Récolte du soja : les coupes flexibles, un atout technique

Des barres de coupes flexibles sont proposées pour la récolte du soja. Répandues aux États-Unis et au Canada, elles le sont beaucoup moins en Europe. Terres Inovia les expérimente depuis 2016 afin de cerner leurs atouts et les précautions d’usage.
Optimiser la récolte du soja en grande largeur

Le soja n’est pas une espèce particulièrement difficile à battre. Ses graines sont libres dans des gousses qui s’ouvrent facilement et qui sont réparties sur toute la hauteur de la tige de la plante. La seule difficulté réside dans le fait que les premières gousses sont insérées dès les sept à dix-huit premiers centimètres de la tige. Faucher très bas cette plante est donc impératif si l’on veut minimiser les pertes de graines, qui sont un manque à gagner pour l’agriculteur et peuvent être considérées aujourd’hui comme des gaspillages.

La conduite de la culture a un impact important sur la facilité de récolte. Ainsi, dès l’implantation, il faut tacher d’obtenir le dégagement le plus important entre le premier nœud fructifère et le sol.

La hauteur de la première gousse est une caractéristique travaillée par les sélectionneurs. Le choix variétal a donc toute son importance, car des variations de plus d’une dizaine de centimètres de cette hauteur entre le groupe de précocité I et le groupe 00 ont été observées sur les essais Terres Inovia de 2019. L’irrigation joue aussi positivement sur la distance du sol aux premières gousses.

Le dernier facteur ayant une incidence sur la hauteur de la première gousse est le nivellement du sol lui-même. Toute irrégularité provoquera une réduction de la distance entre la coupe (au plus près du sol) et les premières gousses à récolter. Elle aura donc une répercussion sur une large surface autour de celle-ci, corrélée à la largeur de coupe. Aussi, toutes les interventions dans la préparation et l’entretien de la culture doivent maintenir ce sol le plus plat possible et suffisamment rappuyé, quel que soit le type de système de culture adopté. Notamment, si des binages sont nécessaires après le semis, le buttage des rangs est à éviter, et il est conseillé d’utiliser des dents et/ou des herses pour travailler l’inter rang afin de conserver le sol plat. 

Le respect de l’ensemble de ces éléments d’implantation(1) permettra d’aborder d’autant plus sereinement la récolte de la culture.

Concilier coupe basse et grande largeur de coupe

Lorsque la récolte s’effectue avec une coupe très près du sol, tant que la largeur de coupe reste très modeste, le suivi des irrégularités du sol est gérable. Ce n’est plus le cas lorsque les coupes s’élargissent à 6, 9, 12 m ou plus.
C’est en partie pour cela que les barres de coupe flexibles sont utilisées depuis plusieurs dizaines d’années dans les grands pays producteurs de soja. Elles offrent la possibilité d’ajuster la hauteur de coupe à celle des premières gousses(2) : elles descendent jusqu’à 5 cm du sol et se déforment pour épouser le relief de la parcelle. Plus la largeur de coupe est importante, plus le besoin d’avoir une coupe qui s’adapte au profil du sol est fort. Fabriquées par des équipementiers français ou importées, ces barres s’adaptent sur toutes les moissonneuses-batteuses mais aussi à d’autres cultures que le soja.

Les barres de coupe flexibles suivent le sol tout au long de la récolte. Ce suivi peut être réalisé de différentes façons, selon l’objectif visé : privilégier la prise en compte des micro irrégularités du sol au détriment de l’amplitude de mouvement, ou à l’inverse, privilégier la souplesse et l’amplitude de mouvement avec une pression au sol minimum mais négliger les micro hétérogénéités.

