures (dates, opérations culturales, intrants et quantités, produits et sous-produits récoltés ou exportés) et économiques (prix des matières premières, des intrants et du matériel, de la main d’œuvre, fermage).
(3) Rabais = réduction du nombre de Crédit Carbone intégrant des niveaux d’incertitude dans le calcul ; en fonction du choix de la référence (spécifique ou générique), de la non-permanence des pratiques (maintien ou non des pratiques après un projet), de l’incertitude des données d’entrées et de la non-additionnalité potentielle avec d’autres sources de financement. Ils sont définis dans la méthode LBC-GC.
(4) La marge nette est la différence entre le produit (chiffre d’affaires et aides) et l’ensemble des charges de l’exploitation (intrants, mécanisation, main d’œuvre yc familiale, fermage et autres charges fixes). C’est l’écart de marge entre la référence et le projet qui est calculé. L’écart potentiel de cotisations sociales exploitant n’est pas évalué ici. Les résultats ont été estimés identiques lorsque (i) les RE total, Stockage, Fertilisation ou Combustible sont comprises entre – 0.01 et + 0.01 t éqCO2 par hectare et par an (ii) l’écart de marge est compris entre -5 et +5 € par hectare et par an. PRO = Produits Résiduaires Organiques ; CIVE = Culture Intermédiaire à Vocation Energétique
Plusieurs leviers d’efficacités variées pour gagner des crédits « carbone » sont présentés sur http://arvalis.info/2iz
Valérie LEVEAU - v.leveau@arvalis.fr
Hélène LAGRANGE - h.lagrange@arvalis.fr
Marc BERRODIER - m.berrodier@arvalis.fr
Laure NITSCHELM - l.nitschelm@arvalis.fr
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