Transition bas carbone : rémunérer les services environnementaux
Un webinaire (conférence en ligne) organisé fin septembre par l’association Pluriagri(1), dans le cadre d’une réflexion sur la rémunération des services environnementaux rendus par les grandes cultures, s’est penché sur la complémentarité entre le marché de compensation carbone et les politiques publiques.
Le 14 juillet 2021, la Commission européenne a adopté une série de propositions visant à adapter les politiques de l’UE en matière de climat, d’énergie, de transport et de fiscalité. L’objectif ? Réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990. L’Europe veut également devenir le premier continent climatiquement neutre à l’horizon 2050. En bâtissant un nouveau modèle économique, le « Pacte vert pour l'Europe » vise à créer de nouvelles possibilités d’innovation, d’investissement et d’emploi.
La stratégie « De la fourche à la fourchette » (« Farm to Fork »), constitue une des composantes de ce Pacte vert, aussi appelé « Green deal ». Elle fixe un cap ambitieux de transformation de l’ensemble du secteur vers des systèmes alimentaires durables. Cette stratégie sert aussi de cadre de référence pour la mise en œuvre de la Politique agricole commune (PAC). Le Pacte vert vise des revenus justes pour les producteurs et une meilleure valorisation de l’utilité sociétale de l’agriculture.
Les paiements pour services environnementaux (PSE)Les PSE rémunèrent les agriculteurs(trices) pour des actions qui contribuent à restaurer ou maintenir des écosystèmes, dont la société tire des bénéfices (préservation de la qualité de l’eau, stockage de carbone, protection du paysage et de la biodiversité…). Les financeurs peuvent être des acteurs agroalimentaires qui exploitent des ressources naturelles (industriels utilisant des sources d’eau potable avec les agriculteurs(trices) dans les bassins versants), des collectivités territoriales qui souhaitent protéger des paysages, des gestionnaires de milieux qui souhaitent restaurer des continuités écologiques et favoriser la biodiversité, etc.
Une politique volontariste
Appelé « Fit for 55 » (« Paré pour 55 », sous-entendu 55 % de réduction des GES), un paquet de douze propositions législatives, adoptées par la Commission européenne en juillet, décline la stratégie du Pacte vert. Ces propositions concernent l’ensemble des secteurs de l’économie : industries, transports, bâtiment, agriculture ou encore forêt. Les principales mesures qui composent ce « paquet » sont le renforcement et l’extension du marché carbone, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (limiter la concurrence de produits non soumis aux mêmes règles climatiques), l’accélération de la décarbonation de secteurs comme l’automobile ou le bâtiment et le développement de puits de carbone.
"17% des émissions françaises de gaz à effet de serre sont issus des activités agricoles. Toutefois, ces dernières ont un fort potentiel de compensation par le stockage du carbone."
En effet, selon Herwig Ranner, chargé de mission climat à la DG agri de la Commission européenne, intervenu lors du webinaire, on ne pourra pas réduire à zéro les émissions de CO2, il faut donc pouvoir stocker le surplus. Or, constate Herwig Ranner, le stockage du carbone dans les forêts et les sols est actuellement en diminution. Il en conclu que pour atteindre les objectifs européens, il faudrait des règles plus simples et plus transparentes sur les mesures de réduction des émissions de GES et le stockage du carbone. Il ajoute également que le règlement sur l’utilisation des terres et la foresterie (LULUCF - Land use, land-use change and forestry) a un rôle crucial dans l’atteinte de la neutralité climatique. Ce règlement définit plusieurs étapes, d’exigences croissantes, à suivre par les pays de l’UE d’ici 2035. Et de poursuivre « Si on peut réduire les émissions de CO2 de 20% et si le stockage du carbone augmente de 20%, on devrait atteindre la neutralité carbone pour le secteur des terres en 2035 ». C’est pourquoi la stratégie de séquestration du carbone de l’UE repose notamment sur des pratiques agricoles adaptées, validées par des d’études scientifiques.
D’autre part, 40 % du budget de la PAC doit être orienté vers des mesures « climat ». Enfin, le marché du carbone dans l’UE complète le dispositif : des normes et des règles de gestion sont encore à créer, il faut notamment pouvoir mesurer les résultats et s’assurer de la réalité des efforts réalisés par une rémunération suffisamment attractive et des contrôles.
