Alternariose de la pomme de terre : la menace fantôme
La plupart des champignons du genre Alternaria sont saprophytes : ils dégradent la matière organique du sol ou des tissus végétaux en décomposition. Toutefois, certaines espèces ont acquis des caractères pathogènes capables de causer des maladies chez de nombreuses plantes. Dans le cas de la pomme de terre, A. alternata est souvent considéré comme un parasite de faiblesse, tandis qu’A. solani est considéré comme un pathogène plus agressif. Néanmoins la situation est plus complexe.
En effet, la fréquence réelle de la maladie et la composition des deux sections du genre Alternaria ont été caractérisées par des analyses visuelles et génétiques de feuilles symptomatiques effectuées de 2016 à 2020. Ainsi, sur pomme de terre, la section Alternaria est représentée par les espèces A. arborescens (52 %), A. alternata (43 %), et A. gaisen (15 %) qui semblent bien présentes en tant qu’opportunistes (espèces saprophytes), et la section Porri, par les espèces pathogènes A. solani (67 %) mais également A. protenta (26 %) et A. grandis (7 %). Ces résultats ont démontré qu’un complexe d’espèces est responsable des symptômes de l’alternariose.
Une maladie désormais mieux connue
Les symptômes en végétation de l’alternariose sont généralement caractérisés par des taches brun-noir qui dessinent des cercles concentriques en forme de cibles. Ils peuvent toutefois être confondus avec des lésions dues à la pollution à l’ozone, une carence en magnésium, diverses brûlures, ou encore la sénescence de la plante. Ces confusions sont très fréquentes : elles constituent en moyenne environ deux-tiers des cas supposés d’alternariose, et même plus en début et milieu de saison.
L’alternariose est en effet une maladie de fin de cycle, étroitement liée à la sénescence de la plante, qui ne peut se développer sur des organes végétaux trop jeunes. Pour le confirmer, Arvalis a réalisé un suivi épidémiologique (des analyses ADN de feuilles symptomatiques et des captures de vols de spores). Durant les quatre années, la présence d’Alternaria section Porri n’a été détectée sur aucun échantillon avant la seconde quinzaine d’août, malgré des symptômes supposés dès le mois de juillet ! Ainsi, en 2021, les premières détections de la maladie ont été observées seulement à partir du 7 septembre.
Dans une optique de protection intégrée des cultures, la lutte contre l’alternariose de la pomme de terre repose d’abord sur la prophylaxie, grâce à des pratiques limitant les stress sur la culture et les facteurs favorisant la maladie. Il faut donc veiller à apporter une fertilisation et une irrigation équilibrées, et limiter l’inoculum en détruisant les résidus de culture infectés, les repousses et les adventices-hôtes (solanacées).
Il est important de noter qu’au cours des quatre ans du projet, la nuisibilité de l’alternariose sur le rendement a été nulle - pas de différence significative entre un témoin non traité et une modalité traitée systématiquement depuis juillet. Cela confirme son caractère secondaire sur la pomme de terre comparé au mildiou.
Toutefois, dans des cas extrêmes et rares, non observés dans le cadre du projet, la nuisibilité sur la culture peut être assez forte, et un traitement fongicide préventif peut alors s’envisager. Reste à savoir quand il est utile de traiter contre l’alternariose.
Des traitements appliqués souvent trop tôt
Les résultats du piégeage des spores en 2018 et 2019 montrent que la présence des espèces non pathogènes de la section Alternaria est globalement très faible ou nulle. Les pics de spores des espèces de la section Porri sont d’intensité variable d’une année à l’autre ; ils ont été, par exemple, faibles en 2019 comparé à 2018, et absents en 2020 et 2021, même en fin de saison.
Le projet SYTRANSPOM1 a démontré que les traitements appliqués fin juin ou début juillet n’ont aucune efficacité contre l’alternariose, car la maladie apparaît plus tard en France : les contaminations ont lieu plutôt autour de la mi-août, lors du retour des pluies (figure 1-A), avec une explosion des symptômes fin septembre-début octobre en lien avec la sénescence naturelle des plantes (figure 1-B).
Avec l’arrivée tardive de la maladie, le premier traitement n’était pas utile avant la semaine 33, voire la semaine 34 (fin août).
