Quand méthanisation et rotations longues améliorent les performances des exploitations

Lors d’un webinaire dédié aux cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) organisé par Agreenium et l’ACTA, Grégory Vrignaud (ACE Méthanisation) a présenté deux exemples éprouvés de systèmes de culture aux rotations allongées comportant des CIVE. De telles rotations répondent aux enjeux agroéconomiques des sols argilo-calcaires superficie
Introduire des CIVE en systèmes céréaliers des zones intermédiaires

Dans le croissant allant de la Charente à la Bourgogne, dit « zones intermédiaires » en raison de leur rentabilité moyenne, la rotation de référence est courte - c’est un colza d’hiver-blé d’hiver-orge d’hiver sur trois ans. Dans ces sols argilo-calcaires superficiels peu propices au labour, les agriculteurs font fréquemment face à des problématiques de graminées résistantes dans les céréales et d’insectes dans le colza, généralement tête de rotation. De ce fait, les exploitations affichent des indices de fréquence de traitements (IFT) élevés. De plus, elles doivent être très vigilantes sur les fuites de nitrate, notamment si elles se trouvent en zones de captage. Leurs marges sont dégradées et, en l’absence d’irrigation, elles rencontrent des difficultés à trouver d’autres débouchés rentables.

Une culture de printemps destinée au méthaniseur

Pour Grégory Vrignaud, de la société ACE Méthanisation qui accompagne des groupements d’agriculteurs ayant un projet collectif de méthanisation, implanter un atelier de méthanisation dans ces régions (encadré) offre l’opportunité d’améliorer l’ensemble des volets agronomiques, économiques, sociétaux et environnementaux des exploitations. En effet, introduire un objectif de méthanisation dans les systèmes de culture les impacte positivement : la couverture du sol s’accroît, des digestats sont mis à disposition pour la fertilisation, la rotation s’allonge et voit souvent l’introduction de cultures de printemps qui rompent le cycle des ravageurs, tandis que le travail du sol diminue en raison d’une plus longue couverture du sol. Il ne s’agit donc pas uniquement d’introduire des CIVE et/ou des cultures dédiées à la méthanisation dans les rotations pour alimenter un digesteur, mais de coconstruire avec les agriculteurs des systèmes de culture plus durables.

 

Bien organiser la méthanisationDans les sols superficiels en système céréalier, il est de plus en plus difficile de conserver une marge d’exploitation suffisante compte tenu du prix des intrants. L’introduction de CIVE est moins destinée à augmenter cette marge qu’à la sécuriser. La dépendance aux intrants est plus faible, et le prix d’achat des CIVE est garanti 15 ans.

L’agriculteur produit, récolte et stocke les CIVE chez lui. La biomasse issue des CIVE est ici livrée à une unité collective de méthanisation mise en place par un groupement d’agriculteur en partenariat avec un développeur-investisseur.

La livraison est effectuée soit par l’agriculteur, soit par le méthaniseur aux fins d'alimenter régulièrement l’installation. La biomasse est achetée entre 95 et 105 € la tonne de matière sèche au départ de la ferme. Le digestat du méthaniseur est intégralement rendu selon une clé d’échange CIVE/digestat et épandu gratuitement au champ.

Étant donné les aléas de levée des CIVE d’été en raison de sécheresses inopinées, il est utile de prévoir dans l’installation de méthanisation un stockage capable d’accueillir une biomasse équivalente à environ 6-8 mois de fonctionnement, afin d’éviter d’avoir à acheter à l’extérieur de quoi approvisionner en continu le méthaniseur.

Un premier groupe d’agriculteurs a expérimenté une nouvelle rotation qui introduit une même année deux cultures à valorisation énergétique : une CIVE, enrichie en légumineuses à hauteur de 15-20 %, qui couvre le sol durant l’interculture précédant une culture de printemps dédiée à la méthanisation. Ni la CIVE ni la culture dédiée ne sont désherbées. La rotation initiale s’étend désormais sur six ans (figure 1).

CULTURE DE PRINTEMPS : source de biomasse pour le méthaniseur, elle casse aussi le cycle des ravageurs

La CIVE est un seigle auquel ont été associés de la vesce et du trèfle. Elle est semée précocement après l’orge, début septembre. La présence des légumineuses favorise la biodiversité grâce à leur floraison mellifère au printemps, et réduit le besoin de fertilisation de la culture de printemps suivante. La CIVE est fauchée avant l’implantation de cette culture de printemps ; elle est alors ensilée et apportée au méthaniseur. Ces mêmes légumineuses enrichissent légèrement le digestat en azote.

Concernant le choix de la culture dédiée au débouché méthanisation, qui ne devait pas être désherbée, le groupe d’agriculteurs a mené un essai en bandes comparant un sorgho fourrager multicoupe à un maïs fourrager. Le résultat est sans appel : faute de désherbage, le maïs disparaît sous les adventices, alors que le sorgho se maintient et nettoie même la parcelle de celles-ci. Le sorgho fourrager s’est ainsi avéré le plus adapté aux objectifs multiples de la nouvelle rotation.