Les Chambres d’Agriculture engagées dans le « label bas carbone »Sébastien Windsor, Président de Chambres d’agriculture France (APCA), a rappelé, au cours du webinaire, le rôle de ces organismes consulaires dans la genèse du label bas carbone. Les Chambres des Pays de la Loire et de Bretagne ont été les concepteurs de la méthode sectorielle « haie », complétée par la méthode « agroforesterie » (APCA), pour labelliser les projets prenant en compte le stockage du carbone par la gestion durable des haies et des pratiques d’agroforesterie. Les Chambres d’Agriculture font ainsi partie des principaux acteurs, via France Carbone Agri Association, de l’accompagnement des projets labellisés « bas carbone » en agriculture lancés en 2020. Elles apportent un appui aux entreprises et aux territoires pour sourcer et mettre en œuvre ce type de projets.
Coordonner les financements
Également intervenue lors du webinaire, Claudine Foucherot, directrice du programme agriculture et forêt de l’Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE), a détaillé les sources de financement de la transition bas carbone.
Elle a ainsi rappelé que les labels de certification carbone existent de longue date : un label onusien depuis 2012, des labels privés et plusieurs labels européens. En capitalisant sur cette expertise déjà acquise, on devrait s’acheminer vers un cadre de certification européen. L’enjeu est de quantifier les impacts climatiques et de garantir l’effectivité actions menées, tout en veillant à ne pas les comptabiliser deux fois (ne pas revendre un même crédit carbone).
À cette fin, quelques grands principes doivent être appliqués selon Claudine Foucherot : en premier lieu, il faut fixer le périmètre des projets. Parle-t-on uniquement de séquestration du carbone ou faut-il également inclure la réduction des émissions de CO2 ? Quelle gouvernance ? Quelle méthodologie commune et quel niveau d’exigence atteindre ? Il existe en effet de multiples référentiels carbone dont les résultats varient selon la prise en compte ou non de différentes pratiques culturales - il y a un débat d’experts sur l’effet du non-labour qui n’est pas encore tranché.
Claudine Foucherot a insisté sur le fait qu’il ne faut pas confondre compensation carbone et certification des projets. Selon elle, les incertitudes qui restent encore sur les effets de la compensation carbone ne doivent pas servir de prétexte pour freiner la certification des projets. Cette dernière poursuit d’autres objectifs que ceux de la compensation carbone, comme par exemple l’obtention de financements publics.
La question des sources de financement est l’autre point important soulevé par Claudine Foucherot. Dans les premiers projets français de gré à gré du marché carbone, les prix de la tonne de CO2 oscillaient entre 30 et 50 euros. Dans d’autres pays, ce prix s’établit autour de deux euros. Claudine Foucherot s’interroge ainsi sur la pérennité de ce système : comment trouver les financements nécessaire si le volume des transactions augmente ?(2)
Pour résoudre cette question Claudine Foucherot ébauche quelques solutions. Du côté des financement privés, on pourrait passer du volontariat à l’obligation, par exemple en ce qui concerne le trafic aérien et les vols domestiques. Les objectifs des industries agroalimentaires pourraient être revus et le « label bas carbone » utilisé pour orienter les retours financiers vers certaines filières. D’autre part, des cofinancements publics pourraient être mobilisés (plan de relance, PAC), notamment pour alléger les coûts de formation des agriculteurs. Partant du constat que les marchés carbone ne feront pas tout, l’important, pour Claudine Foucherot, est de coordonner les différentes sources de financement, afin d’additionner les projets tout en évitant leur surfinancement.
Le service « Soil capital Carbon »Parmi les nouveaux acteurs de la gestion du carbone, Soil Capital, une société européenne de conseil agronomique fondée en 2013 et composée de 25 personnes, propose un service d’accompagnement des agriculteurs et de rémunération par la commercialisation des certificats carbone générés sur leurs exploitations. Le programme « Soil Capital Carbon » est ouvert aux producteurs de grandes cultures en conventionnel, en transition ou en bio. L’agriculteur s’acquitte d’une cotisation annuelle de 980 € HT, couvrant en partie l’accompagnement proposé par Soil Capital, et reçoit une rémunération en fonction des mesures qu’il s’est engagé à respecter pendant cinq ans.
À titre d’exemple, pour une exploitation qui émet 1,5 t C02/ha et qui passe à 0,73 t/ha, le gain (net du coût du diagnostic) est de l’ordre de 2600 euros/an. Dans le cas d’une exploitation déjà en transition qui stocke du carbone (-1,2 t C02 émis/ha) le gain net s’élève à 4500 euros/an environ.
