Perspectives économiques : les grandes cultures en Europe dans dix ans

Faire des prévisions à dix ans semble être une gageure. Pourtant, c’est ce à quoi s’attache chaque année la DG agri de la Commission européenne. Une mise en perspective qui éclaire sur les fondamentaux de l’analyse économique et apporte tout de même des points de repère.
Evolution des grandes cultures en Europe (prospective)

Le rapport « EU agricultural outlook 2021-2031 »(1), diffusé en décembre 2021 par la Direction Générale de l’agriculture de la Commission européenne, présente les perspectives à moyen terme des marchés agricoles. Elles reposent sur les hypothèses d’évolution macroéconomique les plus probables. Toutefois, la réforme en cours de la Politique Agricole Commune, ainsi que l’application des politiques environnementales telles que le « Green Deal », ne sont pas prises en compte. Ce rapport 2021-2031 servira ainsi de référence de comparaison pour évaluer, dans la prochaine édition, les effets de ces nouvelles politiques.

Selon les hypothèses macroéconomiques, l'économie mondiale rebondira en 2021-2022 et se stabilisera à un niveau de croissance annuel moyen de 2,7 % d'ici 2031. L'économie de l'Union européenne (UE) devrait retrouver d'ici 2023 ses niveaux d'avant la COVID-19. Après plusieurs années de faible inflation, la forte reprise de l'activité économique s'est accompagnée d'une augmentation des prix des matières premières - principalement de l'énergie - entraînant un niveau d'inflation au plus haut depuis dix ans dans la zone euro en novembre 2021 (4,9 %). Les perspectives supposent que l'inflation de l'UE se stabilisera à 1,9 % par an d'ici 2025. Elles partent également de l’hypothèse que la demande en pétrole de l'UE se redressera en 2021-2022 et diminuera progressivement en raison de la transition vers les énergies renouvelables.

La France au premier rang Avec 28 millions d’hectares, la France détient la plus grande surface agricole utile de l’Union européenne. Elle demeure de loin le premier producteur agricole de l’Union. Avec 75,5 milliards d’euros de produits agricoles (INSEE, 2020), l’hexagone représente à lui seul environ 18 % de la production agricole européenne, même si cette part est en recul.

Des systèmes plus durables réduiront la production céréalière

Selon les projections, la surface agricole totale de l'UE devrait légèrement diminuer, principalement en raison de la réduction des cultures arables (au profit des forêts et de l’urbanisation).

La surface céréalière totale de l'UE s’établirait à 51,2 millions d'hectares entre 2021 et 2031 (-2,8 % par rapport à 2021).

Les rendements de blé et d'orge devraient légèrement baisser, sous l'effet d'une augmentation de l'agriculture biologique, de la réduction des usages des produits phytosanitaires, des contraintes environnementales et d'une adoption accrue de pratiques agro-écologiques. La production de blé et d'orge s’établirait ainsi respectivement à 126,9 et 49,2 millions de tonnes en 2031 (en baisse de 5,3 % et 8,9 % par rapport à 2021).

Les rendements du maïs pourraient augmenter en raison d'améliorations potentielles dans les pays de l'est de l'UE. La production totale de maïs devrait rester stable à 68,2 millions de tonnes.

La surface utilisée pour produire les autres céréales (avoine, seigle, sorgho) devrait augmenter de 1,1 % entre 2021 et 2031. Cette évolution résulte de rotations des cultures plus longues et d'un assolement plus diversifié (adaptation aux risques climatiques, demande croissante de produits biologiques).

Agriculture biologique Sans prendre en compte les mesures de soutien liées à la nouvelle PAC ou au « Green Deal » européen (encore à mettre en œuvre), la surface dédiée à la production en AB devrait atteindre 15 % de la surface agricole totale d'ici 2031. Cela suppose que la demande pour ce type de production continuera de croître. En conséquence, le taux annuel de conversion en agriculture biologique resterait aussi élevé en 2022-2031 qu'en 2014-2019. Un soutien supplémentaire au secteur de l'agriculture biologique pourrait entraîner une accélération de la tendance.

Une baisse de la demande des aliments pour animaux

La croissance des protéagineux de l'UE se manifestera par une augmentation des surfaces et des améliorations de rendement, ce qui entraînera une baisse des importations.

La consommation intérieure de céréales dans l'UE devrait atteindre 254,8 millions de tonnes (-2,7 % par rapport à 2021), essentiellement en raison de la baisse des productions animales. L'utilisation de céréales dans l'alimentation humaine devrait augmenter de 0,2 % par an. Sur le plan commercial, l'UE resterait compétitive mais sera confrontée à une forte concurrence d'autres acteurs clés du marché, notamment de la part des pays de la mer Noire. Cela conduira à une réduction des parts de marché dans un marché d'exportation en croissance.

Du côté des oléagineux, la superficie de l’UE qui leur est consacrée devrait être similaire aux niveaux actuels (10,7 millions d’hectares) dans la période 2021-2031. La croissance annuelle des rendements devrait s'élever à 0,3 % pour le colza, 1,4 % pour le tournesol et 1,6 % pour le soja. Plus sensible aux conditions climatiques défavorables et aux pressions des ravageurs, le colza se trouve davantage pénalisé.

