Date et densité de semis des céréales à paille : une réflexion toujours stratégique
Les conseils de date de semis des céréales à paille étaient jusqu’à présent raisonnés en conjonction avec la précocité des variétés, pour éviter autant que possible les principaux accidents climatiques pénalisant les cultures au cours de leur cycle : le gel précoce (avant que les plantes ne soient suffisamment endurcies), le gel à la montaison (en sortie d’hiver ou au printemps, lorsque les céréales passent le stade « Épi 1 cm »), les stress hydriques et thermiques (pendant le remplissage). En tendance, les évènements climatiques que l’on cherchait à éviter répondaient à des risques statistiques connus ; ainsi, pour les producteurs d’une grande moitié Est, un semis d’orge d’hiver après le 1er novembre était tenu pour hasardeux.
La multiplication des aléas climatiques défie le raisonnement historique
Ce raisonnement a longtemps démontré sa robustesse et sa pertinence face à des phénomènes climatiques habituels. Il permettait d’identifier la période offrant la meilleure espérance de rendement en pluriannuel, pour un contexte donné - avec des plages de dates de semis optimales relativement larges et ce, d’autant plus qu’on se décale vers l’ouest.
L’accentuation du changement climatique, que l’on peut aisément mesurer dans nos bases de données, rebat cependant les cartes. Des phénomènes climatiques extrêmes pénalisent de plus en plus souvent les cultures, sans que l’on ait de références sur leurs conséquences, et surtout sans qu’on puisse anticiper leur survenue. C’est le cas, par exemple, de la période de pluie et de nébulosité fin mai/début juin 2016 (qui a généré des pertes de rendement de 20 à 50 %), des gelées d’avril 2017, ou encore des pics de chaleur de fin mai et juin 2017. Ces phénomènes courts apparaissent à des périodes clés des céréales. De plus, une partie des cultures pouvant être synchronisées (intra-espèce, mais aussi inter-espèce, notamment lorsqu’on considère le triptyque colza-blé-orge), les conséquences peuvent être désastreuses.
Les pratiques visant à faire converger les stades des différentes parcelles d’une culture doivent être reconsidérées. Elles apportent évidemment un confort logistique, en regroupant dans le temps les interventions, et elles minimisent a priori les risques climatiques les plus évidents ; mais elles exposent toutes les situations à un même aléa ponctuel. Il faudrait plutôt imaginer la construction d’itinéraires qui augmentent la diversité des stades, avec pour conséquences éventuelles des rendements moyens moindres mais collectivement moins exposés à un aléa climatique ponctuel majeur. Il est également possible de raisonner les dates de semis entre parcelles en fonction de contraintes agronomiques, et d’apprécier le risque d’un choix technique (voir encadré en fin d’article). Ce raisonnement peut se faire à l’échelle d’une culture ou à l’échelle de l’assolement. Il vise à répartir les risques plutôt qu’à rechercher la combinaison la plus performante a priori.
La densité de semis, une décision multifactorielle
La densité de semis à viser(1) dépend en premier lieu du milieu, qui définit un nombre de plantes à obtenir en sortie d’hiver. Pour connaître la densité de grains à semer, il faut intégrer à cette densité de plantes établie deux facteurs correctifs.
Tout d’abord, les risques de pertes à la levée : si la préparation est motteuse, si des ravageurs sont à craindre, si les plantules sont menacées par le gel ou les excès d’eau , si le semis est tardif, les quantités seront majorées de 5 à 40 %. En revanche, la densité de semis pourra être significativement réduite si le sol est très bien préparé ou si la graine est bien placée.
Le second facteur est la faculté germinative (FG), c’est-à-dire le pourcentage de graines qui germent lorsqu’elles sont exposées à des conditions favorables. Les semences certifiées de l’année présentent régulièrement des FG égales ou supérieures à 90, voire 95 %. Par contre, pour des lots de report ou des semences de ferme, ce critère peut chuter à moins de 70 %. Il est donc recommandé de mesurer la FG 2 à 3 semaines avant les semis pour valider la qualité des graines (encadré). Ce contrôle semble encore plus crucial à la suite de moissons présentant de la germination sur pied, comme en 2017.
La densité de semis doit être aussi raisonnée en lien avec la date de semis. Des semis plus tardif s’exposent en effet les plantes à un plus fort risque de pertes à la levée (levée lente, préparation plus grossière), ainsi qu’à un tallage réduit. Ainsi, il ne faut pas craindre d’abaisser significativement les densités de semis pour les implantations précoces (qui talleront abondamment) et d’accroître progressivement le nombre de grains/m2 lorsqu’on avance en saison.