Un simulateur gratuit est proposé sur le site internet pour tester les impacts de son exploitation : www.soilcapital.com/fr.
De la théorie économique à la pratique
Cecilia Bellora, du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), s’est ensuite intéressée aux impacts du commerce sur l’environnement. Un des débats entre spécialistes est de savoir s’il est préférable de concentrer la production sur des terres très productives, en préservant ainsi plus de terres pour la biodiversité (land sparing), ou au contraire s’il faut étendre les surfaces cultivées avec des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement (land sharing). Le débat est notamment compliqué car la réponse varie selon les espèces à protéger.
Pour Cecilia Bellora, la recherche en économie apporte un cadre conceptuel clair mais l’approche empirique débouche sur beaucoup de cas particuliers. Au-delà des effets directs du transport des marchandises (émissions de gaz à effet de serre, diffusion des espèces invasives...), les travaux théoriques ont mis en évidence trois principaux mécanismes par lesquels le commerce peut avoir un impact sur le changement climatique. « L’effet d’échelle » se définit par un accroissement du commerce qui induit une augmentation de la production et des émissions de gaz à effet de serre. Un autre effet dit « de composition » provient du déplacement de la production des biens et des services en fonction des avantages comparatifs des pays. Selon les coûts, la production peut être relocalisée vers des pays à fortes ou faibles émissions de GES. Enfin, un « effet technique » rend disponibles certaines technologies, ou réduit leur coût, ce qui modifie les modes de production et l’intensité d’émission des GES.
Toutefois, les effets additionnels de ces trois mécanismes sont inconnus. Ils dépendent des partenaires et des politiques de chaque pays. Les politiques unilatérales sont vectrices « d’effets de fuite » comme le déplacement de la production « sale », si le commerce est peu cher, ou le développement de marchés de l’énergie (marchés carbone), selon le prix de l’énergie fossile. On assiste alors à une opposition entre pollution locale et pollution globale. Le prix du carbone étant encore relativement faible, ce marché a donc peu d’impact sur ces fuites. Le risque est ainsi que les efforts de réduction des émissions de carbone soit compensés par ces effets de fuites. C’est là qu’interviennent les outils de politique commerciale. On peut réduire les effets de fuite en limitant les importations de produits ne respectant pas les mêmes règles de production. Cela passe par des mesures non tarifaires (normes) ou des tarifs douaniers, dans le cadre de négociations multilatérales ou d’accords bilatéraux ou régionaux. L’approche contractuelle des accords bilatéraux offre plus de marge de manœuvre, elle permet d’inclure des clauses non commerciales, comme donner l’accès à un marché contre le respect de mesures environnementales. Toutefois, se pose la question de l’efficacité de ces clauses : en l’absence de sanctions prévues à l’avance, elles sont alors peu contraignantes. Ce type d’accord est également confronté à la difficulté de définir des critères environnementaux mesurables, par exemple en ce qui concerne la biodiversité, et doit être compatible avec les accords existants sur le libre-échange(3).
Cecilia Bellora rajoute que les effets de fuites proviennent des politiques hétérogènes. Le commerce peut ainsi être un levier pour amener les partenaires à faire converger leurs points de vue.
(1) Pluriagri est une association qui regroupe Unigrain (céréales), le Groupe Avril, Terres Univia (oléoprotéagineux), la CGB (blé), l’ARTB (betterave à sucre) et le Crédit Agricole. Elle finance des recherches prospectives sur l’évolution des marchés et des politiques agricoles.
(2) NDLR : cette problématique est accentuée dans le contexte actuel d’envolée des prix de l’énergie qui pousse les opérateurs à utiliser davantage de charbon, ce qui renchérit le prix de la tonne de CO2.
(3) NDLR : c’est un des enjeux que le gouvernement français se propose de porter lors de la Présidence française de l'Union européenne qui commence pour six mois en janvier 2022. Il s’agit, à terme (ce qui peut encore prendre plusieurs années), de faire accepter aux partenaires commerciaux le principe de « clauses miroirs » consistant à appliquer aux produits importés les mêmes règles qu’en Europe.
Benoît Moureaux - b.moureaux@perspectives-agricoles.com
0 commentaire
Réagissez !
Merci de vous connecter pour commenter cet article.