L’introduction d’une culture de printemps parmi les cultures d’hiver crée une rupture dans le cycle des ravageurs et des maladies, ce qui, avec l’absence de désherbage l’année N+3, permet de réduire l’IFT global du système de culture de 1,2 point pour cette rotation longue avec sorgho par rapport à celui de la rotation de référence, de 4,8. En outre, le bilan azoté global à l’échelle de la rotation est amélioré : en effet, toute unité d’azote entrée dans le méthaniseur ressort dans le digestat qui sera ensuite épandu dans les parcelles.

 

Une luzerne à double destination

Le second groupe d’agriculteurs considéraient que faire une culture de printemps étaient trop risqué pour leurs terres superficielles. Ils ont opté pour une luzerne pérennisée sur 2 ans au moins. Pour faire suite à la luzerne, un blé dur a été envisagé - une culture historique dans cette région.

Cependant, avec la rotation de référence colza-blé-orge, les besoins en azote du blé dur (plus élevés pour obtenir la qualité désirée) et la problématique du désherbage (encore moins de molécules en blé dur qu’en blé tendre) ne rendaient pas cette culture toujours rentable jusque-là, malgré son prix de vente supérieur.

La solution expérimentée a été, là encore, d’allonger la rotation à six ans, avec un colza toujours en tête de rotation. Une luzerne (fourragère ou porte-graines) est introduite pour deux ans ou plus après le blé tendre. On y sursème une CIVE de seigle ou de triticale destinée à la méthanisation. Le blé dur est semé après la luzerne.

L’implantation d’une luzerne sur deux ans au moins est un pilier de cette amélioration du système de culture. Étant pluriannuelle, elle limite le travail du sol et les charges associées. De plus, cette légumineuse ne nécessite pas de fertilisation azotée et laisse des reliquats azotés élevés dans le sol pour la culture à paille suivante. Dotée d’un système racinaire puissant et profond, elle peut « remonter » d’autres nutriments qui auraient été hors de portée des céréales. C’est aussi une plante mellifère favorable à la biodiversité, et qui ne nécessite pas un nouveau semis au printemps après la récolte de la CIVE. De plus, lors de sa coupe, les adventices sont fauchées avant de grainer.

Sa destination est double. La première coupe de « nettoyage » en sortie d’hiver est un mélange de seigle/luzerne/adventice et est destinée au méthaniseur. Les coupes suivantes produisent du fourrage et/ou des semences. En septembre, un broyage restituera le regain au sol si la luzerne n’est pas assez développée. D'un point de vue réglementaire, la luzerne en culture principale ne peut être dédiée à la méthanisation que dans la limite de 15 % du tonnage brut de la biomasse en entrée de méthaniseur.

 

Divers modes d’implantation de la luzerne et des CIVE sont possibles

Deux variantes d’implantation de la luzerne et des CIVE ont été expérimentées par les agriculteurs.

La pratique la plus fréquente est de semer la luzerne après le blé tendre (figure 2-A). Une première CIVE de seigle est sursemée en septembre de la seconde année de la luzerne, qui aura été fauchée ou récoltée l’été précédent. Cette CIVE, mêlée à la luzerne, est récoltée au printemps suivant pour la méthanisation. L’association CIVE + luzerne est bien considérée comme une CIVE du point de vue réglementaire, même si la fauche contient environ un tiers de luzerne pour deux-tiers de seigle. Là encore, les digestats issus de cet intrant sont enrichis en azote. Après la fauche printanière de l’association CIVE + luzerne, la luzerne peut repartir et est récoltée en été pour le foin ou les graines.

Dans l’autre variante (figure 2-B), la luzerne est sursemée dans le blé tendre d’hiver en février avant le stade « épi 1 cm » du blé. La luzerne est donc présente à la récolte du blé tendre en juillet. Cependant cette technique d’implantation ne permet pas toujours une présence homogène de la luzerne après la récolte du blé, du fait de la possible absence de précipitations en mai-juin, à l’instar de ces dernières années. Le risque en vaut toutefois la peine, notamment avec des semences de ferme, lorsque le producteur veut gagner une année d’implantation de CIVE.

LUZERNE SEMI-PERMANENTE : deux CIVE sont possibles, et le blé dur gagne en qualité

En septembre de la même année, une première CIVE est semée dans la luzerne encore jeune. L’association CIVE + luzerne est récoltée au printemps suivant pour la méthanisation ou l’ensilage. Puis à l’été, une deuxième coupe de la luzerne est effectuée, pure cette fois ; elle sera valorisée, comme pour la variante précédente, en foin ou en graine.

Pour les deux variantes, une troisième année de luzerne est possible, avec une conduite identique à la deuxième année. Puis la luzerne est ensuite détruite mécaniquement ou chimiquement, voire simplement régulée pour rester en place dans le blé dur. Ce dernier bénéficiera dans tous les cas d’importants reliquats azotés.

Regarder l’intégralité du webinaire « Les cultures intermédiaires à vocation énergétique et leur rôle dans le changement climatique » sur YouTube : https://youtu.be/Cfi_SBHVafM

Grégory Vrignaud - gregory.vrignaud@gmail.com
Paloma Cabeza-Orcel - p.cabeza@perspectives-agricoles.com

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