Favoriser la biodiversité : des actions possibles dans et aux abords des parcelles
Les articles précédents de ce dossier ont illustré la présence forte de la biodiversité en milieu agricole et les relations étroites entre celle-ci et l’agriculture. Les paysages agricoles sont, en effet, des écosystèmes où se déroulent des interactions complexes entre différents organismes. Que ces relations se nouent dans le cadre d’une chaîne alimentaire ou concernent l’accès aux habitats, elles contribuent à réguler l’abondance et la diversité de chacun des organismes, et donc à créer un équilibre.
Cependant, l’agriculteur façonne le paysage au travers de la conduite des cultures et de l’aménagement des bords de champs et, par conséquent, modifie les ressources alimentaires et les habitats disponibles pour la biodiversité, ce qui conditionne à son tour les espèces présentes.
Chaque action induit une perturbation de l’écosystème agricole et péri-agricole, qui est suivie d’une période de transition et du retour à un nouvel équilibre. L’évaluation de cette évolution est complexe, du fait des nombreux organismes impliqués et de leurs interactions. Grâce à notre compréhension (encore partielle) de l’écologie des espèces, il est possible d’anticiper les conséquences de certaines de ces actions sur la biodiversité et de proposer celles qui la favoriseront.
Agir à l’échelle des parcelles
La biodiversité est affectée par des facteurs aux échelles très petites comme la parcelle, avec les pratiques associées, et plus larges comme les bords de champs ou le paysage, via les éléments paysagers sur l’exploitation ou dans un espace géographique plus vaste (voir l’article précédent). Pour prendre en compte la préservation de la biodiversité, voire la favoriser, les actions de l’agriculteur doivent porter sur ces deux échelles.
Cet article aborde les leviers d’action à l’échelle de la parcelle et de ses abords immédiats. Le point clé du raisonnement est d’assurer le « gîte et le couvert » à la biodiversité. Pour cela, il faut générer de la diversité, à la fois dans les pratiques et les espèces végétales, dans l’espace et dans le temps.
À l’échelle de la parcelle, plusieurs pratiques influent sur la biodiversité, et notamment la couverture du sol. En culture ou en interculture, c’est un facteur favorable à la faune du sol, que les organismes vivent dans le sol ou se déplacent à sa surface. Ainsi, une couverture permanente du sol favorise les populations de carabes, grâce à la moindre perturbation du sol et au maintien de l’humidité en surface. Une étude menée par le CRIT Innophyt en 2004 a montré que trois ans après la mise en place de cette pratique, la communauté de carabes s’est diversifiée (71 espèces contre 39) et est plus abondante. La présence d’espèces plus sensibles comme Carabus auratus a également été notée.
La diversité des espèces végétales est, elle aussi, bénéfique à la biodiversité. En particulier, l’espèce ou le mélange d’espèces choisi en interculture comme en culture peut avoir des effets très favorables sur les auxiliaires, notamment floricoles(1) : les abeilles domestiques et sauvages, mais aussi les syrphes, les coccinelles, les chrysopes et les hyménoptères parasitoïdes (figure 1). Certaines espèces végétales comme la féverole, cultivées en association durant l’interculture ou en culture, créent des conditions particulièrement favorables via la production de nectar extrafloral, très accessible aux insectes à langue courte comme certains syrphes.
La présence de différentes familles botaniques offre une meilleure continuité des ressources grâce à une palette de périodes de floraison plus larges. Les cultures d’oléagineux et de légumineuses offrent une telle palette : le colza fleurit dès la sortie de l’hiver, le pois et la féverole au printemps, le tournesol en été, la luzerne offre une deuxième floraison en septembre et certaines espèces d’interculture comme les vesces fleurissent encore avant la période hivernale. L’outil Interapi informe sur les caractéristiques agronomiques et mellifères d’une quarantaine d’espèces végétales d’interculture et aide ainsi au choix d’espèces favorables à l’abeille domestique. Les outils d’aide à la décision (OAD) « Choix des couverts » et ACACIA peuvent aider à sélectionner une ou plusieurs espèces nectarifères à implanter en interculture et à composer ses propres mélanges d’espèces (voir « La boîte à outils »).
