Les stratégies d’automne bientôt caduques sur sols drainés

Un projet conduit en Lorraine évalue à 26 % les parcelles peu ou pas infestées par des vulpins résistants. Le retrait du flufénacet, annoncé pour 2026, sonne le glas des programmes « tout automne », largement utilisés. Et si les outils de pilotage permettaient de faire avec les produits restants et d’optimiser les leviers existants ?
Près de 90 % des parcelles désherbées avec des substances actives racinaires d’automne ne présentent pas de dérive d’efficacité.

Près de 90 % des parcelles désherbées avec des substances actives racinaires d’automne ne présentent pas de dérive d’efficacité.

Dans les parcelles drainées, la maîtrise des graminées indésirables avec les herbicides foliaires devient très difficile compte tenu de l’évolution des résistances des adventices à ces derniers. Les stratégies efficaces reposent donc quasi exclusivement sur le désherbage d’automne et, avec le retrait prévu du flufénacet, les solutions chimiques se raréfient encore plus. Le problème est important dans une région comme la Lorraine, où le drainage concerne 20 % des surfaces agricoles. Lancé en 2021, le projet Lorraine 3D vise un double objectif : dresser un état des lieux du niveau de résistance des vulpins aux herbicides, et évaluer l’impact des restrictions d’usages sur cette zone céréalière très concernée par le drainage artificiel des sols. Au total, 81 agriculteurs ont été enquêtés (pratiques culturales, utilisation herbicides) et 93 parcelles ont fait l’objet d’un prélèvement de graines de vulpin pour évaluer leur état de résistance.

Quid des systèmes de culture en place ?

Cette enquête montre des situations avec des infestations importantes (75 % des parcelles à plus de 100 plantes/m2) non maîtrisées par des programmes de désherbage pourtant conséquents (figure 2). Il ressort également de l’enquête que les programmes de désherbage, en 2 passages minimum, étaient plus présents dans les rotations « courtes » que « longues » (figures 1 & 2). Ces résultats sont confirmés dans les enquêtes « Pratiques agricoles » en général, avec des utilisations d’herbicides supérieures en rotations courtes, sans cultures de printemps. Ce type de système favorise les graminées automnales.

HERBICIDES : utlisés surtout pour les rotations courtes
HERBICIDES : utlisés surtout pour les rotations courtes
Figure 1 : Utilisation des herbicides (en programme ou en application unique) en fonction de la rotation en place.
Densités de VULPINS : les fortes à très fortes populations totalisent 28% des situations
Densités de VULPINS : les fortes à très fortes populations totalisent 28% des situations
Figure 2 : Salissement constaté des parcelles en vulpins (57 parcelles).

En revanche, contrairement aux systèmes céréaliers en sols argilo-calcaires superficiels, les agriculteurs enquêtés ont des rotations diversifiées (75 % des cas avec une culture de printemps, quelle que soit la durée de la rotation). Le constat est le même pour le travail du sol, avec une proportion importante de labour (60 % des parcelles labourées et 48 % en labour occasionnel) car cela reste un moyen efficace de désherbage. Pourtant, malgré les cultures de printemps et le travail du sol, 75 % des agriculteurs considèrent être en situation difficile (plus de 100 pieds de vulpins/m2), dont 28 % avec plus de 1000 pieds de vulpin/m2. La satisfaction n’est donc pas au rendez-vous et impose de poursuivre les efforts en utilisant tous les leviers, voir de les combiner encore plus, en y incluant bien entendu les herbicides sur toutes les cultures.

Et les pratiques herbicides ?

L’analyse des pratiques herbicides constitue l’un des points cruciaux du projet 3D Lorraine. En céréales à paille, dans cette enquête, une très large majorité des parcelles présente des vulpins résistants aux herbicides de printemps (inhibiteurs de l’ACCase ou de l’ALS) (figure 3).

Analyses de résistance : les herbicides de printemps souvent inopérants

VULPINS : les plus fortes infestations dans les rotations courtes

Figure 3 : Tests de résistance des vulpins aux inhibiteurs de l’ACCase et de l’ALS (65 populations).

