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Blé tendre versus rouille brune : les variétés confrontés à l’évolution des pathogènes
Les résistances variétales sont des leviers très efficaces pour lutter contre la plupart des maladies du blé tendre. Même si elles ne sont pas toujours totales, elles font baisser la pression parasitaire et, par conséquent, l’usage des produits phytosanitaires. Mais ce levier efficace présente néanmoins quelques failles. Il est, d’une part, difficile pour une variété de cumuler de bons niveaux de résistance à toutes les maladies qui risquent de survenir tout au long de la période de culture, sans oublier les nombreux autres caractères d’intérêt attendues par la filière (adaptation aux conditions pédoclimatiques, qualités technologiques…).
D’autre part, on constate une érosion du niveau de résistance de certaines variétés qui, après quelques années de culture, ne correspond plus au niveau de résistance noté à l’inscription. En effet, plus un gène (ou une combinaison de gènes) de résistance est cultivé sur de grandes surfaces et sur de nombreuses années, plus il exerce une pression de sélection importante sur les pathogènes, et en règle générale, plus les risques de contournement sont élevés.
Les limites des résistances reposant sur un seul gène majeur
Ce phénomène n’est pas systématique et ne concerne pas toutes les variétés, ni même toutes les maladies. La résistance d’une variété peut provenir de différentes combinaisons génétiques plus ou moins difficiles à contourner pour les pathogènes (tableau 1). Soit elle dépend d’un seul gène majeur de résistance, à effet fort et le plus souvent efficace tout au long de la culture, mais le risque de contournement est alors très important. Soit plusieurs gènes mineurs de résistance sont impliqués, ayant chacun un effet individuel faible mais qui, en association, peuvent conférer à la variété un très bon niveau de résistance. Le risque de contournement rapide est alors considéré comme faible. Ces gènes ne s’expriment parfois qu’au stade adulte, ce qui explique pourquoi certaines variétés a priori résistantes présentent des symptômes en cas d’attaque très précoce, comme cela peut arriver avec la rouille jaune ou l’oïdium notamment.
Excepté pour les quelques gènes connus que les sélectionneurs peuvent suivre dans leurs matériels de sélection à l’aide de marqueurs moléculaires, la sélection des variétés sur leurs profils de résistance repose largement sur l’observation au champ ou en serres. De ce fait, les gènes majeurs à effet fort sont plus simples à sélectionner que les gènes à effet faible - et ils ont l’avantage de procurer une résistance totale tout au long du cycle du blé.
Toutefois, leur utilisation doit s’accompagner de précautions, car en induisant une très forte pression de sélection sur les pathogènes, ils présentent un risque de contournement élevé. De plus, en fournissant une résistance vis-à-vis de toutes les souches utilisées au cours des processus de sélection puis d’inscription, ils masquent le niveau de résistance apporté par d’éventuels gènes mineurs.
Ainsi, les gènes majeurs sont une ressource précieuse mais qu’il convient de bien caractériser, pour veiller à protéger leur efficacité en les diversifiant et en les associant à des gènes mineurs. À ce jour il n’est pas possible d’évaluer avec certitude le risque que présente une nouvelle variété résistante d’être contournée.
Le décryptage du génome du blé et le développement des techniques de marquage moléculaire devraient fournir des boites à outils plus efficaces pour sélectionner et évaluer des variétés ayant des résistances plus durables, et améliorer les connaissances sur leurs déterminismes génétiques.
Des races de rouille brune en évolution constante
La surveillance des races de rouille brune est réalisée annuellement en France par l’Inra-Bioger depuis 1999, avec les participations des sélectionneurs et d’Arvalis. Un échantillon de rouille brune est caractérisé par son spectre de virulence vis-à-vis d’une vingtaine de gènes de résistance du blé (mais aussi à l’aide de marqueurs moléculaires). Ces virulences sont déterminées en fonction du type de symptômes que l’échantillon produit sur une gamme de variétés ne possédant chacune qu’un seul gène de résistance bien identifié.
Ce suivi permet en premier lieu à l’Inra de conseiller les acteurs de la sélection et de l’étude variétale sur les souches de rouille brune les plus pertinentes à utiliser pour évaluer le niveau de résistance des variétés vis-à-vis de cette maladie.