LA BOÎTE À OUTILS Voici une liste non exhaustive d’outils qui vous aideront à gérer et à favoriser la biodiversité au sein et autour de vos champs.
1- Choisir des espèces végétales favorables à l’abeille domestique : l’outil « Interapi » est accessible via le lien https://interapi.itsap.asso.fr
2- Choisir des espèces végétales favorables aux auxiliaires volants : l’outil « Choix des couverts » est accessible via le lien http://www.choix-des-couverts.arvalis-infos.fr. L’outil ACACIA est accessible via le lien http://arvalis.info/238.
3- Indicateur agroécologique des bordures extérieures de champs : plus d’informations sur l’outil « Ecobordure » en suivant le lien http://arvalis.info/239.
4 -Choisir les espèces des éléments semi-naturels en fonction des insectes à favoriser et du secteur géographique : plusieurs outils sont à votre disposition sur http://arvalis.info/23c; http://arvalis.info/23a ; http://arvalis.info/23b
L’entomofaune volante, parmi laquelle on peut citer les syrphes, les névroptères, les insectes parasitoïdes et les abeilles sauvages et domestiques, est, de manière générale, très sensible aux applications d’insecticides. Les préparations commerciales présentent des niveaux de sélectivité variables vis-à-vis des différentes familles d’auxiliaires. Cependant, il reste important de réduire au maximum les risques d’exposition de cette faune utile car ces organismes de petite taille, avec une cuticule (« peau ») fine, n’ont pas développé de capacité de détoxification.
La réalisation des traitements en fin de journée dans le respect de la règlementation réduit fortement leur exposition aux produits par contact direct. Il existe cependant d’autres voies d’exposition, notamment via l’ingestion de nectar, de pollen, d’exsudats ou d’eau contenant des résidus de traitement. L’exposition à ces produits peut avoir des effets non seulement létaux mais aussi entraîner des modifications physiologiques et comportementales appelés effets « sub-létaux » : sans entrainer la mort, ils réduisent néanmoins les performances des individus, comme cela est bien documenté chez l’abeille domestique ou chez des espèces de parasitoïdes du genre Trichogramme. Chez les insectes sociaux, ces atteintes peuvent même, dans certains cas, avoir des répercussions sur les congénères non exposés.
Il est préférable de réduire le travail du sol des parcelles
Le travail du sol est un facteur potentiellement très impactant pour certains organismes, auxiliaires ou non, qui passent tout ou partie de leur cycle de vie dans le sol (figure 2).
C’est le cas des vers de terre, dont la population change suivant le type de travail du sol. Les différents types de travail du sol ont des conséquences diverses mais généralement importantes sur les populations d’auxiliaires dont les larves sont terricoles : des conséquences directes, via la destruction des larves ou leur mise à jour à la merci des prédateurs et du dessèchement, mais aussi indirectes, par la modification des habitats et le changement de la répartition spatiale des éléments nutritifs. C’est notamment le cas des larves de carabes, qui vivent jusqu’à quatre ans dans le sol. Or celles-ci sont souvent plus efficaces que les adultes pour lutter contre les ravageurs : 80 % sont carnivores, alors que les adultes sont prédateurs opportunistes ou omnivores (figure 3).
L’effet du travail du sol sur les larves d’auxiliaires varie selon la période à laquelle ce travail est effectué. Par exemple, un travail du sol intensif (avec retournement et/ou trop fréquent) sélectionne les espèces les plus tolérantes face à cette perturbation. Celles-ci se développent et deviennent abondantes alors que les autres disparaissent ; les communautés sont alors dominées par un petit nombre d’espèces. Or, la diversité est un paramètre important pour assurer la stabilité et la résilience de l’écosystème. Plus une communauté est diversifiée, plus il y a de chance que la régulation des bioagresseurs soit efficace. Globalement, les travaux effectués au printemps sont plus impactant.
