Peut-on vraiment atteindre la multiperformance ?

Depuis dix ans, le projet Syppre met à l’épreuve du terrain divers systèmes agroécologiques, dans l’objectif d’atteindre la triple performance : technique, environnementale et économique. Ses conclusions sont autant de clés pour faire évoluer son système.
L’ensemble des résultats des plateformes Syppre ont été présentés lors de colloques aux champs entre mai et octobre 2024.

L’ensemble des résultats des plateformes Syppre ont été présentés lors de colloques aux champs entre mai et octobre 2024.

La durée et l’implantation des essais Syppre permettent aujourd’hui de produire des conclusions statistiquement valides sur l’efficacité de divers systèmes agroécologiques comparés à des systèmes traditionnels optimisés.

Rappelons que dans chaque région, les premiers ont été imaginés en capitalisant sur l’expertise collective d’agriculteurs locaux, de partenaires économiques et des instituts techniques et ont pour objectif d’atteindre a priori la multiperformance.

Pour en savoir plus : www.syppre.fr


Il est évident que l’effet du système est très fort sur l’atteinte de certains critères de performances. Par exemple, tous les systèmes innovants voient leurs performances techniques et environnementales améliorées comparativement aux témoins. En revanche, seuls deux systèmes innovants sur cinq atteignent une marge et une productivité équivalentes aux témoins (tableau 1). Atteindre la multiperformance est, dans la majorité des situations, incontestablement un défi.

Systèmes innovants : les performances techniques et environnementales sont presque toujours améliorées
Tableau 1 >>> Synthèse de la multiperformance dans les systèmes innovants en comparaison aux témoins sur la période 2017-2023. Les pourcentages moyens sont indiqués avec les écarts-types. Vert foncé : l’objectif est largement atteint. Vert clair : l’objectif est pratiquement atteint. Jaune : l’objectif n’est pas encore atteint. Rouge : l’objectif est loin d’être atteint. * L’objectif de réduction est fixé par rapport à l’IFT régional, mais les valeurs de performances sont indiquées par rapport aux systèmes témoins. Tous les objectifs autres que l’IFT sont fixés par rapport aux témoins.

Des réussites très dépendantes des contextes locaux

Plusieurs éléments permettent d’expliquer pourquoi la multiperformance a été atteinte dans le Berry et le Béarn. À commencer par le choix des cultures, leur proportion et leur juste positionnement dans la rotation.

Dans le Berry, le tournesol et le millet offrent des opportunités (calendrier, molécules autorisées, etc.) pour gérer les graminées adventices. Elles se sont avérées bien adaptées au contexte pédoclimatique local. L’évolution récente du système innovant prouve que la flexibilité dans le positionnement des cultures est un facteur de réussite essentiel. En effet, la  règle de décision qui consiste à positionner ces cultures en fonction du salissement en adventices constaté dans la parcelle se révèle très efficace pour optimiser les performances du système. Ainsi, la meilleure maîtrise des adventices a, par ricochet, permis d’atteindre le potentiel de rendement des cultures suivantes.

Dans le Béarn, l’insertion de soja permet de réduire fortement les besoins en fertilisation azotée, et donc les émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle de la rotation. La CIVE positionnée avant le maïs apporte un supplément de productivité et de rentabilité au système : le climat doux et humide en hiver favorise une forte production de biomasse, et l’existence d’un débouché en méthanisation garantit sa valorisation. Le Béarn réunit donc toutes les conditions pour voir l’ensemble de ses performances améliorées.

Syppre, un apport méthodologique nouveau

Au-delà des résultats sur l’impact des leviers de transition agroécologique, les apports méthodologiques de Syppre font progresser la recherche appliquée. En effet, si les essais « systèmes de culture » ne sont pas nouveaux, leur déclinaison dans cinq régions avec un cadre d’objectifs communs, et la création d’un dispositif avec répétitions spatiales et temporelles pour garantir la robustesse des données sont sans précédent.

Par ailleurs, Syppre est le seul projet qui a mobilisé l’expertise de trois instituts sur une période aussi longue, nécessitant des ajustements pour harmoniser les méthodes de travail et parler d’une seule voix. Tout cela est certes moins visible auprès des agriculteurs, mais cela contribue sans aucun doute à la valeur et à la crédibilité du dispositif.

Preuve que Syppre répond à un besoin : en 2024, près de 1000 visiteurs se sont rendus sur les plateformes pour assister aux colloques de restitution du projet. 

La diversification a des atouts certains...

Un des principaux leviers utilisés dans Syppre pour atteindre la multiperformance est l’introduction de nouvelles cultures, en complément des cultures classiques selon les régions, comme le blé, le colza, le maïs ou encore le tournesol.

Les solutions issues de Syppre se voulant réalistes et transférables, les systèmes innovants excluent les cultures de niche, même si elles sont potentiellement plus rémunératrices. Ainsi, les cultures de diversification mises à l’épreuve dans Syppre en fonction des contextes locaux sont le pois chiche, le sarrasin, le chanvre et le millet.