À plus long terme, ces données se révèlent précieuses pour comprendre comment les variétés cultivées influencent l’évolution des souches de rouille brune et, par conséquent, les contournements de résistance variétale. Ces études pourraient déboucher sur des conseils stratégiques de gestion des gènes de résistance et de leur déploiement sur le territoire afin d’augmenter leur durabilité.
Suite à la baisse des surfaces des variétés Isengrain et Soissons, la race de rouille brune 073100, qui leurs était fortement inféodée, a rapidement décliné au début des années 2000 ; elle ne possédait en effet pas les virulences nécessaires pour se développer sur les variétés montantes à cette époque : Apache, Caphorn ou Aubusson. Bien qu’il reste sensible, Soissons apparait aujourd’hui comme un peu moins touché par la rouille brune.
Au milieu des années 2000, en réponse à l’évolution du paysage variétal, notamment avec le développement de combinaisons utilisant le gène Lr37 sur près de 50 % des surfaces en 2007 (Apache, Caphorn, Bermude, Arezzo, Sankara, Altigo, Aubusson…), les anciennes races de rouille brune ont été rapidement remplacées par de nouvelles populations dominées par les familles 106314 et 166 (figure 1). Ces changements de populations ont eu pour conséquence des pertes spectaculaires des niveaux de résistance d’Orvantis, d’Aubusson et de Sankara, notamment.
Depuis 2015, la famille 106314 régresse en faveur de nouvelles souches possédant la virulence 28, et dans une moindre mesure la combinaison de virulences 24 + 28.
Apparition des virulences Lr24 et Lr28 au début des années 2010
Les virulences 24 et 28 ont été rapidement détectées après la mise sur le marché de variétés portant ces gènes de résistance au début des années 2010. En perdant très rapidement leur résistance à la rouille brune, les variétés Aerobic, Acoustic, Athlon et Tobak ont été les premières variétés concernées par ce contournement.
Les dernières données d’enquête disponibles montrent que la fréquence des races virulentes sur Lr28 a connu une très forte progression (16 % en 2016, 41 % en 2017) et qu’elle se maintient en 2018 (42 %, résultats partiels). Cette progression est à mettre en relation avec le développement des surfaces cultivées avec des variétés possédant ce gène majeur de résistance : les variétés dont la résistance repose essentiellement sur Lr28, comme Oregrain, Némo ou Filon, sont de plus en plus régulièrement fortement attaquées par la rouille brune. En revanche Rubisko conserve un assez bon niveau de résistance.
À l’inverse, les surfaces cultivées avec des variétés Lr24 restent modestes, et les races virulentes sur ce gène ont nettement régressé en 2017. Cela explique pourquoi les variétés comme RGT Cesario, Luminon ou LG Armstrong sont restées indemnes de rouille brune dans la plupart des essais en 2017 et 2018. Mais attention, si les variétés porteuses de Lr24 se développent, la virulence correspondante est déjà présente et se développera très rapidement.
Il est conseillé d’éviter les variétés sensibles et assez sensibles à la rouille brune (voir « En Savoir plus ») là où la pression est régulièrement la plus élevée, c’est-à-dire dans le sud de la France, et en particulier dans le Sud-Est et dans la vallée du Rhône. Dans ces zones, les résistances variétales à la rouille brune restent un levier très efficace pour diminuer la nuisibilité des maladies foliaires et donc le recours aux produits de protection des plantes.
Les suivis réguliers des populations de rouille brune et les essais variétaux inoculés et en contamination naturelle mis en place chaque année permettent de mettre à jour régulièrement les notes de résistances des variétés de blé tendre. Mais le potentiel de dissémination par le vent sur de très longues distances des spores de rouille interroge sur la pertinence de l’échelle nationale des réseaux de surveillance. Pour augmenter les chances de détection précoce de nouvelle race émergente faisant courir un risque de contournement de résistance variétale, des collaborations européennes se développent, comme l’illustre le projet H2020 Rustwatch coordonné par M. Hovmoller, de l’université d’Aarhus (Danemark).
Les enquêtes de surveillance des races de rouille brune ont été régulièrement soutenues par le FSOV, par le financement de plusieurs programmes de recherche.
En savoir plusRetrouvez le classement des principales variétés de blé de référence et des variétés récentes vis-à-vis de leur sensibilité à la rouille brune sur http://arvalis.info/1eo.
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