Des engrais azotés à partir de l’eau
Tout commence par la production d’hydrogène « vert ». Quand elle soumise à un champ électrique généré entre deux électrodes, la molécule d’eau (H2O) se dissocie en ions hydroxyde (OH-) et en protons (H+). Les protons (positifs) sont attirés vers l’anode (négative) où ils se recombinent ensuite pour former de l’hydrogène gazeux (H2). Si l’électricité nécessaire à la réaction est d’origine renouvelable, le bilan « carbone » du procédé est neutre.
L’efficacité de cette réaction d’électrolyse est amplifiée en présence de catalyseurs. Jusqu’à présent, on enrichissait uniquement l’anode avec des métaux rares et chers (ruthénium, platine, iridium). Un procédé mis au point par des chercheurs de trois universités australiennes accélère l’électrolyse en enrichissant les deux électrodes avec des nanoparticules d’oxydes de fer et de nickel - des métaux courants et des milliers de fois moins chers. Cela booste à la fois la recombinaison des ions hydroxydes en oxygène gazeux (O2) à la cathode, et des protons en hydrogène gazeux à l’anode.
Partout dans le monde où l’énergie devient chère et les matières fossiles rares, des ingénieurs travaillent à la mise en œuvre industrielle de ce procédé (encadré). En parallèle, on cherche à améliorer son efficacité ou encore à élargir son application. Ainsi des chercheurs de l’université américaine de Stanford développent un procédé industriel pour électrolyser, cette fois, l’eau de mer plutôt que de l’eau pure.
Le projet Masshylia en FranceTotalEnergies et Engie ont signé un accord de coopération pour développer, construire et exploiter le plus grand site de production d’hydrogène renouvelable de France. Situé au cœur de la bioraffinerie de Total à La Mède, en région sud-PACA, l’électrolyseur de 40 MW sera alimenté par des fermes photovoltaïques alentours et produira 5 tonnes d’hydrogène « vert » par jour. Une fois cette première phase validée, de nouvelles fermes solaires pourront être développées et raccordées à l’électrolyseur qui peut produire jusqu’à 15 t d’hydrogène par jour. La construction du site a débuté en 2022 et la production d’hydrogène commencera courant 2024 ou 2025.
Comment produire de l’engrais azoté « vert » ?
Jusqu’à présent, l’ammoniac était principalement synthétisé à partir d’hydrogène et l’azote de l’air (N2) par le procédé Haber-Bosch. Outre que cet hydrogène est habituellement issu du craquage du méthane (CH4), d’origine fossile, et que d’importantes quantités de gaz carbonique sont alors produites1, ce procédé est très gourmand en énergie car la réaction requiert de hautes pressions et températures. Cependant, il produit un ammoniac bon marché tant que les coûts du méthane et de l’énergie sont peu élevés. La donne a changé avec la double crise de l’énergie et du gaz.
«Produire de l’ammoniac vert était très coûteux jusqu’à présent, estime Alexandre Willekens, expert engrais pour Agritel. Mais avec la hausse des coûts de production, cette option gagne en compétitivité.»
Le nouveau procédé de production d’hydrogène « vert » décrit plus tôt peut également être couplé avec l’extraction de l’azote de l’air afin de fabriquer dans le même temps de l’ammoniac (NH3) ; il émet de l’oxygène et du carbone, mais cette fois, le carbone est tiré du gaz carbonique présent dans l’air et est émis sous forme solide et réutilisable. Le procédé, qui s’effectue à basse pression et basse température, est moins gourmand en énergie mais n’a toutefois pas encore atteint la maturité industrielle.
Selon qu’il est transformé en acide nitrique, combiné à du gaz carbonique ou simplement oxydé, l’ammoniac permet de fabriquer respectivement du sulfate d’ammoniaque, de l’urée ou de l’ammonitrate (figure 1).
Où en sont les projets de fabrication d’engrais décarbonés ?
Le producteur d’engrais norvégien Yara (interview ci-dessous) déploie trois projets utilisant de l’hydrogène « vert » comme source d’hydrogène pour le procédé Haber-Bosch alimenté par de l’énergie renouvelable : aux Pays-Bas, où l’électricité est apportée par de l’éolien offshore, en Australie en partenariat avec Engie (projet Yuri) avec de l’électricité photovoltaïque, et en Norvège à partir d’énergie hydroélectrique. Le projet Yuri, dont la construction doit débuter ce mois-ci, comporte un électrolyseur de 10 MW alimenté par une installation photovoltaïque de 18 MW pour produire jusqu’à 640 t d’hydrogène renouvelable par an. L’hydrogène sera acheminé vers l’usine Yara à Karratha pour produire de l’ammoniac, puis de l’ammonitrate.
D’autres projets sont développés à travers le monde. Ainsi, le fabricant espagnol d’engrais Fertiberia mise sur la production préalable d’hydrogène « vert » à partir d’une électricité produite localement par panneaux solaires.
Toutefois, si l’industrie prend des initiatives pour fabriquer de l’ammoniac « vert », celui-ci sera difficilement attractif à court terme sans subventions massives, car les consommateurs ne voudront ou ne pourront pas payer plus cher une nourriture produite avec des engrais décarbonés.
(1) Quand l’hydrogène est issu du méthane, 6 tonnes de CO2 sont aussi produites pour 1,1 t d’hydrogène.
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