Enquête « Pratiques culturales » : la féverole, protéagineux phare de l’AB

Au travers d’une enquête effectuée en 2018 auprès des producteurs de féverole bio en collaboration avec l’ITAB et l’Agence BIO, Terres Inovia dresse un premier panorama des pratiques culturales mises en œuvre et des performances associées sur trois bassins de production : Sud-Ouest, Ouest et Nord-Centre-Normandie.
En bio, la féverole d'hiver domine, conduite en association

En 2019, la féverole biologique représentait 10 440 hectares, dont 7010 ha en conversion, ce qui fait d’elle le troisième oléoprotéagineux le plus cultivé en agriculture biologique (AB), derrière le soja et le tournesol. Pour étudier l'évolution de la place de la féverole en France, Terre Inovia a mené en 2018 une double enquête auprès des agriculteurs en bio et en conventionnel sur les pratiques et rendements de la féverole sur la période 2013-2016. La féverole bio représente près de 20 % des féveroles cultivées en France - un taux parmi les plus élevés au sein des grandes cultures. Elle est présente sur l’ensemble des bassins de production avec, bien sûr, des pratiques culturales et des débouchés différents.

En moyenne nationale, la féverole bio est cultivée à parts égales (44 %) au sein d’exploitations de polyculture-élevage de ruminants et d’exploitations céréalières, mais il existe de fortes disparités régionales. Ainsi, avec 72 % des surfaces, la polyculture-élevage domine nettement dans le bassin Ouest (Pays de la Loire, Poitou-Charentes, Bretagne), tandis que les exploitations céréalières occupent 77 % des surfaces dans le bassin Nord-Centre-Normandie (Normandie, Centre-Val de Loire, Ile de France, Picardie, nord Pas de Calais). Le bassin Sud-Ouest (Occitanie, Nouvelle-Aquitaine) présente, en revanche, un profil équilibré.

Dans les bassins Ouest et Sud-Ouest, une très large proportion de la production est intraconsommée (respectivement 62 et 79 % des surfaces enquêtées), quand ce n’est pas toute la récolte. À l’inverse, seules 28 % des surfaces sont destinées à l’intraconsommation(1) dans le bassin Centre-Normandie-Nord. Ces tendances sont cohérentes avec les raisons de l’introduction de la féverole dans les assolements renseignées par les agriculteurs : l’alimentation animale est le premier motif cité pour 65 % des surfaces enquêtées dans le bassin Ouest et pour 40 % dans le bassin Sud-Ouest, alors que c’est pour son effet « précédent » bénéfique qu’elle est majoritairement cultivée dans le bassin Centre-Normandie-Nord. La production de semences pour des couverts végétaux sur l’exploitation concerne 3 % des surfaces à l’échelle nationale.

Une prédominance de la féverole d’hiver et de la conduite en association

La féverole d’hiver représente 94 % des surfaces en AB couvertes par l’enquête, quel que soit le bassin. 56 % des surfaces sont conduites en association, le plus souvent avec une céréale à paille (figure 1).

Cette conduite domine largement dans les bassins Ouest et Sud-Ouest (respectivement 76 et 63 % des surfaces enquêtées) mais ne concerne que 30 % des surfaces pour le bassin Centre-Normandie-Nord. Les mélanges décrits sont majoritairement à base de céréales, notamment du blé ou du triticale. Les mélanges à trois espèces représentent 9 % des surfaces et les mélanges à quatre espèces (à base de triticale, pois fourrager et céréales secondaires), 16 % des surfaces.

Ces résultats sont liés au débouché principal visé par les exploitations de chaque région. Ainsi, dans les bassins Ouest et Sud-Ouest où l’intraconsommation domine, les exploitants réalisent le tri des cultures à la ferme ou donnent le mélange non trié aux ruminants. La conduite en association sécurise à la fois la féverole et l’espèce associée (céréale à paille) : l’état sanitaire est, en tendance, amélioré par rapport à chacune des deux espèces cultivées seules, et la céréale associée est moins carencée en azote qu’en culture seule. L’association garantit aussi de récolter un volume relativement stable d’une année sur l’autre, même si la proportion de chaque espèce varie selon que l’une ou l’autre espèce a été plus ou moins favorisée par les conditions de l’année.

En revanche, dans le bassin Centre-Normandie-Nord où la vente à un organisme de collecte est le débouché majoritaire, la valorisation de l’association est beaucoup moins aisée car il faut trier la récolte avant de livrer à l’organisme de collecte et de stockage avec des critères d’impuretés qui sont les mêmes que pour une féverole conduite en pur. Livrer le produit non trié impose au collecteur, s’il accepte le mélange, un tri qui sera en partie refacturé au producteur entre 10 à 30 € la tonne.

Au niveau national, la fréquence de retour de la féverole dans les rotations bio est globalement faible mais varie selon la conduite : elle est de une fois tous les six ans pour plus de 90 % des surfaces conduites en association mais seulement pour 77 % des surfaces conduites en pur ; et de deux fois en six ans pour 19 % des surfaces conduites en pur et pour 8 % seulement en conduite en association. La fréquence de retour la plus élevée est observée dans le bassin Ouest où la féverole est une matière première phare de la ration alimentaire des ruminants, d’où une intégration plus régulière dans les rotations.

Une gestion des adventices difficile, en particulier en culture pure

La féverole d’hiver est majoritairement semée entre le 15 octobre et le 30 novembre en moyenne nationale. Les dates de semis sont plus avancées dans le bassin Centre-Nord-Normandie. Elle est majoritairement conduite après du maïs et du blé tendre, le maïs étant le précédent le plus fréquent de la féverole conduite en association, et le blé tendre celui de la féverole conduite en pure (30 % des surfaces dans les deux cas).