Du côté des produits, aucune différence significative d’efficacité entre les substances actives n’a été mesurée dans les essais français, excepté pour le mancozèbe, à l’efficacité légèrement inférieure aux autres produits (mais cette spécialité a été depuis retirée du marché français).
Premières résistances détectées sur le territoire français
Deux familles de molécules sont classiquement utilisées en France contre l’alternariose de la pomme de terre : les triazoles et les QoI2 (notamment les strobilurines). Les SDHI2, utilisés dans d’autres pays, ne sont pas encore autorisés en France.
Pour la première fois en France, la présence de mutations dans les gènes cibles de fongicides utilisés contre cette maladie (QoI et SDHI) a été détectée. Ces mutations sont présentes à des fréquences plus faibles que dans les pays limitrophes mais restent significatives, même pour le gène Sdh bien que les SDHI ne soient pas utilisés en France contre l’alternariose de la pomme de terre. La surveillance de ces populations doit être poursuivie afin de gérer les modes d’actions des fongicides le plus durablement possible, en minimisant la sélection de populations pathogènes plus résistantes.
Complexe d’espèces fongiques pathogènes et non pathogènes responsables des symptômes, symptômes trompeurs, maladie tardive et peu nuisible ayant développé des résistances (SDHI, QoI) : au regard de ces informations, l’usage d’un traitement spécifique contre l’alternariose peut être légitimement remis en question dans la majorité des cas.
Si on y ajoute l’objectif de réduction de 50 % de l’usage de produits phytosanitaires en 2025 (plan Ecophyto II+), il paraît pertinent d’économiser des traitements contre cette maladie secondaire sur une culture de pomme de terre dont l’indice de fréquence de traitement (IFT) est déjà alourdi par la lutte contre le mildiou ; l’IFT-fongicide a ainsi été de 11,7 en 2017 ! D’autant plus qu’il existe des produits commerciaux ciblant les deux maladies.
L’OAD développé par Arvalis (encadré) permettra d’éclairer la décision de traiter ou non, contribuant ainsi à la baisse de l’IFT et à la gestion des résistances.
(1) Des chercheurs des laboratoires HEPH-Condorcet, Carah-asbl (Belgique), PCA-Kruishoutem (Belgique), Inagro (Belgique), et Arvalis-Villers-St Christophe et Boigneville participent au projet, ainsi que la Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais.
(2) Les QoI (quinone outside inhibitor) sont une famille de fongicides qui inhibent la chaîne respiratoire des champignons. Les SDHI sont une famille de fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase, une enzyme de la respiration cellulaire des champignons.
Mileos : un nouveau module pour mieux gérer l’alternarioseL’alternariose est une maladie tardive, peu nuisible, et qui possède des résistances vis-à-vis des substances actives actuelles et futures (SDHI). Comment savoir s’il est nécessaire de traiter, et comment faire pour gérer le développement des populations résistantes ? Arvalis a développé un outil d’aide à la décision (OAD) pour positionner le premier traitement et apprécier la pertinence d'un renouvellement.
L’activité de modélisation s’est focalisée sur un modèle informatique de l’alternariose adapté aux conditions du nord de la France. Deux modèles ont d’abord été développés : l’un pour établir la date de sensibilité de la plante à la maladie et le second, le modèle FACT, pour identifier les jours à risque à partir de cette date de sensibilité.
La validation de ce dernier modèle a montré l’importance de tenir compte de la précocité des variétés de pomme de terre pour définir le seuil à partir duquel elles deviennent sensibles à l’alternariose. Ce seuil a été déterminé pour une variété demi-tardive à tardive (Amyla) et devra être ajusté pour les autres précocités. Il a ainsi été possible de valider le modèle pour le futur OAD « Alternariose » qui, en France, sera intégré début 2023 sous forme d’un module complémentaire à l’outil Mileos pour des tests à grande échelle. Il sera mis en production en 2023 ou 2024.
Cet OAD aura pour objectif d’éviter à l’agriculteur d’appliquer un traitement contre l’alternariose trop tôt en saison ou quand le risque est absent, réduisant ainsi l’impact des fongicides sur l’environnement. Il sera ainsi un allié pour gérer le développement des résistances décelées chez Alternaria spp.
Pierre Deroo - p.deroo@arvalis.fr
Denis Gaucher - d.gaucher@arvalis.fr
Romain Valade - r.valade@arvalis.fr
Paloma Cabeza-Orcel - p.cabeza@perspectives-agricoles.com
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