L’UE demeurera un importateur net de graines oléagineuses. Toutefois, selon les prévisions, les importations diminueront vers la fin de la période. Les volumes de trituration des oléagineux demeureront stables malgré la baisse de la demande (déclin des cheptels porcins, bovins viandes et laitiers de l'UE), les importations de tourteaux étant alors réduites. Par ailleurs, la demande d'huiles végétales de l'UE devrait décliner, en raison d'une érosion des débouchés non alimentaires : les importations d'huile de palme seront les plus touchées par la baisse prévue de la demande en biodiesel.

Revenus et travail agricoleGlobalement, la valeur de la production agricole de l'UE augmentera de 0,7 % par an selon les projections. La valeur de la production végétale pourrait diminuer de -0,5 % par an, un renversement de la tendance passée, tandis que la croissance de la valeur des produits animaux devrait ralentir. L'augmentation des coûts intermédiaires ralentira également, tandis que la part des coûts de l'énergie et des engrais augmentera. L'accroissement annuel de la valeur ajoutée nette ralentit à 1 %, contre 3 % sur la période 2011-2021. La main-d'œuvre agricole devrait encore diminuer, mais à un rythme plus lent. Le nombre d'exploitations gérées par de jeunes agriculteurs augmenterait légèrement. Le revenu agricole par actif à prix constants de 2010 resterait stable selon les hypothèses de la DG agri.

La superficie des oléagineux devrait culminer au milieu des années 2020

Les surfaces utilisées pour la production de colza et de tournesol dans l'UE devraient atteindre un maximum au milieu de la période de projection, avant de diminuer du fait d’un ralentissement de la demande d'aliments pour animaux et d'huiles. Les surfaces de colza diminueraient légèrement à 5,1 millions d'hectares (Mha), contre 5,2 en 2019-2021, tandis que les surfaces de tournesol et de soja devraient augmenter de 0,1 Mha chacune pour atteindre respectivement 4,5 et 1,0 Mha.

Sur la base des hypothèses de surface et de rendement décrites ci-dessus, la production d'oléagineux de l'UE culminera à 32,1 millions de tonnes (Mt) en 2027 avant de baisser, pour tomber à 31,2 Mt d'ici 2031. La production de colza pourrait atteindre 16,2 Mt (inchangée par rapport à la moyenne de 2019-2021), tandis que les productions de tournesol et de soja atteindraient respectivement 11,3 et 3,5 millions de tonnes (+ 15 % et 29 %).

"En équivalent protéines, les importations devraient baisser de 6 % à 14 millions de tonnes."

Les surfaces dédiées au soja devraient augmenter, tirées par la demande croissante de fèves sans OGM pour la consommation humaine et l'expansion du cheptel laitier biologique. Les importations de soja devraient alors chuter à 13,3 Mt d'ici 2031, contre 14,8 Mt en 2019-2021. Les importations de colza diminueraient également, passant d'une moyenne de 5,9 millions de tonne à 4,9 millions d'ici 2031. Les importations de tournesol resteraient stables autour de 0,8 million de tonnes tout au long de la prochaine décennie.

L'UE restera un exportateur mineur d'oléagineux avec un volume d'exportation d'environ un million de tonnes par an.

Demande mondialeLa croissance de la population mondiale, malgré un ralentissement à 0,8 % par an d'ici 2031, restera un moteur clé de la demande. L'Afrique augmentera le plus (25 %), suivie de l'Asie (6 %), tandis que la population de l'UE restera stable au cours de la période de projection. L'augmentation prévue de la population dans les pays en développement, ainsi que la hausse des revenus, stimuleront considérablement la demande alimentaire mondiale. Le commerce mondial des produits agricoles augmentera en conséquence.

Des incertitudes demeurent

Des prix de l'énergie plus élevés augmentent les coûts de production directement (carburant, électricité) ou indirectement (engrais et autres intrants).

Les prix élevés du pétrole, par exemple, font grimper les coûts de production et réduisent le pouvoir d'achat des consommateurs. Des prix élevés réduisent également la demande de carburant mais augmentent la compétitivité des biocarburants. De plus, l'effet net sur la demande de matières premières pour les biocarburants dépend des spécificités du marché et des politiques existantes en matière de biocarburants.

D’une manière générale, il existe une relation entre l'incertitude des facteurs affectant l'offre et la demande (par exemple, les prix du pétrole, les taux de change, les rendements des cultures) et l'incertitude des prix des produits agricoles. Ainsi, l'incertitude du prix du blé résulte de l'incertitude des facteurs de l'offre et de la demande. Même si les tendances prévisionnelles du marché conduisent à un prix qui suit une ligne continue, ce ne sera pas le résultat réel. Cependant, le prix est susceptible de se situer quelque part entre les deux estimations hautes et basses qui l’encadrent à condition que les hypothèses sur les tendances du marché s'avèrent correspondre à la réalité.

(1) EU agricultural outlook for markets, income and environment, 2021-2031. European Commission, DG Agriculture and Rural Development, Brussels.

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