Hypersensibilité au gluten : les variétés sont-elles impliquées ?
Les gliadines et gluténines sont des protéines, dites de réserve, naturellement présentes dans le grain et la farine de certaines céréales, notamment du blé. Lors de l’hydratation d’une farine au cours du pétrissage, ces protéines se réorganisent en formant un réseau de gluten qui confère à la pâte ses propriétés viscoélastiques. Lors de la fermentation, ce réseau retient le gaz carbonique produit par l’activité fermentaire et permet le gonflement de la pâte. Lors de la cuisson, les protéines du gluten se réorganisent encore sous l’effet de la chaleur.
Distinguer allergie, maladie cœliaque et hypersensibilité au gluten
Certaines problématiques de santé sont attachées à la présence de gluten dans les aliments. Ainsi, son rôle a été démontré dans la maladie cœliaque et l’allergie au blé. La maladie cœliaque, encore appelée intolérance au gluten, est une maladie auto-immune qui détruit les villosités intestinales chez 0,5 à 1,5 % des adultes, génétiquement prédisposés. Elle est déclenchée par des séquences de quelques acides aminés que l’on trouve surtout dans les gliadines et, dans une moindre mesure, dans les gluténines. L’allergie au blé concerne 0,5 à 1 % des adultes. Elle se manifeste par des réactions allergiques à certaines protéines du blé. Ces deux maladies sont bien connues et elles imposent aux personnes qui en sont atteintes de bannir strictement le gluten de leur alimentation.
Cependant, des cas de réactions anormales aux aliments contenant du gluten ont été rapportés dès la fin des années soixante-dix, pour lesquelles aucun mécanisme allergique ou auto-immune n’est impliqué. Chez ces personnes, l’ingestion d’aliments contenant du gluten entraîne des symptômes digestifs et/ou extradigestifs variés qui régressent sous régime sans gluten. On parle alors de « sensibilité non cœliaque au gluten » (SNCG) ou d’hypersensibilité au gluten.
En l’absence de tests objectifs, son diagnostic est posé une fois l’allergie au blé et la maladie cœliaque écartées, et sa prévalence reste difficile à établir. Elle concernerait entre 0,5 et 13 % de la population française. De plus, certaines personnes adoptent un régime d’exclusion volontaire au gluten sans diagnostic médical (4 à 8%) et 26 % déclarent essayer d’éviter le gluten sans avis médical.
L’augmentation du nombre de personnes qui suppriment ou diminuent le gluten de leur alimentation questionne la filière céréalière. Depuis la Seconde guerre mondiale, a-t-on sélectionné des variétés de blé plus riches en gluten, ou dont les protéines sont de nature différente, ou encore dont le gluten est plus difficile à digérer ? L’évolution des procédés de panification peut-elle aussi contribuer à ces problèmes ? Beaucoup de questions subsistent, et la responsabilité même du gluten dans cette pathologie est encore sujette à discussion (encadré).
Réchauffement climatique et polymères des gluténinesLes variations de taille et de masse des polymères des gluténines du blé sont causées par des facteurs génétiques et environnementaux. Toutefois, des expérimentations conduites en France entre 2004, 2009 et 2017 ont montré que la température et le stress hydrique ont une influence prépondérante sur les caractéristiques des polymères des gluténines, comparé aux facteurs génétiques pris en compte, qui expliquent moins de 20 % des variations de masse. Ainsi les températures élevées et la sécheresse, de plus en plus fréquentes partout dans le monde, augmentent très significativement la masse de ces polymères.
La quantité de gluten et la nature de ses protéines constitutives n’ont pas fondamentalement changé
Les travaux sur la génétique des constituants du grain et l’amélioration de la qualité des blés de ces cinquante dernières années offrent des possibilités pour interroger ce qui a pu provoquer l’apparition de l’hypersensibilité au gluten.
La quantité de gluten qui est obtenue d’une variété est principalement reliée à la teneur en protéines du grain, elle-même influencée par les techniques culturales (notamment la fertilisation azotée) et par les facteurs agroclimatiques subies par la culture.
Le rendement du blé a augmenté régulièrement au cours du XXe siècle. Cette augmentation s’est accompagnée d’une meilleure efficience des variétés à absorber et à remobiliser l’azote dans la plante. Ce travail de sélection a permis de maintenir une quantité de protéines dans les blés malgré l’effet de « dilution » liée à l’augmentation du rendement. Cependant, d’après les enquêtes annuelles menées conjointement par Arvalis et FranceAgriMer, la teneur moyenne en protéines des blés français était de 12 à 12,5 % avant 1990 et de 11,6 % en moyenne sur la période 1996-2018. Les blés « récents » n’ont donc pas des teneurs en protéines et, par conséquent, des teneurs en gluten, supérieures à celles des blés « anciens ».