L’analyse multisite conduite en 2024 illustre que les cultures classiques sont la plupart du temps aussi bien réussies dans les systèmes innovants et témoins. En effet, les écarts de rendement constatés sont non significatifs, exception faite des situations où des itinéraires techniques très innovants sont testés sur les cultures principales. Ils nécessitent dans ce cas des « essais-erreurs » pour être au point : c’est, par exemple, le cas pour les techniques d’implantation de cultures industrielles en Picardie et Champagne.

De plus,  Syppre atteste que c’est grâce à la diversification des cultures – et presque exclusivement grâce à cela - que les performances environnementales sont améliorées.

Par exemple, l’insertion de légumineuses en culture principale est le premier levier contribuant à réduire les émissions de GES à l’échelle du système : les résultats de la plateforme picarde illustrent parfaitement cela. En Champagne, l’introduction de chanvre, une culture peu exigeante en produits phytosanitaires, permet de réduire l’IFT moyen de la rotation.

...mais elle tend à dégrader la rentabilité du système

Les cultures de diversification ont tendance à avoir des rendements aléatoires, et occasionnent plus d’échecs : re-semis plus fréquents, parfois absence de récolte.

Les raisons à cela sont multiples : elles disposent de moindres moyens de R&D (génétique, protection phytosanitaire, matériels spécifiques…) et sont parfois moins adaptées aux conditions pédoclimatiques des zones dans lesquelles on les introduit.

Par ailleurs, ces cultures nécessitent un temps d’apprentissage avant de bien maîtriser les itinéraires techniques. Durant cette période, la réussite de ces cultures est donc variable.


Au-delà des risques d’échecs cités ci-dessus, la présence de cultures de diversification dans la rotation implique de réduire les surfaces des cultures principales. Or, ces dernières sont bien souvent les piliers économiques des rotations. Par conséquent, les cultures nouvelles tendent à dégrader la rentabilité du système, ce qui peut constituer un frein important à la diversification.

La diversification contribue donc à la multiperformance à condition d’être bien adaptée et bien dosée. Une fois bien maîtrisées, les cultures de diversification peuvent apporter des bénéfices agronomiques à l’ensemble du système et des opportunités économiques, sous réserve que leurs prix de vente soient suffisamment élevés.

Pas de solutions clés en main

Les systèmes innovants qui n’atteignent pas la multiperformance ont tout de même des atouts à faire valoir. Ils prouvent que certains leviers ou combinaison de leviers sont efficaces pour mieux maîtriser les adventices sur le long terme, améliorer le bilan carbone ou encore réduire les émissions de GES. À condition toutefois de se donner les moyens de tirer bénéfices de ces leviers : cela passe par davantage d’observations au champ, de flexibilité sur les assolements et les itinéraires techniques, et éventuellement la possibilité d’accéder à du matériel spécifique.

Syppre met ainsi en évidence que la transition agroécologique nécessite de la disponibilité, qui s’ajoute au temps de traction. Or, le temps est une denrée rare chez les agriculteurs.

Les systèmes de culture expérimentés dans Syppre depuis dix ans ne sont pas des solutions clés en main pour les producteurs de grandes cultures français. Ils n’ont d’ailleurs jamais eu vocation à cela ; c’est utopique lorsque l’on travaille avec le vivant.

En revanche, chaque agriculteur peut trouver parmi les stratégies expérimentées dans Syppre une solution à l’une ou plusieurs de ses interrogations et/ou impasses techniques. Les échecs autant que les réussites du projet ont de quoi inspirer de nouvelles stratégies, et les leviers testés gagneraient à être plus majoritairement utilisés dans les exploitations.

Où déployer en priorité les leviers agroécologiques de Syppre ?
L’une des spécificités de Syppre est de proposer une méthodologie globale dont les applications sont territorialisées. Ainsi, dans le cadre de l’Observatoire des pratiques, un travail sur les aires de représentativité a été mené dans chaque bassin où une plateforme Syppre est présente (figure 2).

Objectif ? Identifier l’aire géographique continue pour laquelle les expérimentations Syppre sont très représentatives, c’est-à-dire l’aire où le paysage, le type de sol et la succession culturale des systèmes témoins sont similaires à ceux des exploitations agricoles. On peut donc les considérer comme un premier cercle au contexte très similaire. Bien entendu les résultats des plateformes peuvent inspirer bien au-delà de ce premier cercle. Par exemple les résultats de la plateforme du Berry sont souvent utilisés pour alimenter les réflexions sur les changements de système dans les zones intermédiaires.
Leviers agroécologiques : une nécessaire approche territoriale
Figure 2 >>> Leviers agroécologiques : une nécessaire approche territoriale. Aires de représentativité des expérimentations Syppre dans les cinq bassins où sont implantés les plateformes. Les bulles représentent les surfaces où la rotation est identique ou très proche de cette du témoin.

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