Agriculture biologique : changer d’échelle
Lors d’une conférence tenue en septembre 2021, le président directeur général d’INRAE, Philippe Mauguin, a passé en revue les premières avancées du métaprogramme de recherche METABIO(1). Lancé en 2019 pour une durée de 7 à 10 ans sous l’égide d’INRAE, un tel dispositif chapeaute de nombreux programmes et projets multidisciplinaires associant des partenaires de la recherche fondamentale et appliquée et du développement agricole. Cinq consortiums et neuf projets exploratoires sélectionnés en 2019 lors de l’appel à projets ont débuté fin 2020.
METABIO explore l’hypothèse où l’offre nationale de produits bio deviendrait majoritaire dans un contexte de forte demande et de transition agroécologique. Un tel changement d’échelle pose, en effet, de nombreuses questions et nécessite de considérer une grande diversité de dimensions - agronomiques, économiques, sociétales…
Le métaprogramme s’articule autour de quatre problématiques : quelles sont les conditions d’une transition de l’AB à cette nouvelle échelle et de l’accompagnement de la filière ? Quelles ressources doivent être mobilisées pour produire « bio » suffisamment et durablement ? Comment transformer, conserver et assurer la qualités des produits et, enfin, comment faire coexister les différents modèles de production ? Les recherches couvrent les secteurs des grandes cultures, du maraîchage de pleine terre, de la viticulture, de l’arboriculture, des cultures tropicales sous serre, de l’agroforesterie, de l’élevage et de la polyculture-(poly)élevage.
Anticiper la croissance de la demande
La France est aujourd’hui en tête de l’AB en Europe, avec 9,5 % de sa surface agricole utile cultivée en bio en 2020 ; cependant un tiers des produits alimentaires bio vendus dans l’Hexagone (dont beaucoup de produits exotiques ou hors saison) n’est pas cultivé sur le sol français. La France doit saisir l’occasion de développer encore davantage l’AB pour répondre à la demande croissante de ses consommateurs.
Selon les modèles de projection, le « 50 % bio » (voire le 100 %) est techniquement atteignable en France en 2050 ; cependant un tel objectif est peu réaliste car il impliquerait une réorganisation profonde des marchés et des filières, un changement du comportement alimentaire actuel des Français (manger plus de légumes et beaucoup moins de viande, manger local et de saison, consacrer plus de budget à l’alimentation…), une forte réduction des pertes et du gaspillage alimentaire, et une transformation des grandes zones céréalières en zones de polyculture-élevage.
En revanche, l’objectif européen des « 25 % de bio à l’horizon 2030 » est à portée de main : les projets engagés dans METABIO montrent qu’il est possible de tripler (ou quasiment) à court terme les surfaces françaises en bio. Cependant, ils mettent aussi en lumière plusieurs points à travailler tout particulièrement.
Associer plus étroitement les grandes cultures à l’élevage
Le maintien des éléments minéraux dans les parcelles est l’un des défis majeurs du développement de l’AB en grandes cultures. La demande en fertilisants organiques augmente alors même que l’offre tend à baisser, notamment en raison du récent changement de la réglementation sur les amendements organiques. La pénurie de fertilisants, en particulier de phosphore(2), ou leur coût trop élevé peut inciter les agriculteurs en AB à négliger le volet fertilisation, ce qui n’est pas durable.
Divers projets tentent de répondre à cette problématique - par exemple, en développant les associations culture de rente et légumineuse, l’usage de plantes de service à l’interculture (contrôle des adventices, stockage du carbone, nutrition) et de nouvelles variétés spécifiques au bio. Une diversification plus forte des cultures semble incontournable mais exigera une adaptation des filières de l’aval.
Une relation plus étroite des grandes cultures avec l’élevage est également une piste explorée. En AB, les deux secteurs sont interdépendants : un animal « bio » doit être nourri avec des aliments « bio », et les productions végétales bio ont besoin des engrais organiques fournis par l’élevage non industriel. Il est déjà difficile d’assurer l’origine française des aliments destinés aux élevages bio nationaux, faute d’une production suffisante. L’une des raisons est que les contraintes, notamment en matière de santé végétale, sont identiques à celles des cultures bio destinées à l’alimentation humaine alors que les productions pour l’élevage sont moins bien rémunérées. De plus, la part des fourrages, notamment bio, diminue en raison d’une raréfaction des prairies.
Le deuxième grand défi du changement d’échelle de l’AB est de trouver des alternatives efficaces aux produits phytosanitaires (encadré). Aujourd’hui, les surfaces en AB forment souvent des mosaïques au sein des surfaces cultivées en conventionnel, et bénéficient sans doute d’un effet protecteur vis-à-vis des adventices, des maladies et des ravageurs. Que se passera-t-il dans des régions de production majoritairement conduites en bio ? Dans ce contexte, le projet PLanHEALTH(3), lancé fin 2020, travaille à une gestion intégrée des santés des sols, des végétaux et des animaux en agriculture biologique.
Enfin, il ne suffit pas d’augmenter la production d’aliments bio, encore faut-il qu’ils soient achetés. De nombreuses interrogations subsistent concernant l’attitude des nouveaux consommateurs de ces produits, en particulier la question du prix acceptable. Des questions auxquelles METABIO s’attache aussi à répondre.
(1) Informez-vous sur METABIO sur https://www6.inrae.fr/metabio
(2) Voir l’article « Phosphore : la localisation au semis du blé s’avère payante » dans ce même numéro, ainsi que « Évolution du phosphore et du potassium : surveillez les teneurs de vos sols » dans le n°473 de janvier 2020.
(3) Plus d’informations sur ce projet sur http://arvalis.info/284
Lutte contre les maladies en AB : des quantités de cuivre trop élevéesL’usage du cuivre en bio pose actuellement question : 10 à 15 passages pour lutter contre le mildiou de la vigne ou de la pomme de terre sont couramment observés. Le cuivre agit sur les pathogènes mais, en s’accumulant, perturbe aussi le développement de certaines plantes ainsi que les communautés microbiennes et la faune des sols. Plusieurs études METABIO montrent qu’il est possible de réduire les doses de cuivre de moitié sans perte d’efficacité, et plus encore si la réduction est combinée à d’autres leviers à effets partiels (stimulation des défenses des plantes, résistance génétique, mesures préventives…). Ce changement de pratiques sera incontournable dans l’hypothèse d’une extension conséquente des surfaces en AB.
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