Stockage du carbone & réduction des émissions de GES : quelles sont les pratiques les plus efficaces ?

Cultures intermédiaires, prairies temporaires, agroforesterie intraparcellaire, fertilisation modifiée, légumineuses… Une dizaine de leviers sont mobilisables en grandes cultures pour favoriser le stockage du carbone dans le sol et diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole.
Comment les grandes cultures peuvent baisser la concentration en GES

En 2018, selon les inventaires du Citepa(1) le secteur agricole contribuait à hauteur de 19 % aux émissions françaises de gaz à effet de serre (GES). Ce secteur est notamment le principal contributeur aux émissions de protoxyde d’azote (N2O), avec 88 % de ces dernières.

Selon les objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone, afin d’arriver à la neutralité carbone en 2050, les émissions de GES du secteur agricole doivent être diminuées de moitié. À cette fin, le maximum de leviers de réduction connus devra être mis en œuvre.

Le stockage de carbone dans les sols devra, quant à lui, compenser les émissions restantes. Actuellement, à l’échelle de la France, les sols cultivés déstockent du carbone (-170 kg C/ha/an(1)). Les leviers mobilisables pour augmenter le stockage du carbone dans les sols - ou au moins limiter son déstockage - sont bien connus.

Globalement, toutes les pratiques qui restituent davantage de biomasse au sol augmentent les stocks de carbone.

Des études scientifiques ayant effectué la synthèse des travaux expérimentaux permettent de quantifier les impacts des différentes pratiques. L’étude « 4 pour 1000 » d’INRAE(2) apporte ainsi des informations sur les potentiels d’amélioration atteignables à l’échelle de la France entière, par la mise en œuvre de leviers applicables en grandes cultures (tableau 1).

STOCKAGE DU CARBONE : des leviers agronomiques efficaces existent

Sur l’exploitation, les chiffres diffèreront de ceux du tableau en fonction du contexte pédoclimatique et des pratiques antérieures. Le stockage étant réversible, les pratiques vertueuses doivent être pérennisées. Des estimations plus précises de l’impact des leviers peuvent être réalisées à l'aide d'outils utilisant des modèles de simulation du bilan humique tel que le modèle AMG (encadré).

L’évolution des matières organiques dans le sol modéliséeAMG est un modèle de bilan humique développé par INRAE, Agro-Transfert, Arvalis et le LDAR, en collaboration avec Terres Inovia. Il est décliné dans différents outils (SIMEOS-AMG ou CHN-AMG par exemple) qui simulent l’impact de changements de pratiques sur le stockage du carbone dans les sols. Il peut ainsi aider à choisir les leviers adaptés à la parcelle et à l’exploitation pour augmenter ce stockage.

Plus d'informations dans l'article : « Systèmes de culture innovants : évaluer l’évolution du statut organique des sols », Perspectives Agricoles n°466, mai 2019.

Un potentiel important associé aux cultures intermédiaires

Dans les zones vulnérables, la directive Nitrate n°91/676 a imposé une généralisation de la couverture automnale des sols depuis 2012, avec toutefois de nombreuses dérogations. Or, en France il reste possible d’allonger la durée des cultures intermédiaires déjà présentes et d’en implanter là où il n’y en a pas encore.

Ces mesures concernent les cultures intermédiaires « pièges à nitrates » (CIPAN), qui sont entièrement restituées au sol, mais aussi les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) qui, malgré leur récolte, restitueront des racines et des chaumes qui contribueront aux apports de carbone au sol.

Les restitutions de biomasse par les cultures principales peuvent aussi constituer un levier d’action, via les pailles ou les choix d’espèces ; le colza associé, le colza et le maïs étant en première ligne. L’insertion de nouvelles prairies temporaires ainsi que le développement de prairies artificielles (luzerne, trèfle violet) ou de prairies multi-espèces riches en légumineuses est également efficace.

Ces leviers peuvent offrir d’autres bénéfices : diminuer l’IFT, réduire l’érosion des sols ou encore améliorer la biodiversité des organismes aériens et souterrains.

De nouvelles ressources de matières organiques exogènes

Les matières organiques exogènes - produits résiduaires organiques (PRO) ou matières fertilisantes d’origine résiduaire (MAFOR) - incluent toutes les matières organiques qui ne sont pas directement issues de la parcelle cultivée sur laquelle elle est apportée. Actuellement, à l’échelle du pays, la quasi-totalité des effluents d’élevage et une partie non négligeable des autres PRO, sont déjà épandus sur les sols agricoles.

Le potentiel de stockage additionnel de ce levier concerne donc surtout les nouvelles matières exogènes, principalement issues du traitement des effluents de l’industrie agroalimentaire ou des biodéchets, à condition qu’ils soient conformes à la réglementation et ne posent pas de problème d’acceptabilité sociale.

