Pomme de terre : L’eau, un facteur de production et de durabilité
Depuis la mise en place des agences de l’eau, la directive cadre sur l’eau (DCE 2000) et la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (2004, 2006), les prélèvements en eau pour l’irrigation sont soumis à des limitations quantitatives, selon le contexte météorologique de l’année, pour gérer les conflits d’usage, notamment dans les zones de répartition des eaux (ZRE).
Les travaux d’Arvalis sur la gestion de l’eau en culture de pomme de terre ont concerné, dans les années 1996-2010, l’efficience du matériel d’irrigation, ainsi que le développement d’outils d’aide au pilotage et les stratégies d’irrigation. Depuis 2005, ces travaux se sont orientés sur les prises de décisions pluriannuelles et la gestion de l’assolement à l’échelle de l’exploitation, en lien avec les conditions restrictives et les volumes limitants. Ils répondent aux projections sur le climat, dans un horizon proche (2021-2050), montrant une hausse des températures moyennes entre 0,6 et 1,3°C et une augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été (Jouzel et al., 2014)(1).
Les déficits pluviométriques observés depuis 2016, la sécheresse et les vagues de chaleurs de l’été 2018, s’accompagnant de restrictions des usages de l’eau, témoignent de l’actualité de cette problématique. Déjà cette année, depuis le 19 avril, le préfet de la région Hauts-de-France a limité les consommations en eau, jusqu’au 30 juin prochain, l’hiver 2018-2019 présentant un déficit de 20 % par rapport à la normale.
Maîtriser le rendement et la qualité
Le choix d’irriguer dépend de nombreux facteurs : débouché et critères de qualité, rentabilité économique de l’irrigation, pérennité de la culture de la pomme de terre, disponibilité des ressources en eau et adéquation du type de matériel d’irrigation à la structure de l’exploitation.
Durant les deux phases du cycle de la pomme de terre (mise en place du pool de tubercules et grossissement), l’approvisionnement en eau joue un rôle essentiel dans l’élaboration du rendement. Pendant la phase de grossissement, l’irrigation fournit, en moyenne, un gain de 2 t/ha pour 25 mm d’eau apportés.
Sur le plan de la qualité, en cas de déficit en eau pendant la phase de grossissement, les tubercules sont généralement plus riches en matière sèche et en nitrates. En cas d’excès, l’irrigation peut favoriser le développement de plusieurs maladies fongiques ou bactériennes (mildiou, gale commune en réseau, dartrose, jambe noire et pourriture molle). Par ailleurs, une alimentation hydrique irrégulière entraîne des « repousses physiologiques » (germination, tubérisation en chapelet, déformations des tubercules, voire, tubercules vitreux) ou des craquelures.
Des outils pour faciliter les décisions en cours de campagne
Afin d’éviter ces écueils, et compte tenu des enjeux de gestion de la ressource, un pilotage précis de l’irrigation s’avère nécessaire. Il s’appuie, en premier lieu, sur l’estimation de la quantité en eau du sol disponible pour la plante, puis sur la stratégie de conduite de la culture, définie selon les objectifs de production.
Une des approches est la mesure directe avec des capteurs de l’état hydrique du sol. Les informations collectées, associées à des mesures issues de pluviomètres, alimentent des outils d’aide à la décision, reposant sur un ensemble de règles de déclenchement des apports.
Une autre approche est la détermination de l’évolution du stock en eau du sol, à partir d’un modèle de bilan hydrique, selon le type de sol, la culture en place, les stades et les données météorologiques. Ces deux approches, notamment développées par Arvalis dans certains de ses outils, sont complémentaires. L’utilisation de capteurs au champ apporte une estimation locale plus exacte mais l’interprétation peut être rendue délicate selon la représentativité du site de mesure, de l’enracinement, du type de sol et de la profondeur de la mesure. Le bilan hydrique représente une période de calcul plus pertinente, à condition toutefois de bien estimer les paramètres en entrée.
Optimiser les performances des systèmes d’irrigation
L’efficacité de l’irrigation ne dépend pas seulement de la stratégie adoptée. Le projet « IRRIPARC » (2000-2002) mené par Arvalis et l’Irstea avait pour objectif de mieux connaitre les effets du vent sur la répartition de l’eau d’irrigation. Les résultats se sont traduits par l’établissement de valeurs de référence pour affiner les réglages influant sur la répartition de l’eau d’un canon d’irrigation.
Plus récemment, le projet « EDEN » (2012-2014, Irstea, Arvalis, CA 31 et 47, CACG) a mis au point un diagnostic de la consommation et de l’efficience de l’eau d’une part, ainsi que des performances énergétiques des installations d’irrigation d’autre part.
Irriguer en conditions restrictives
Les travaux concernant les conditions restrictives ont démarré dès le début des années 2000 avec le projet QUALTEC, en vue de proposer des itinéraires techniques durables. A Saint-Quentin, dans l’Aisne, plusieurs essais ont été menés afin d’établir des règles de conduite avec un volume en eau disponible de 900 m3/ha. A titre indicatif, dans ce contexte agropédoclimatique, les volumes nécessaires huit ans sur dix sont de 1 800 m3/ha pour les variétés demi-précoces de type Bintje (production de frites) et 1 200 m3/ha pour les variétés à chair ferme de type Charlotte. Grâce au modèle décisionnel pluriannuel IRMA (Inra, Arvalis), des stratégies « à dire d’expert » ont été testées afin de définir les besoins en eau selon des scénarios de sécheresse contrastés et en fonction de la physiologie, du groupe de précocité et du type de débouché.
