Physiologie des céréales à paille : comment se constitue la fertilité des épis ?

Le nombre de grains par épi est une composante cruciale dans l’élaboration du rendement des céréales. Cependant, à la différence de la densité d’épis, très visuelle, la fertilité des épis est difficile à évaluer rapidement au champ, ce qui peut parfois engendrer des surprises à la récolte - bonnes ou mauvaises.
Tout savoir sur la fertilité des épis des céréales à paille

L’épi des céréales à paille est issu de la différenciation de l’apex de chaque talle. Il se développe progressivement depuis la fin du tallage jusqu’à son apparition au stade « Épiaison ».

Pour produire un épi, l’apex doit d’abord subir une transition florale, c’est-à-dire une modification physiologique déclenchée par des facteurs environnementaux : cumul de températures, vernalisation et/ou durée du jour. Cette étape conduit l’apex à cesser de produire des ébauches de feuilles, et à produire des ébauches d’épillets et de fleurs qui constitueront l’épi. Cette transition, non réversible, est visible dès la fin du tallage lorsqu’on observe à la loupe binoculaire la différenciation de l’apex et l’apparition de futures glumes et glumelles.

L’épi de blé est donc constitué d’un empilement d’épillets rattachés au rachis. Chacun des épillets est lui-même constitué d’un ensemble de fleurs, dont certaines donneront des grains alors que d’autres avorteront. La combinaison du nombre d’épillets sur l’épi et du nombre de grains présents dans chaque épillet constitue la composante « fertilité de l’épi », ou plus exactement le nombre de grains par épi.

Par comparaison, les escourgeons (orges « 6 rangs ») présentent des épillets à trois grains, alors que les orges « 2 rangs » présentent des épillets unifloraux, et donc un seul grain par épillet. La structure de l’épi du blé dur, du triticale et du seigle est très similaire à celle du blé tendre, avec toutefois un nombre supérieur d’épillets sur les épis de triticale et de seigle.

L’épi se structure progressivement, de la fin du tallage jusqu’à la floraison

Les épillets sont insérés de manière alterne (flèches) le long du rachis (pointillés). Les plus développés se situent au milieu de l’épi ; ils présentent fréquemment cinq fleurs ou plus (ellipses rouges), pour 2 à 5 grains.

Le développement et la croissance de l’épi débutent à la fin du tallage par la production des épillets sur l’apex (stade « Double ride »). Le nombre d’épillets ne dépend pas uniquement de facteurs génétiques mais aussi des conditions climatiques, de la dynamique de croissance du couvert et du développement de la plante, ainsi que du rang de la talle. Ainsi, les épis des maitres-brins et des talles principales présentent plus d’épillets que les « tardillons », ces petits épis émis tardivement et qui peinent à arriver à maturité dans le couvert.

Chez le blé, l’arrêt de la production d’épillets sur l’épi est déterminé lors de la constitution de l’épi : il existe un stade « Épillet terminal » au cours de la montaison, où le sommet de l’apex finalise le sommet de l’épi et lui donne son aspect caractéristique. Par opposition, les orges, et en particulier les escourgeons, ne présentent pas de stade « Épillet terminal » ; la constitution d’épillets le long du rachis est « indéterminée » et conduit à un excès d’épillets. Un nombre variable d’entre eux régresse en fin de montaison, en laissant un petit fil blanc, vestige de l’extrémité du rachis.

Lorsque le nombre d’épillets sur le futur épi est figé, chacun de ces épillets se différencie en une succession de fleurs dont la production est d’autant plus rapide que la croissance de la tige est dynamique. Cette étape privilégie les épillets du centre au détriment de ceux à la base et au sommet de l’épi.

Une abondance de fleurs qui ne donneront pas toutes des grains

NOMBRE DE GRAINS PAR ÉPI : les épillets centraux donnent plus de grains

La production de fleurs est pléthorique : leur nombre est deux à trois fois plus grand que le nombre final de grains. La phase de régression qui suivra, inéluctable, se déroule pendant la phase de gonflement et d’épiaison.

Parallèlement à la formation et la fixation du nombre de fleurs fertiles, la qualité du pollen se met en place entre les stades « Dernière feuille étalée » et « Gonflement » : il s’agit de la méiose pollinique. Un défaut de constitution des grains de pollen peut avoir des répercussions très fortes sur la fécondation ultérieure.

La finalisation du nombre de grains par épi est atteinte lorsque les fleurs fertiles sont effectivement fécondées, lors de la floraison, sous réserve qu’il n’y ait pas d’accident ultérieur, qu’il soit d’ordre climatique (pic de température très élevé) ou pathologique (attaque de cécidomyies, développement de fusariose). Ainsi, la répartition des grains dans l’épi suit une distribution relativement constante, en lien avec l’histoire de la formation de l’épi. Les épillets du milieu de l’épi présentent un nombre supérieur de grains par rapport aux épillets du haut et du bas de l’épi (figure 1).

La concurrence intra-épi, intra-plante et inter-plante module fortement la croissance de l’épi

À la différence des grains qui, durant leur remplissage, sont les seuls organes de la plante encore en croissance significative, les épis se forment à une période du cycle où d’autres organes (les derniers étages foliaires, le pédoncule et les racines) sont encore en croissance et constituent donc des « puits » pour les produits de la photosynthèse qu’ils doivent se partager.