Moduler la densité de semis pour abaisser le risque maladie ou augmenter le pouvoir couvrant est possible mais les enjeux restent faibles, à la différence du risque de verse où une surdensité peut engendrer la fragilisation des tiges.
Attention à ne pas négliger les informations faculté germinative et poids de mille grains : elles peuvent influencer fortement le réglage final du semoir !
Déterminez la faculté germinative de vos semences et calculez la densité de semis(1)(2)
Prélevez 200 à 400 graines (échantillonnage adapté au lot à tester). Placez les graines sur du papier buvard humide, et mettez au froid (4-5 °C) pendant 72 heures pour lever toute dormance résiduelle. Mettez ensuite à température ambiante (20 °C), puis comptez après une semaine ; la faculté germinative (FG) est le rapport du nombre de grains levés sur le nombre de grains initial. La densité de semis recommandée doit donc être corrigée de la façon suivante :
Les recommandations de semis d’Arvalis sont établies en intégrant des niveaux de FG supérieures à 90 %. La conversion du nombre de grains/m2 en kg/ha nécessite d’appliquer une correction avec le PMG :
Quantité à semer par ha (en kg) = Grains à semer par m2 X PMG (en g) / 1OO.
(2) Consultez la calculette « Densité de semis » d’Arvalis: http://oad.arvalis-infos.fr/densitesemis/etape1.asp.
(1) Consultez aussi sur le site arvalis-infos.fr, la rubrique « Résultats d’essais et préconisations ARVALIS » (Choisir & Décider). Sélectionnez, pour la céréale concernée, les « Variétés et interventions d’automne ». Choisissez votre région et téléchargez la version intégrale pour accéder au chapitre « Date et densité de semis ».
Evaluer la possibilité de décaler la date de semis
Le décalage de la date de semis se raisonne en fonction du nombre de jours disponibles pour semer puis désherber, selon le contexte pédoclimatique.
Des essais mis en place par Arvalis ont quantifié l’efficacité d’un décalage de vingt jours de la date de semis du blé tendre. Les populations de ray-grass ont été réduites de 50 à 66 % (essai de Mespuits en 2016 et 2017) et celles de vulpin de 85 % en moyenne (trois essais en 2017 dans le Cher, l’Allier et en Charente-Maritime).
Cependant, retarder le semis peut conduire à semer dans des conditions délicates et limiter les possibilités de désherbage d’automne. La décision d’un décalage de la date de semis implique d’évaluer ce risque. Pour cela, il faut connaître le nombre de jours disponibles pour semer puis désherber à l’automne. À cette fin, Arvalis a développé un outil, dénommé « J-Dispo », applicable aux différents contextes pédoclimatiques. Cet outil repose sur un calcul de l’humidité du sol à l’aide du modèle de culture CHN(1), puis sur l’application de règles de décision définissant si le jour est disponible ou non (sol portant, sol suffisamment frais pour le semis, températures adaptées au désherbage). On calcule ainsi la disponibilité de chaque jour sur les vingt dernières campagnes et le nombre de jours disponibles atteint au moins huit années sur dix.
Dans le cadre d’un colloque sur le désherbage organisé par l’union de coopérative SeVeal en mai 2017, J-Dispo a été appliqué à plusieurs régions agricoles : Champagne crayeuse, Picardie, Brie, Tardenois, Barrois et Champagne humide-Lorraine. Il a été constaté qu’il est globalement possible de décaler le semis de quinze jours et de réaliser un désherbage de prélevée et/ou de postlevée précoce à 1 feuille. Toutefois, dans certaines situations (Tardenois, Barrois, Champagne humide et Lorraine), le désherbage au-delà du stade 1-2 feuilles est compromis sur les semis tardifs ; les désherbages devront donc se faire précocement, ce qui est conseillé en présence de fortes infestations.
Le même calcul, réalisé en Sologne bourbonnaise (sol limono-sableux hydromorphe du nord Allier), montre qu’il est possible d’attendre le 20 octobre pour semer dans les parcelles ayant de forts problèmes d’enherbement. Sur les vingt dernières années, il y a eu au minimum onze jours disponibles pour semer entre le 20 octobre et le 30 novembre. Sur la même période, on atteint au minimum dix-huit jours disponibles huit années sur dix. Le même nombre de jours est disponible en octobre et en novembre pour les applications d’herbicides. Ainsi, retarder le semis d’une vingtaine de jours peut s’avérer efficace pour limiter les levées de graminées automnales. Ce décalage est à appliquer en priorité aux parcelles les plus infestées, en prenant bien soin d’adapter le choix de la variété.
(1) Voir Perspectives Agricoles n° 446, juillet-août 2017, p. 57.
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