Agriculture de conservation des sols : un atout pour le bassin méditerranéen
L’agriculture de conservation des sols (ACS) repose sur trois principes-clefs : perturber le sol le moins possible en supprimant le travail du sol ou en le limitant au maximum, laisser le sol recouvert de façon permanente par des cultures, des résidus de culture ou des couverts, et diversifier la rotation. L’objectif principal est d’améliorer la fertilité du sol en augmentant sa teneur en carbone.
Ce système a toutefois d’autres vertus : l’ACS accroît l’efficience de l’eau lorsque la pluviométrie est sous-optimale par le taux d’humidité du sol est maintenu plus longtemps en raison du paillage des surfaces, et les phénomènes d’érosion sont réduits. C’est donc un levier majeur pour minimiser les effets néfastes du réchauffement climatique.
L’ACS fournit en outre des leviers d’action contre ce réchauffement, puisque limiter le travail du sol par des engins agricoles consomme moins d’énergies fossiles et, de ce fait, émet moins de gaz à effet de serre que l’agriculture conventionnelle. L’ACS séquestre aussi davantage de carbone dans le sol que cette dernière.
Alors pourquoi ce système de culture n’est-il pas plus largement pratiqué par les agriculteurs des pays du pourtour méditerranéen ? Ce sont pourtant les premiers à pâtir des canicules et sécheresses à répétitions entrecoupées d’épisodes météo extrêmes (orages de grêle, pluies torrentielles, inondations, incendies, vents violents) qui malmènent les cultures et les sols autant que les hommes.
Des obstacles clairement identifiés
Les sols des régions méditerranéennes sont sujets à d’importants processus de dégradation, que ce soit directement, par l’érosion, ou indirectement en raison de leurs propriétés chimiques (faible teneur en matière organique, pH élevé, sols argileux lourds ou, au contraire, trop légers ou caillouteux, teneur élevée en carbonates de calcium…). Ainsi, 93 % des sols algériens sont considérés comme dégradés, et 69 % au Maroc comme en Tunisie.
Parallèlement, alors que la moitié des terres cultivées arables d’Amérique du Sud sont en agriculture de conservation des sols, c’est le cas pour seulement 2 % des terres européennes et 0,8 % en Afrique (tableau 1). En France, beaucoup d’agriculteurs évitent de labourer sans pour autant pratiquer une ACS stricte.
La capacité de l’ACS à améliorer en l’espace d’une dizaine d’années la fertilité des sols cultivés en conduite pluviale en contexte semi-aride fait consensus. Ce système de culture augmente significativement la teneur en matière organique des couches superficielles du sol, et des travaux conduits par Arvalis ont montré que la minéralisation de cette matière organique améliorait l’absorption de l’azote par un blé de 40 à 60 kg/ha, avec à la clef un gain de rendement de 5 à 10 %, si les autres potentiels facteurs limitants du système sont maîtrisés (adventices, gestion du couverts, ravageurs…).
Toutefois, cette amélioration est progressive ; adopter une agriculture de conservation des sols ne produit donc pas d’augmentation immédiate des revenus, ce qui est peu incitatif dans des régions où ces revenus sont déjà faibles ou irréguliers.
Dans certaines situations agronomiques, la gestion des adventices et des résidus peut, en outre, s’avérer complexe pour parvenir à des rendements satisfaisants. De plus, pour les agriculteurs méditerranéens de certains pays enclins aux monocultures de blé tendre ou de blé dur, adopter une rotation diversifiée peut être difficile pour les petites exploitations : il faut disposer d’équipements adaptés pour chaque type de cultures et identifier de nouvelles cultures qui soient à la fois adaptées aux conditions pédoclimatiques locales et rentables. D’autant qu’historiquement, les nombreux pays du Bassin méditerranéen ayant généralisé la monoculture de blé manquent de filières de diversification structurées.
Par ailleurs, le coût du matériel de semis direct est important, surtout s’il n’est pas compensé par la revente d’une partie du matériel de travail de sol usuellement présent sur l’exploitation - comme cela est souvent le cas dans la transition des exploitations vers l’agriculture de conservation en France, par exemple.
Enfin, l’usage des résidus de culture pour protéger et enrichir le sol se fait en partie au détriment de l’alimentation du bétail qui en dispose d’autant moins, voire de l’approvisionnement en combustible non fossile pour la préparation des repas. En Afrique du Nord, par exemple, où il est d’usage de laisser pâturer librement les troupeaux sur les pailles, les résidus de culture ne sont pas la propriété privée des producteurs selon le droit commun, et en priver le bétail conduirait à une baisse significative de la production animale et risquerait également de paupériser les éleveurs locaux.