Si la photosynthèse est limitée - en raison d’un déficit de rayonnement, d’un stress hydrique ou azoté, de la nécrose précoce du feuillage causée par des pathogènes ou encore de l’altération du métabolisme par des viroses ou une phytotoxicité -, la formation de l’épi est affectée de manière quasiment irréversible. Les épillets basaux régressent et des grains avortent, limitant ainsi le nombre de grains potentiels.

De la même manière, une concurrence s’exerce entre talles d’une même plante, et entre plantes au sein d’un couvert. Au sein d’une plante, on peut observer une décroissance du nombre de grains par épi en fonction du rang des talles, le maitre-brin étant plus fertile que les talles. Ceci peut s’expliquer d’abord par la durée de différenciation de l’apex dans chacune des tiges : le maitre-brin étant plus précoce, il dispose de plus de temps pour construire son épi. C’est aussi en raison du dimensionnement supérieur des appareils foliaires et racinaires des tiges les plus âgées comparé aux plus jeunes.

Au sein d’un couvert, les différentes tiges entrent en concurrence pour la lumière principalement, mais aussi pour l’eau et l’azote. Si la concurrence est réduite du fait d’une faible densité de couvert, on observe presque systématiquement un accroissement de la fertilité des épis, ce qui compense dans une certaine mesure la perte de potentiel de rendement induit par la faible densité d’épis (figure 2).

DENSITÉ DE COUVERT : quand la concurrence inter-plantes est moindre, la fertilité des épis augmente

Accidents climatiques : la fertilité de l’épi est particulièrement affectée par le gel

Les importants défauts de rayonnement peuvent faire chuter fortement le nombre de grains par épi (ici sur une orge « 2 rangs », en 2016).

Les aléas climatiques peuvent altérer très significativement la fertilité des épis. En effet, l’épi en formation est un organe sensible : au gel d’abord, car il présente des structures très turgescentes, mais aussi aux ralentissements de croissance. L’exemple d’avril 2021 rappelle que les températures gélives peuvent affecter la formation de l’épi. Heureusement, au sein d’un couvert, toutes les tiges ne sont pas totalement synchrones : les talles sont légèrement en retard par rapport au maitre-brin. Cela limite le risque de destruction totale d’une parcelle par une chute brutale de température pour peu que l’épisode soit de courte durée.

La sensibilité au froid semble évoluer au cours de la montaison : les dégâts ne semblent se manifester qu’en dessous de - 6 à - 8°C pour des cultures au stade « Épi 1 cm », alors que les parcelles au stade « 2 nœuds » sont affectées dès - 4°C ; et qu’à partir du stade « Dernière feuille », toute gelée significative peut altérer les épis en formation.

Selon le stade et l’intensité du gel, les symptômes sur épi sont variables. Pour les gels précoces ou les plus sévères, les apex des talles les plus âgées sont totalement détruits ; les talles restantes montent à épi et les remplacent. Lorsque les gels sont plus tardifs et moins marqués, il peut y avoir des destructions partielles d’épis qui, dans ce cas, ne peuvent pas être remplacés.

Le manque ou l’excès d’eau peut aussi affecter la fertilité des épis, mais l’impact est moins évident, car ces stress affectent en premier lieu la montée à épi, et donc la densité de la végétation. Dans ce cas, les effets à l’échelle de la parcelle peuvent être atténués par compensation partielle par les tiges restantes si les conditions redeviennent favorables. Néanmoins, les épis formés lors d’une sécheresse marquée ou pendant une période de carence azotée présentent plus fréquemment des épillets régressés à leur base, voire à leur sommet.

Les accidents autour de la floraison peuvent eux aussi affecter le nombre de grains par épi, le plus souvent du fait d’un défaut de fécondation (stérilité du pollen) ou d’un avortement précoce. Outre les facteurs biotiques déjà mentionnés et les pics de fortes températures caractéristiques des secteurs chauds, les défauts de rayonnement et les excès de pluies tels que ceux observés fin mai 2016 peuvent faire chuter fortement le nombre de grains par épi.

Les épisodes de gel courant montaison peuvent provoquer des brûlures de feuilles et des destructions partielles ou totales d’épis.

La fertilité de l’épi et sa plasticité varient fortement d’une variété à l’autreLe facteur génétique impacte fortement le nombre de grains par épi : à la fois la valeur moyenne (c’est pourquoi la fertilité moyenne de l’épi est parfois mentionnée dans les profils des variétés), mais aussi sa variabilité. Il a ainsi récemment été démontré, dans le cadre du projet FSOV PlastiX(1) (2018-2022), que certaines variétés de blé tendre présentent un nombre de grains par épi relativement stable, alors que d’autres modulent plus fortement cette composante pour s’adapter au contexte cultural.

Cette plasticité, également rencontrée chez certaines variétés de maïs, ouvre la porte à de nouveaux travaux d’amélioration variétale, notamment pour proposer des variétés plus aptes à compenser d’éventuels défauts de peuplement au début du printemps dus à des pertes de pieds pendant l’hiver, à un tallage altéré par l’excès d’eau ou une carence azotée, ou encore à un désherbage mécanique trop agressif.

(1) Plus d’information sur le projet sur https://www.fsov.org/plasticite-des-composantes-de-rendement-des-cereales-a-paille

Jean-Charles Deswarte - jc.deswarte@arvalis.fr
Avec la collaboration de Christine Girousse et Vincent Allard (INRAE)

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