Aménager le paysage entre les parcelles
Une autre échelle pour laquelle plusieurs leviers favorisant la biodiversité sont disponibles est celle des espaces semi-naturels. Ce terme recouvre des éléments surfaciques comme les jachères, et des éléments essentiellement linéaires comme les haies et les bandes herbacées ou fleuries (qu’elles soient semées ou non). Les organismes y trouvent des ressources alimentaires alternatives (notamment lorsqu’elles ne sont pas disponibles dans les parcelles agricoles), ainsi qu’une zone refuge, d’hivernation ou de reproduction. Ce sont également des endroits propices au déplacement et à la colonisation de multiples zones du paysage.
À l’échelle de l’exploitation, il est intéressant dans un premier temps de repérer quels sont les espaces semi-naturels existants, puis de modifier leur gestion de façon à optimiser les effets positifs sur la biodiversité. Un diagnostic peut s’avérer nécessaire. Plusieurs outils ont été développés dans cet objectif. C’est le cas d’Ecobordure (voir « La boîte à outils ») qui évalue la qualité écologique des bords de champs à partir d’une observation de la flore qui les compose. Selon que la bordure est de type adventice, prairiale ou de lisière, des conseils sont apportés pour faire évoluer sa gestion afin d’optimiser ses effets protégeant la biodiversité sans favoriser la dissémination d’espèces invasives dans les parcelles.
L’objectif est de fournir en continu abri et nourriture à la faune, notamment auxiliaire, par la diversité des pratiques agricoles et des espèces végétales dans et autour des parcelles.
Selon les éléments semi-naturels déjà présents, il est ensuite possible de déterminer les endroits où en créer de nouveaux. Le facteur principal à prendre en compte pour décider de leur localisation est d’augmenter la connectivité entre les éléments semi-naturels. Leur composition végétale doit également être réfléchie. Pour les haies et les bandes fleuries, prévoir une floraison débutant tôt et étalée dans le temps afin d’attirer et de maintenir les insectes floricoles à proximité des parcelles. L’ensemble de la chaîne alimentaire pourra ensuite se mettre en place avec l’arrivée d’oiseaux se nourrissant de baies et/ou d’insectes, par exemple. Il faut donc envisager l’implantation d’une diversité de modes de gestion comme d’espèces végétales. Cette diversité favorisera également la création d’une variété d’habitats et de micro-habitats, et donc de conditions favorables à un plus grand nombre d’organismes.
Des travaux de recherche récents ont abouti à l’établissement de listes d’espèces à implanter en fonction des insectes à favoriser et du secteur géographique (voir « La boîte à outils »).
Les pratiques favorables à la biodiversité enfin reconnues
Valoriser les actions de l’agriculteur en faveur de la biodiversité représente une reconnaissance à la fois sociétale et économique. Cette valorisation se fait soit par la labellisation, soit directement par la contractualisation.
La certification « Haute Valeur Environnementale » (HVE) est la seule certification environnementale française à caractère officiel (à côté de l’agriculture biologique). Elle valorise par labellisation certaines pratiques favorables à la biodiversité telles que l’allongement des rotations, qui permet d’augmenter la diversité d’espèces végétales cultivées sur l’exploitation, ainsi que la présence d’éléments semi-naturels favorables et d’infrastructures agroécologiques (IAE) telles que les linéaires de haies et de bandes enherbées, les prairies permanentes, les bosquets et arbres isolés, etc.
De même, les services rendus à la biodiversité font partie des considérations de « Paiement pour Services Environnementaux » ; il s’agit de dispositifs contractuels entre l’agriculteur et un acheteur volontaire privé qui rémunère un ou des services environnementaux sur le résultat d’un engagement allant au-delà du respect de la réglementation. Ce cadre a d’ailleurs inspiré les réflexions des « ecoshemes » de la future PAC.
Le maintien ou l’augmentation de la biodiversité fait également souvent partie des « co-bénéfices » recherchés pour une valeur réhaussée des projets « Bas carbone », qui vendent les réductions de gaz à effet de serre sur le marché volontaire (PSE pour le service d’atténuation du changement climatique). C’est le cas des projets qui s’appuieront sur la méthode « Label bas carbone » des grandes cultures, en cours d’instruction par le Ministère de la Transition écologique au premier trimestre 2021.
(1) Qui se nourrissent sur les fleurs.
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