Pour les parcelles implantées derrière du maïs, cela laisse peu de temps pour mettre en œuvre des faux-semis : ainsi, seules 25 % des exploitations enquêtées dans cette configuration ont mis en œuvre cette technique. Derrière un blé tendre d’hiver, en revanche, il est possible d’en réaliser. Cependant, seulement la moitié des exploitations enquêtées ont effectué un ou plusieurs faux-semis entre la récolte du précédent et le semis de la féverole.
Un autre levier de gestion des adventices est le labour, pratiqué sur 43 % des surfaces au niveau national. Il est très fréquent dans les bassins Ouest et Centre-Nord-Normandie (sur 77 et 62 % des surfaces respectivement) mais peu dans le bassin Sud-Ouest (19 % des surfaces), où dominent les sols argileux et où le non labour est donc privilégié.

Les densités de semis pratiquées diffèrent selon la conduite. En culture pure, 43 % des surfaces sont semées à 30-40 graines/m². En association, on observe deux stratégies : soit un semis inférieur à 20 graines/m², soit un semis à la densité de la culture en pure (30 à 40 graines/m²). Ces densités sont un peu élevées au regard de l’optimum de peuplement souhaité pour la féverole d’hiver, de 20 à 25 plantes/m². Or, si un peuplement dense est un atout vis-à-vis des adventices, il favorise également l’apparition précoce de maladies (botrytis et ascochytose), qui pénalisent très fortement le rendement.

Par ailleurs, 85 % des surfaces sont semées avec un semoir à céréales, tant en culture pure qu’en association et ce, dans tous les bassins. Le semis au semoir à céréales permet d’obtenir un inter-rang de faible écartement, donc avec une moindre surface de sol laissée aux adventices. En revanche, la qualité de la levée est le plus souvent moins bonne et plus irrégulière qu’au semoir monograine, ce qui limite la capacité de concurrence de la féverole vis-à-vis des adventices. Le semoir à céréales ne permet généralement pas non plus le binage - l’intervention de désherbage mécanique la plus efficace. En 2018, les parcelles enquêtées ont ainsi reçu très peu de passages d’outils de désherbage mécanique : 1,1 passage en moyenne dans l’Ouest, 1,2 dans le Centre-Nord-Normandie et 0,9 dans le Sud-Ouest.
Ces différents constats expliquent la forte proportion de parcelles jugées sales par les agriculteurs enquêtés (35 % des surfaces en moyenne nationale). Cependant, on constate une très forte disparité entre les parcelles conduites en association, où cette proportion tombe à 7 %, et celles conduites en pure où elle grimpe au contraire à 66 % (figure 2). Cette différence illustre tout le bénéfice de l’association vis-à-vis de la gestion des adventices. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent l’importance de la conduite en association à l’échelle nationale.

Un rendement en bio un tiers plus faible qu’en conventionnel en 2018

La moyenne nationale sur 2013-2017 des rendements de la féverole, mesurée par la double enquête, est de 19 q/ha en bio, contre 31 q/ha (féverole d’hiver) et 34 q/ha (féverole de printemps) en conventionnel. Des différences importantes sont observées en bio entre les bassins, avec une moyenne à 25 q/ha pour le bassin Ouest, 20 q/ha pour le bassin Centre-Normandie-Nord et seulement 14 q/ha sur le bassin Sud-Ouest.

L’année climatique joue un rôle déterminant. Ainsi, en 2018, les rendements en bio ont été supérieurs à ces moyennes régionales pluriannuelles dans les bassins Sud-Ouest (17 q/ha) et Ouest (27 q/ha), mais inférieurs dans le bassin Centre-Nord-Normandie (19 q/ha). Ce dernier bassin a particulièrement souffert de la sécheresse au début de l’été 2018, qui a impacté négativement la floraison puis le remplissage des graines.

Parmi les causes d’échec jugées fréquentes par les agriculteurs enquêtés, les attaques de maladies sont citées par 38 % d’entre eux, dont 12 % en combinaison avec des problèmes d’insectes (pucerons, sitones et bruches). Le bassin le plus touché est le Sud-Ouest (48 % des répondants). Cependant, cette proportion est beaucoup plus importante pour la féverole conduite en pur qu’en association (53 % des répondants contre 27 %). Ceci pourrait notamment s’expliquer par une modification du microclimat au sein du couvert, et par un effet barrière de la culture associée qui limiterait la quantité de spores à l’origine de la maladie.

La maladie la plus fréquemment citée à l’échelle nationale est la rouille (par 34 % des répondants), seule ou en association avec d’autres maladies, suivie par l’ascochytose (32 % des répondants) et le botrytis (26 % des répondants). La rouille est présente dans les trois bassins. Elle est rencontrée à part égale avec le botrytis et l’ascochytose dans les bassins Ouest et Centre-Normandie-Nord, mais domine très largement le bassin Sud-Ouest. Les essais actuellement menés par Terres Inovia pour évaluer le comportement des variétés de féverole vis-à-vis des principales maladies devraient permettre d’orienter le choix variétal pour mieux gérer le risque.

Bien que non citée en tant que telle, la forte pression des adventices identifiée sur certaines parcelles a aussi contribué à pénaliser les rendements. En 2018, sur les parcelles dont la qualité du désherbage a été jugée mauvaise par les producteurs, le rendement est en moyenne inférieur de 8 q/ha à celles où elle a été jugée bonne.

(1) Intraconsommation : consommation de matières premières produites sur la ferme par l’un des ateliers de production. La féverole est intraconsommée par les animaux d’élevage.

Avec la collaboration d’Anne Moussart, Fanny Vuillemin et Vincent Lecomte (Terres Inovia)

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