À la recherche de pistes pour lever ces freins
La culture des légumineuses est la voie royale pour diversifier les monocultures céréalières méditerranéennes et cumule de nombreux autres atouts. La capacité de ces cultures à fixer l’azote atmosphérique allège la dépendance des agriculteurs aux engrais. Du point de vue macroéconomique, environnemental et climatique, leurs protéines sont moins « coûteuses » à produire que des protéines animales. En revanche, leurs rendements sont faibles et leur rentabilité reste insuffisante. C’est pourquoi la luzerne, intéressante en conservation des sols en système méditerranéen est encore la légumineuse la plus cultivée dans cette région alors que les pois ont un potentiel plus intéressant pour l’alimentation, humaine comme animale.
"L’ACS améliore progressivement la fertilité des sols - il ne faut donc pas en attendre une augmentation immédiate des revenus."
Débuté en 2019, le projet CAMA1, d’une durée de trois ans, est rattaché au partenariat international pour la recherche et l'innovation dans la région méditerranéenne PRIMA financé par le Programme Cadre de Recherche et Développement Horizon 2020 de l’Union européenne. Il propose à des agriculteurs volontaires du pourtour méditerranéen (figure 1) d’élaborer et d’évaluer (encadré), en collaboration avec les agro nomes du projet, des systèmes de culture innovants fondés sur la conservation des sols, une meilleure gestion de l’eau et l’introduction de légumineuses au sein des rotations céréalières.
Diagchamp, une méthode de diagnostic des cultures qui franchit la Méditerranée
Développée par Arvalis et utilisée depuis 2014, Diagchamp est une méthodologie de diagnostic les facteurs limitants des rendements du blé. Elle permet, à l’aide de mesures régulières dans les parcelles et de modèles de croissance du blé, de construire une expertise directement adaptée à chaque situation de production (sol, climat, itinéraire technique).
Une fois le diagnostic établi, partagé et validé avec le producteur, une réflexion a lieu pour identifier les leviers à mettre en œuvre pour améliorer la conduite culturale si besoin. Cette méthode est utilisée dans le projet CAMA, et, en conséquence, a été adaptée au pourtour du bassin méditerranéen afin de construire une expertise individuelle et collective partagée entre agriculteurs, techniciens - et même pays !
La « tache » de ces fermiers-expérimentateurs est triple : préciser leurs besoins, coinventer des solutions avec les agronomes et les techniciens, puis les tester et les améliorer si besoin. Ils évalueront aussi une nouvelle méthode de diagnostic de rendement. Les résultats des expérimentations au champ menées en France (encadré) seront partagés dans le projet CAMA et consolidés avec l’expérience des partenaires étrangers soumis à des conditions climatiques plus dures mais qui risquent de devenir plus fréquentes en France.
De leur côté, les scientifiques du projet2 suivront les parcelles pour enregistrer au fil du temps les modifications des caractéristiques des sols passés à l’ACS et, plus particulièrement, l’efficience de l’azote et de l’eau des sol, leur pouvoir de rétention de l’eau, leur érosion et leur fertilité. Des modèles numériques de culture seront développés en parallèle.
Des innovations technologiques et industrielles sont attendues, notamment en matière d’optimisation des paramètres de semis direct, de contrôle des adventices ou encore de gestion des résidus. De nouveaux génotypes de luzerne et de pois résistant à des environnements arides et semi-arides seront sélectionnés en laboratoire grâce à la sélection génomique, destinés à des régions de culture données ; plusieurs études montrent en effet que les rendements de ces légumineuses sont fortement conditionnés par des interactions croisées génotype x environnement. Ces nouvelles variétés seront aussi évaluées au champ dans les exploitations participantes.
Des enseignements techniques à partager au-delà des frontières Le projet CAMA s’attache notamment à mettre au point des itinéraires techniques adaptés à l’absence d’irrigation. La pluviométrie très aléatoire du bassin méditerranéen oblige, en effet, à penser la mise en œuvre de l'ACS avec des leviers très spécifiques aux territoires concernés. En Provence, par exemple, Arvalis et l’agriculteur Daniel Brémond testent de tels leviers depuis dix ans sur la plateforme d'Oraison.
(1) Plus d’informations sur le site du projet : http://www.camamed.eu/fr/index
(2) Les instituts et associations partenaires du projet sont le CREA et Agromnia (Italie), l’institut Arvalis en France, l’IAMZ-CIHEAM, le CSIC et l’université de Lleida pour l’Espagne, l’INIAV et l’association APOSOLO portugais, le HAO-Demeter (Grèce), l’INRAT et l’APAD en Tunisie, l’ENSA algérienne, ainsi que l’INRA au Maroc.
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