Le choix de l’objectif a abouti à deux conceptions de coupes technologiquement très différentes. Le premier type de barres possède un lamier composé d’un grand nombre de segments d’une largeur de 10 à 15 cm, articulés entre eux, qui offrent une flexibilité de la coupe sur toute sa largeur ; le tablier est également souple. Toutefois, la barre de coupe en fonctionnement doit exercer une pression minimum sur le sol pour épouser ses irrégularités et obtenir une déformation du lamier ; si la pression est insuffisante, l’ensemble lamier-tablier ne se déforme pas. De ce fait, un sol trop souple ou humide ne convient pas à ce type de barre. La différence de hauteurs de coupe obtenue avec la déformation atteint 18 cm sur une distance d’environ 1,20 m, sans incidence sur le reste de la largeur de la coupe.

Ces équipements peuvent être rigidifiés pour récolter les céréales. En revanche, certaines de ces barres de coupe ne permettent pas d’adapter une rallonge à colza.

Le deuxième système (type MacDon) est composé de trois tronçons « lamier + tablier » rigides, articulés entre eux, et d’un rabatteur en deux parties articulé en son centre. L’articulation du rabatteur permet de conserver un écart raisonnable entre celui-ci et le lamier sur toute la largeur de la coupe. Un système actif de flottaison assure une pression au sol modérée. Il présente une grande sensibilité à la déformation, avec un débattement qui va jusqu’à 30 cm en bout de coupe.

La topographie des parcelles, le type de sol et les conditions de récolte seront les facteurs déterminants pour le choix technique du type de coupe. La différence de pression au sol, l’amplitude de suivi du sol et la gestion des micro hétérogénéités constitueront les paramètres de décision.

Ces barres de coupe flexibles améliorent-elles vraiment les conditions de récolte, et permettent-elles de récolter les gousses les plus basses ? Les cinq essais comparatifs conduits par Terres Inovia depuis 2016, en Bourgogne et Haute-Garonne, ont apporté des réponses.

Des pertes de graines nettement plus faibles, surtout en sols irréguliers

Ces essais(3) ont été réalisés sur des parcelles présentant des régularités d’implantation contrastées, avec des hauteurs de gousses variables (figure 1). Le type variétal, les conditions hydriques, les densités et l’irrégularité du sol étaient différents selon les sites.

Les coupes flexibles augmentent sensiblement le débit de chantier de récolte sans augmenter la fatigue du chauffeur, car le suivi du sol demande moins d’attention. La vigilance est néanmoins de mise en présence de cailloux ; la coupe étant au ras du sol, un caillou mal placé entraine rapidement le changement d’une section de lame de coupe. Dans ce cas, il peut être souhaitable de rouler le sol afin que les cailloux n’apparaissent pas en surface.

La vitesse de récolte est, en moyenne, augmentée de 1,5 km/h par rapport à une barre de coupe classique de même largeur. Pour un débit indicatif de chantier classique de 3,45 ha/h (base du barème d’entraide de l’APCA) et pour une barre de coupe flexible de 7,5 m, c’est un hectare de gagné par heure.

Des mesures comparatives de pertes de graines au sol à l’avant de la machine et de rendements ont été réalisées. Pour l’ensemble des situations, toutes coupes confondues, les pertes de graines sont comprises entre 0,4 et 3,2 q/ha. Toutes les situations ont montré que les coupes flexibles réduisent ces pertes - de 0,2 à 1,4 q/ha selon les essais. Sur l’ensemble des situations ayant un sol bien nivelé, les pertes fluctuent pour les coupes classiques entre 0,6 à 2,3 q/ha, contre de 0,4 à 1,5 q/ha pour les coupes flexibles. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la meilleure performance dans ce cas a été réalisée sur une parcelle qui présente les insertions de premières gousses les plus basses. L’imputation de la bonne performance peut donc être partagée entre le bon nivellement du sol (labour et vibroculteur en limons argileux), qui montre là sa grande importance, et la meilleure maîtrise de la conduite de la coupe.