De facto, les agriculteurs se tournent vers les solutions restantes que sont les herbicides racinaires d’automne (figure 4). Par chance, près de 90 % des parcelles désherbées avec des substances actives racinaires d’automne ne présentent pas de dérive d’efficacité.

HERBICIDES : deux modes d’action dominent
HERBICIDES : deux modes d’action dominent

Figure 4 : Répartition, par modes d’action, de l’utilisation des substances actives sur les céréales à paille (51 parcelles en céréales d ’hiver).

90 % des 51 parcelles investiguées reçoivent une ou deux substances actives du groupe HRAC 15 (flufénacet, prosulfocarbe, triallate), 85 % environ reçoivent une ou des substances actives du groupe HRAC 12 (diflufénican, picolinafène). Peu reçoivent des substances des groupes HRAC 3 (pendiméthaline) et HRAC 2 (inhibiteurs de l’ALS). Pour ce dernier groupe, leur utilisation se limite aux parcelles où les vulpins restent sensibles à cette famille d’herbicides.

Les stratégies d’automne, en parcelles drainées, utilisent des substances actives des groupes 12 et 15. Elles sont donc très vulnérables aux évolutions du contexte réglementaire. Avec le retrait potentiel du flufénacet à l’horizon 2026, les stratégies de désherbage sont à repenser entièrement. Dans ce cas, il ne resterait que le prosulfocarbe (avec des menaces au niveau français), la pendiméthaline (dont les spécialités commerciales ont hérité de la phrase de risque H361, limitant les mélanges), et enfin la spécialité commerciale Constel (à base de CTU mais uniquement applicable en post-levée sur sols à moins de 45 % d’argile). Nous pouvons également citer les substances actives à action non négligeable sur graminées telles que le DFF, le picolinafène et la béflubutamide.

Dans ces conditions, un programme type Défi + Prowl 400 en prélevée rattrapé en postlevée précoce par Constel apportera de l’efficacité mais sera probablement insuffisant sur fortes populations (lesquelles représentent 75 % des parcelles en Lorraine). Dès lors, deux options, complémentaires, peuvent être envisagées :

  • s’appuyer plus fortement sur les leviers agronomiques,
  • s’appuyer sur des outils pour piloter les applications d’herbicides de manière à limiter le risque de transfert dans/vers l’environnement.

Les leviers agronomiques apportent une partie des réponses à la gestion des graminées. Le fait de décaler les dates de semis, ou encore d’introduire des cultures de printemps, permet de perturber le cycle de développement des vulpins (figure 5). Ces moyens de lutte ont des efficacités qui peuvent être variables en fonction de l’année, de la mise en œuvre, etc. Ils ne peuvent pas être considérés comme « éradiquant ». En revanche, ils permettent de diminuer significativement les densités en cultures. Dans l’enquête 3D Lorraine, lorsque la proportion de cultures de printemps dans la rotation augmente, les densités de vulpin constatées en céréales à paille sont globalement plus faibles.

VULPINS : les plus fortes infestations dans les rotations courtes
VULPINS : les plus fortes infestations dans les rotations courtes
Figure 5 : Densités de vulpins constatées dans les cultures, notées en classes, en fonction du nombre de cultures de printemps consécutives dans la rotation (66 parcelles).

Les leviers agronomiques présentent en revanche de nombreuses contraintes : économiques d’abord, avec des cultures introduites peu rentables, agronomiques ensuite, avec des contextes pédoclimatiques peu adaptés à certaines cultures, et enfin organisationnelles/sociales - avec du matériel spécifique non présent sur l’exploitation par exemple.

Une autre option possible serait l’utilisation d’un outil permettant de piloter au mieux les applications herbicides hors période de saturation des sols en eau et de risque de transfert des produits. Un projet de ce type est en cours de développement et de validation réglementaire. Basé sur des modèles scientifiques, il est développé en partenariat avec l’INRAE. Cet outil permettrait de positionner les applications d’herbicides d’automne tout en limitant les transferts vers le milieu aquatique en s’appuyant sur la modélisation de l’écoulement des drains selon le contexte agroclimatique de la parcelle.

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