À l’échelle de la parcelle, tout apport de nouveau produit organique contribuera à augmenter le stockage de carbone dans le sol. L’augmentation du stock dépend de nombreux facteurs : la fréquence et les doses d’application, les caractéristiques de la matière organique apportée et les conditions pédoclimatiques.

La réduction du travail du sol ne modifie pas les stocks de carboneLes méta-analyses les plus récentes étudiant l’effet de différents types de travail du sol sur le stockage du carbone concluent que le stockage additionnel dans la couche de surface des sols (0-30 cm) des systèmes de culture en semis direct serait beaucoup plus faible que ce qui avait été mis en avant il y a quelques années. Ce stockage additionnel est négligeable dans nos climats tempérés. La réduction du travail du sol ne constitue donc pas un levier permettant de stocker plus de carbone dans les sols. Il n’en reste pas moins intéressant pour répartir la matière organique en surface, et ainsi contribuer à la réduction des risques de battance ou d’érosion, par exemple.

Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre ?

L’étude INRAE Pellerin 2013(2) a identifié et chiffré les dix actions les plus efficaces et dont la mise en œuvre est possible par les agriculteurs (tableau 2).

ÉMISSIONS DE GES : des changements de pratiques peuvent les réduire fortement

En grandes cultures, les quantités de GES émises proviennent surtout de la fertilisation azotée : par des émissions directes au champ de N2O, mais aussi par des émissions indirectes en amont de l’exploitation, lors de la fabrication des intrants. Bien que minoritaire en quantité d’azote perdu, les émissions de N2O ont un effet de serre très puissant - environ 300 fois plus que le CO2.

En productions végétales, les leviers identifiés visent à agir sur ces émissions de N2O. En plus de la baisse des quantités d’engrais azotés, l’application des bonnes pratiques d’apport constitue un levier pertinent pour réduire ces émissions. Certaines techniques permettent de limiter les pertes au moment des apports : le fractionnement (dont l’objectif est de synchroniser les apports avec les périodes de besoin de la culture), le respect des conditions d’apport optimales (avant les pluies, afin de valoriser les apports), ou encore l’enfouissement.

Le choix des engrais peut également avoir un impact : on préférera les formes d’engrais avec inhibiteurs de la nitrification ou de l’hydrolyse de l’urée. Les propriétés physico-chimiques du sol ont aussi un effet sur ces émissions ; les pratiques limitant les tassements ou encore le recours au drainage réduisent les émissions de N2O. En outre, le pH du sol a un impact sur l’activité des micro-organismes responsables des émissions de N2O.

D’autres leviers sont efficaces à l’échelle, cette fois, de la rotation, comme l’introduction de légumineuses, afin d’augmenter l’autonomie vis-à-vis des engrais azotés et de diminuer les besoins en azote des cultures suivantes. Les résidus de culture et les couverts intermédiaires peuvent être source de N2O lors de leur décomposition, en plus des émissions liées aux apports d’azote ; il est donc important de raisonner à l’échelle de la rotation.

Le CO2 issu des combustibles fossiles constitue le deuxième poste d’émission des exploitations de grandes cultures. Réduire la consommation d’énergie fossile sur l’exploitation est donc un levier d’action non négligeable.

Complémentarité et antagonisme des pratiques

Sur une exploitation, l'effet global des leviers est la résultante des effets des actions visant à favoriser le stockage de carbone dans les sols ou à réduire les émissions de GES. Certaines actions peuvent avoir des effets contradictoires vis-à-vis de l’objectif climatique. Ainsi, la restitution des résidus de culture peut augmenter le stockage de carbone, mais être aussi responsable d’une augmentation des émissions de N2O. Autre exemple : la réduction de la fertilisation diminue les émissions de GES mais peut conduire à une baisse des rendements des cultures, et donc à une baisse des restitutions de carbone au sol. Il est donc nécessaire de comptabiliser systématiquement les deux composantes pour chaque levier et de combiner les actions utiles sur les deux volets (GES et stockage).

Il est également intéressant de noter que les leviers sélectionnés peuvent contribuer à des bénéfices associés, comme des diminutions d’IFT, la réduction de l’érosion des sols ou encore l’amélioration de la biodiversité des organismes aériens et souterrains.

(1) D’après l’étude INRAE (Sylvain Pellerin et al. 2020) réalisée pour l’ADEME et le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation : « Stocker du carbone dans les sols français : quel potentiel au regard de l’objectif 4 pour 1000 et à quel coût ? ». Le rapport complet est consultable sur http://arvalis.info/25x. Plus d'informations dans l'article précédent.

(2) Rapport de l'étude INRAE réalisée pour le compte de l’ADEME, du MAAF et du MEDDE - Juillet 2013 : « Quelle contribution de l’agriculture française à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Potentiel d’atténuation et coût de dix actions techniques ». Le rapport complet est consultable sur http://arvalis.info/25y

Hélène Lagrange - h.lagrange@arvalis.fr
Anne-Sophie Perrin - as.perrin@terresinovia.fr
Morgane Henaff - mhenaff@agrosolutions.com

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