Les travaux de sélection ont considérablement amélioré la qualité des blés depuis les années cinquante, et notamment la force boulangère, grâce à une meilleure connaissance des propriétés liées aux types de protéines de réserve (figure 1). Des travaux menés par une équipe de l’INRAE de Clermont-Ferrand ont comparé les protéines de réserve de 135 variétés inscrites en France entre 1949 et 2010. En comparant les variétés « anciennes » (inscrites entre 1949 et 1985) aux variétés récentes, aucune différence significative n’a pu être mise en évidence dans la diversité des protéines de réserve. Si l’abondance et la diversité de ces protéines ne peuvent être mises en cause dans l’apparition de l’hypersensibilité au gluten, qu’en est-il des polymères formés par ces protéines ?
La taille des polymères de gluténines a, en revanche, augmenté
Lors de la maturation de la céréale, les protéines (gluténines et gliadines) synthétisées dans le grain polymérisent sous forme de sous-unités de gluténines de poids moléculaire plus ou moins important. De plus, elles s’agrègent les unes aux autres avec les gliadines pour former des polymères de masse variable. Une étude(1) a montré que la taille des polymères des gluténines est fortement influencée par les conditions agroclimatiques dans lesquelles le blé a été cultivé, notamment la température et le stress hydrique (encadré). Une des hypothèses avancées est le lien possible entre l’augmentation de la masse de ces polymères et l’augmentation de la prévalence de l’hypersensibilité au gluten.
Actuellement, deux projets(2) complémentaires pilotés par l’INRAE de Clermont-Ferrand tentent d’apporter des réponses à cette question. Un premier projet, financé par le Fond de Soutien à l’Obtention Variétale (FSOV), a pour objectif de déterminer si la variabilité génétique des caractères liés à la teneur et à la composition des protéines de réserve et si les propriétés du gluten influencent la digestibilité des protéines du blé. Le dispositif s’appuie sur 75 variétés de blé tendre et 25 variétés de blé dur, représentatives de différentes périodes d’inscription. Ces variétés aux caractères contrastés ont été transformées en pains ou en pâtes selon un procédé standard et digérées in vitro.
Les premiers résultats sur des variétés de blés dur semblent montrer que les variétés anciennes sont plus riches en gliadines qu’en gluténines, alors qu’on trouve toutes les richesses possibles parmi les variétés modernes. Il existe une diversité de digestibilité, nettement corrélée au génotype. Les deux génotypes modernes, caractérisés par des polymères de taille importante, semblent avoir le gluten le moins digestible. Le panel de variétés analysé est toutefois encore trop réduit pour savoir si la sélection moderne a abouti à des variétés aux protéines moins digestes.
Lorsque l’ensemble des variétés de blé dur et tendre du programme FSOV auront été analysées, la prochaine étape sera de voir si le caractère « digestibilité du gluten » peut être amélioré de manière indirecte.
Le lien entre digestibilité des protéines et développement de l’hypersensibilité est étudié dans un second programme, financé par l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR), ainsi que l’impact des procédés de transformation sur celle-ci. Son objectif est de mettre au point des pains spécifiques adaptés aux personnes hypersensibles au gluten. L‘enjeu est d’éviter que ces personnes diminuent leur consommation de produits à base de blé, qui sont sources de fibres, de vitamines du groupe B, de fer et de zinc et de protéines alternatives aux protéines animales - intéressantes dans un contexte d’alimentation saine et durable.
(1) D’après l’article « Quelle hypothèse approfondir pour appréhender la sensibilité non céliaque au gluten ? » de Gérard Branlard et al., in Industries des Céréales n°211, mars-avril 2019 (partie 1) et n°212, mai-juin-juillet 2019 (partie 2).
(2) D’après la contribution « Hypersensibilité au gluten : vers des variétés plus digestes ? » de Catherine Ravel et Emmanuelle Bancel, INRAE-UMR1095 (Clermont-Ferrand) au symposium Phloème 2020.
Autre source : « Le gluten, état des lieux » du Fond français pour l’alimentation et la santé, novembre 2016.
L’hypersensibilité au gluten n’est-elle due qu’au gluten ?La responsabilité du seul gluten dans la SNCG est encore en discussion, car les études qui lui sont consacrées ont utilisé des extraits contenant du gluten mais aussi d'autres composants du blé, aujourd'hui suspectés de pouvoir jouer un rôle dans les symptômes observés. C’est le cas des FODMAPS (fermentable oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides and polyols), qui regroupent des sucres à courte chaîne comme le fructane chez le blé, et d’autres protéines du blé qui s’ajoutent aux protéines de réserve, comme les inhibiteurs amylase-trypsine (ATI). Ces autres protéines peuvent induire une réponse immunitaire et inflammatoire, et sont donc soupçonnées de contribuer aux symptômes de la SNCG.
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