À partir de 2012, les règles de décision et les références des essais ont été testées sur cinq variétés précoces à demi-précoces (Marabel, Agata, Lady Claire, Innovator et Bintje). Selon ces travaux, pour les variétés de consommation précoces destinées au « marché du frais », ayant une faible biomasse et un début de sénescence précoce, il vaut mieux irriguer assez tôt pour assurer le nombre de tubercules initiés et l’efficacité de la tubérisation (limitation de la régression), tout en maintenant une biomasse foliaire suffisante. À contrario, pour les variétés de transformation, à biomasse plus élevée et à début de sénescence plus tardive, l’irrigation doit avoir comme objectif un bon développement des tiges et des feuilles afin d’obtenir un grossissement convenable des tubercules;
Une gestion également collective
Dans un contexte de restriction des usages de l’eau, le rapport Bisch(2) de mai 2018 (CGEDD, CGAAER) propose au gouvernement et aux acteurs territoriaux une série de recommandations pour la mise en place d’une « cellule d’expertise relative à la gestion quantitative de l’eau pour faire face aux épisodes de sécheresse ». En parallèle, le gouvernement porte les assises de l’eau (printemps 2018-printemps 2019), réunissant les acteurs publics et privés autour de plusieurs thèmes, concernant entre autres l’agriculture, pour développer des modèles économes en eau, réduire les pollutions, préserver les milieux et favoriser les projets de territoire de gestion de la ressource en eau. Ces assises devraient aboutir à une restructuration des financements et des actions de l’État et des collectivités locales.
Arvalis est aussi partie prenante dans l’accompagnement de la gestion collective et territoriale de l’eau. Des travaux ont été réalisés en 2012 dans le bassin Oise-Aronde (département de l’Oise) afin de construire des stratégies d’irrigation adaptées aux réductions de volume d’irrigation. Le projet « Eauption plus » (encadré) a également testé des méthodes d’ajustement de l’itinéraire technique selon différents scénarios de ressource restreinte.
Tolérance à la sécheresse des variétés de pomme de terre
Les seize essais du réseau « Eauption plus »* ont montré que, sur dix variétés de pomme de terre, les pertes de production varient fortement d’une variété à l’autre. En phase d’initiation, les effets sont négatifs sur le rendement et sur le nombre de tubercules pour les classes de calibre de plus de 35 mm à la récolte.
Les forts stress hydriques en phase de grossissement agissent de façon plus marquée sur le nombre de tubercules pour les classes de calibre supérieures à 50 mm. Il a ainsi été mis en évidence que les stratégies de conduite de la culture, en fonction des variétés, dépendent de la biomasse et du groupe de précocité. Ce jeu de données a servi à adapter l’outil « DiagVar » à la pomme de terre dans le cadre du projet « CarPoStress »** et à le tester sur plus de vingt variétés. DiagVar (diagnostic agronomique et caractérisation variétale) est une méthode d’analyse des essais variétaux et de sélection aux stress, dont le stress hydrique. La figure 2 illustre des résultats obtenus en 2012, 2013 et 2014. Cet outil caractérise le comportement des variétés vis-à-vis des stress par l’analyse des interactions génotypes-milieu. Destiné aux sélectionneurs et aux expérimentateurs, il pourrait devenir un allier pour la sélection de variétés moins gourmandes en eau, ou encore, pour améliorer le conseil sur le choix variétal en fonction des milieux, du risque climatique et des stratégies d’irrigation.
* : OPTimiser la gestION de la ressource en EAU, 2009-2014 (Arvalis, Inra, UNILET, CA hauts-de-France, GITEP, CTPT, Pom’Alliance, OPLVERT). Plus d’informations sur www.agro-transfert-rt.org/projets/eauptionplus.
** : projet CTPS « CarPoStress » (caractérisation du comportement envers des facteurs limitants), 2011-2014, porté par Arvalis en partenariat avec Agro-Transfert Ressources et Territoires, le Comité nord plants et l’Inra, complété par le projet « CarPoTige » conduit par Agro-Transfert (2014-2015) dans le cadre de l’appel à projet Expérimentation de France AgriMer.
Des recherches à poursuivre
À l’échelle de la plante, la variété (groupe de précocité et exigence en eau) est un premier levier pour ajuster les apports en eau (encadré). D’autres travaux de recherche sont nécessaires pour mieux caractériser la consommation en eau, notamment par rapport à la biomasse aérienne produite et au développement du système racinaire.
À l’échelle de la parcelle et de l’exploitation, une meilleure connaissance du sol (nature, profondeur, texture) permettra de mieux interpréter et calibrer les outils de pilotage pour les choix tactiques au cours de la campagne. L’amélioration de l’efficience des systèmes de distribution et du matériel réduira les pertes et facilitera la gestion des conditions restrictives (nombre de tours d’eau et quantité).
Les projections vont dans le sens d’une réduction de la pluviométrie, d’une augmentation de la demande climatique et d’épisodes orageux plus fréquents. Des travaux complémentaires sont ainsi nécessaires pour quantifier les marges de manœuvre de l’ensemble des leviers à l’échelle de l’exploitation, en synergie avec les ressources territoriales.
(1) www.meteofrance.fr/climat-passe-et-futur/le-climat-futur-en-France
(2) www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.09.25_rapport_mission_bisch.pdf
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