Tallage du blé : ce qui le favorise
Le tallage est l’émission de ramifications latérales depuis la base de la céréale. Ainsi, chaque individu porte plusieurs inflorescences lorsque les conditions de croissance le permettent. Il s’agit d’une aptitude générale des poacées, c’est-à-dire des graminées. Cependant, pour quelques cas particuliers tel que le maïs, cette propriété a pratiquement disparu en conditions standards de culture. Il faut néanmoins distinguer le tallage, qui est issu d’un bourgeon axillaire de la tige principale, de la croissance végétative par rhizome ou stolon comme chez le chiendent.
Pour comprendre l’origine des talles et des épis qui en sont issus, il faut revenir à la structure de la plante de blé telle qu’on pourrait la voir à la loupe en hiver, ou l’observer en la décortiquant au printemps.
Au commencement était le phytomère
Au niveau de l’embryon dans la graine, l’apex au stade végétatif émet successivement des structures, les phytomères, composées systématiquement de trois éléments : l’ébauche d’une feuille, un nœud et un bourgeon axillaire.
Entre la levée et la transition florale, la tige principale d’un pied de blé, appelée brin maître, va constituer dix à quinze phytomères végétatifs, et donc autant de feuilles et de bourgeons axillaires, cachés le long de la tige à l’aisselle de la feuille (figure 1).
Ce sont les bougeons des premières feuilles qui, en sortant de leur dormance et en poussant à leur tour, vont produire les talles. Ces talles sont elles-mêmes, à l’image du brin maître, constituées de phytomères qui contiennent des feuilles, des nœuds, et des bourgeons.
Une fois la transition florale passée (courant tallage), les apex situés à l’extrémité des tiges vont cesser de constituer des phytomères végétatifs, pour construire progressivement des épis. Dès lors, il n’y a plus d’émission de nouveaux bourgeons axillaires. Cependant, ceux déjà émis mais qui restaient dormant peuvent à leur tour pousser si les conditions culturales le permettent. C’est, par exemple, le cas après une fauche ou d’une destruction (par la grêle, par exemple) en fin de montaison.
Les talles sont donc initiées à la base du brin maître, mais elles produisent des feuilles et des racines qui vont progressivement les rendre autonomes. Elles complètent donc non seulement la production de la tige principale, mais peuvent même s’y substituer en cas de destruction de celle-ci - par un gel printanier, une attaque de ravageur.
Ainsi, un pied de blé sera systématiquement capable d’émettre des talles, étant donné que les bourgeons sont fabriqués en même temps que les feuilles. Et à l’extrême, les bourgeons axillaires des premières talles peuvent à leur tour se développer : apparaissent alors des talles secondaires.
Cependant, toutes les talles ne se développent pas : certains bourgeons restent dormants, d’autres commencent leur croissance mais régressent en cours de montaison ; c’est le tallage « herbacé ». Seule une minorité de talles produit effectivement un épi portant des grains ; on parle de « tallage-épi ». Un pied de blé isolé et convenablement alimenté pourra donc produire plus d’une dizaine d’épis ; à l’inverse, dans les cas les plus contraignants, seul le brin maître montera à épi.
Quels facteurs favorisent le tallage ?
Évidemment, l’aptitude à taller dont bénéficient les céréales ne s’exprime pas de la même façon dans toutes les situations. Les facteurs environnementaux, notamment nutritionnels et culturaux, comme génétiques impactent la capacité à émettre des talles, mais aussi à les maintenir jusqu’à l’épiaison.
Chez le blé, l’émission des talles semble essentiellement contrôlée par deux facteurs : la densité de végétation du couvert et le statut azoté.
Pendant le tallage, la plante perçoit la densité de végétation dans son entourage direct (sur quelques centimètres à décimètres) à travers la modification du signal lumineux - plus précisément, via l’équilibre entre le rouge clair et le rouge sombre. Plus la densité de végétation est élevée, plus l’émission des talles sera inhibée. Une telle inhibition s’observe notamment dans des parcelles à forte densité de végétation, ou à pression adventice élevée : les plantes émettent alors moins de talles (encadré).
L’azote intervient également, en modulant la réponse du blé à la densité de végétation. Quand l’azote est très disponible, les plantes émettent plus aisément des talles, tout en respectant la chronologie d’émission, à savoir une talle tous les 100 à 150°C-jours. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer des parcelles en situation d’hydromorphie, où l’absorption de l’azote est pénalisée par l’excès d’eau, et des parcelles saines avec un précédent libérant de l’azote, tel qu’une légumineuse.
Ainsi, l’azote n’accélère pas le rythme d’apparition des talles, mais il augmente la probabilité qu’une talle soit effectivement émise. La situation de la fin d’automne 2022 est donc à ce titre une bonne illustration de conditions favorables au tallage herbacé : le cumul précoce de températures a permis aux bourgeons de se mettre en place, et la disponibilité de l’azote dans le sol a souvent été non limitante en raison d’une minéralisation estivale élevée et de l’absence d’excès d’eau automnal.
Le tallage est cependant très sensible à la sécheresse, comme on peut parfois l’observer en orge de printemps (cas du printemps 2022), mais aussi dans les pays où le blé est cultivé en situations stressantes dès le début de son cycle, comme en Australie ou sur le pourtour méditerranéen. Dans ces circonstances, le tallage herbacé peut être très fortement réduit, et irrémédiablement pénalisant pour l’élaboration du rendement.
Quand le tallage rattrape un accident de culture
L’avantage évolutif que le tallage a apporté aux graminées est donc double. D’une part il leur permet de moduler la quantité de végétation (et donc d’organes reproducteurs) en fonction de leur environnement : il y a aura une seule inflorescence si les conditions sont stressantes, et de multiples si elles sont favorables. Le tallage les rend aussi capables de redémarrer du pied en cas de destruction des tiges principales. En céréaliculture, ces caractéristiques sont exploitées et apportent une stabilité à la production de graines.
Cependant, le tallage n’est pas juste une réplication de la tige principale. Nos observations ont montré que le nombre de grains par épi, et même le poids moyen de mille grains sont décroissants en fonction du rang de la tige. En d’autres termes, le brin maître porte, hors accident climatique, l’épi le plus pourvu et le plus lourd.
Si les talles ne présentent pas la même productivité que le brin maître, la plasticité du tallage, c’est-à-dire sa capacité à émettre des épis supplémentaires en cas de faible densité de plante, reste le meilleur facteur de rattrapage d’une culture. On l’observe notamment lors d’abaissements de la densité de semis.
Ceci ne doit cependant pas conduire à viser un tallage abondant comme une source de stabilisation : un excès de talles peut être préjudiciable, en induisant une fragilité des tiges (risque de verse) et une consommation précoce des ressources (mobilisation de l’azote dans des tissus non utiles, forts besoins en eau dès la montaison). Il ne faut pas perdre de vue que le rendement optimal d’une céréale à paille est obtenu avec deux à trois épis par plante : le brin maître et une ou deux talles seulement.
On constate qu’une faible densité de plantes par m² est essentiellement compensée par une différence de tallage-épi, et dans une moindre mesure par une fertilité de l’épi et un poids de mille grains (PMG) en hausse. Le tallage est donc le premier facteur de stabilisation du rendement.
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