Les diminutions de pertes les plus importantes sur l’ensemble des essais ont été enregistrées dans les situations aux sols irréguliers. Sur une parcelle binée à plusieurs reprises, ce qui a entraîné des irrégularités de sol, la barre de coupe flexible fait perdre 1,4 q de graines de moins à l’hectare qu’une barre rigide. De plus, avec les barres classiques, il a été enregistré une plus grande variabilité des pertes sur la largeur récoltée dans plusieurs situations.

Nous avons pu caractériser le degré de nivellement (« sol nivelé » ou « sol irrégulier ») dans les parcelles d’essai. Toutefois, dans une parcelle agricole, il y a bien souvent des contrastes importants de nivellement selon que l’on se situe au milieu de la parcelle ou sur le pourtour ou en zone difficile. Une enquête réalisée en 2016 en Bourgogne, basée sur des comptages de pertes parcellaires juste après récolte, révèle ainsi qu’au sein d’une même parcelle, selon que l’on se situe dans des zones à l’optimum de récolte ou dans les zones plus sujettes aux pertes, les niveaux de pertes passent de 1 à 4 q/ha.

Dans les essais, des pesées en sortie machine ont été réalisées afin de comparer les rendements obtenus. Malgré des surfaces récoltées conséquentes et un dispositif d’expérimentation adapté aux machines des agriculteurs, les différences de pertes de graines observées au sol semblent peu impacter le rendement : dans trois situations sur cinq, les différences de rendement ne sont pas statistiquement significatives entre barres de coupe flexibles et rigides (les différences observées ne sont pas suffisantes par rapport à la précision des mesures effectuées).

Le gain économique lié à la coupe flexible dépend de la surface cultivée

En France, les coûts des barres de coupe flexibles varient de 35 000 € HT pour une largeur d’environ 6 m (soit environ 12 000 € HT de plus qu’une barre de coupe rigide) jusqu’à 70 000 € HT pour environ 12 m, toutes technologies confondues.

C’est la proportion de surfaces associées à des pertes élevées qui détermine si les pertes sont suffisamment préjudiciables pour qu’il vaille la peine d’investir dans une barre de coupe flexible. Cependant, ces barres sont d’autant plus intéressantes qu’on récolte sur de grandes largeurs de coupe, pour lesquelles le suivi au plus près du sol devient impératif.

L’intérêt économique dépend aussi de la surface à récolter. L’extension d’utilisation pour d’autres espèces est possible : on pense à la lentille ou au pois protéagineux, éventuellement versés. Les céréales peuvent aussi être récoltées avec la coupe flexible en position rigide. L’investissement dans cet équipement aura alors un intérêt accru. Par ailleurs, l’avantage du débit de chantier accéléré et la facilité de récolte (confort de travail) sont également à prendre en compte.

Le seuil de rentabilité d’une barre de coupe flexible peut être estimé avec une simulation en fonction du prix de vente du soja sous différentes hypothèses et de la surface annuelle récoltée (figure 3). La rentabilité de l’investissement sera, par exemple, beaucoup plus rapide avec un soja bio qu’en conventionnel : avec un gain de 1,5 q par hectare, le seuil de rentabilité sera atteint avec la récolte de 42 ha de soja par an.

L’utilisation d’une coupe flexible est donc une voie supplémentaire d’amélioration de la performance de la récolte du soja, mais il ne faut pas oublier d’agir sur le nivellement du sol, le choix variétal, ainsi que la conduite de la culture et de la récolte. L’ensemble de ces leviers donnent alors toutes les chances à une récolte optimisée.

(1) Un tableau synthétisant les éléments d’implantation influençant la hauteur des premières gousses et donc la facilité de la récolte est disponible en complément web sur http://arvalis.info/1wc.
(2) Une vidéo présentant ce type d’équipements est disponible sur https://www.terresinovia.fr/-/recolter-du-soja-avec-une-coupe-flexible.
(3) Les conditions d’essais (localisation, variété semée, écartement, peuplement, conduite, état de surface de la parcelle, rendement) sont précisées sur http://arvalis.info/1wc.

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