Fourrages : des légumineuses tropicales pour améliorer l’autonomie protéique
Les éleveurs de ruminants des filières lait et viande ont besoin de protéines pour leurs animaux et, dans nos conditions agronomiques, elles sont plus difficiles à produire que la fraction énergétique de leur alimentation. Ainsi, le maïs fourrage ensilé en plante entière est cultivé dans la plupart des territoires depuis les années soixante pour ses avantages agronomiques et sa facilité de conservation : la culture de maïs ensilage s’étend sur plus de 1,4 million d’hectares en France métropolitaine. Mais, il n’affiche que 7 % de matières azotées totales (MAT). La ration des ruminants a donc besoin de compléments protéiques tels que les tourteaux de soja ou de colza. Pour des élevages de vaches laitières conventionnels, cette fraction représente de 18 à 25 % des aliments distribués et monte jusqu’à 31 % en élevages laitiers caprins.
Plusieurs facteurs conjoncturels et structurels comme la volatilité des cours internationaux de ces matières premières incitent les éleveurs à chercher des solutions vers plus d’autonomie, sans oublier les demandes des consommateurs pour des filières sans OGM. Ces démarches, initiées par la grande distribution ou les industriels laitiers, offrent actuellement une plus-value de l’ordre de 10 à 20 €/1000 litres de lait. À terme, une alimentation sans OGM des animaux d’élevage pourrait devenir un standard sans rétribution. Un report à 100 % vers des tourteaux de soja non OGM ou de colza (majoritairement sans OGM) ne ferait qu’augmenter la tension sur ces ressources au risque d’une augmentation de leurs prix et ne ferait donc que déplacer le problème. Les élevages en production biologique ont de leur côté du mal à accéder à des ressources comme les légumineuses à graine, captées par l’alimentation humaine.
Trouver des solutions économiquement viables pour les producteurs et qui répondent aux demandes des consommateurs est donc capital, le fourrage étant un excellent véhicule de progrès.
Les cinq objectifs de Tropi’Cow • Produire un ou des inocula à base de Rhizobia en mesure d’assurer la fixation symbiotique de l’azote par les deux espèces tropicales Cowpea et Lablab ;
• évaluer en serre et au champ la performance de ces inocula produits ;
• étudier les performances agronomiques (rendement, capacité à concurrencer les adventices) des associations « plantes en C4 + légumineuses » dans différents contextes pédoclimatiques ;
• identifier les idéotypes de maïs et de sorgho les plus adaptés à ce type d’associations ;
• caractériser les spécificités de récolte (stade, process) et de conservation de ces fourrages ainsi que leurs valeurs alimentaires ;
• mesurer l’incidence économique, environnementale et sociale de l’adoption de ces fourrages mixtes sur le fonctionnement de plusieurs types d’exploitations agricoles.
Les résultats seront communiqués au fur et à mesure de l’avancement du projet.
Pour réduire leur dépendance protéique, des éleveurs testent en France, depuis 2017, la production de fourrages mixtes à base de maïs ou de sorgho complétés par des fabacées tropicales comme le Lablab (Lablab purpureus) et le Cowpea (Vigna unguiculata).
Dès les années 1980, des expérimentations ont été réalisées sur l’association maïs/soja, haricots communs ou tarbais. Les essais de l'époque montrent que la céréale a, souvent, une productivité moindre que lorsqu’elle est seule mais que la MAT progresse. Plusieurs contraintes techniques (taille de la graine de légumineuse compliquant le semis, modalités de récoltes, non coïncidence des cycles de développement…) ont limité la diffusion de ces pratiques en élevage. Les essais conduits en France par des éleveurs pionniers avec du Lablab ou du Cowpea livrent déjà des éléments intéressants. Ainsi, le Lablab s’associe mieux au maïs ensilage qu’au sorgho ensilage car son comportement volubile (grimpant) risque de faire verser le sorgho alors que le Cowpea s’associe aux deux espèces mais peine jusque-là à s’imposer. Les huit dispositifs comparant le maïs seul et le maïs en association qui ont pu être analysés pointent pour l’instant une baisse moyenne de rendement de 10 à 20 % pour les associations et peu de progrès en MAT. Pour autant, l'analyse d'essais de ces associations réalisés dans d'autres pays avec inoculant est prometteuse : elle montre une forte augmentation de la biomasse fraiche récoltée (jusqu’à 33 % par rapport au sorgho seul et 22 % pour le maïs) ; sans compter l’intérêt en MAT ou pour la maîtrise des adventices.
Inoculer pour gagner en biomasse ?
L'absence de nodosités sur les légumineuses des essais français explique probablement cette faiblesse actuelle. Les partenaires microbiens (rhizobium) nécessaires à la croissance des fabacées testées sont en effet absents des sols métropolitains. Or, sans la symbiose qu’ils établissent avec les légumineuses, ces dernières se placent en concurrence du maïs et du sorgho, en particulier pour l’azote fourni par le sol, ce qui ne permet pas d’augmenter de manière significative le taux protéique global des fourrages. C’est l’un des premiers objectifs du projet Tropi’Cow qui a démarré en janvier 2021 et doit se poursuivre jusqu’en 2024 (encadré). L’acronyme de ce projet en résume le but : auTonomie fouRragère et prOteique Par l’Introduction de Céréales et de prOtéagineux tropicaux dans la ration des ruminants.
Construit avec 27 partenaires (tableau 1), ce projet de recherche vise à mettre au point des itinéraires de production de ces fourrages mixtes d’été, pour les élevages, tant conventionnels que biologiques.
Venu d’une demande et d’une expérience terrain, il se distingue par sa démarche innovante, qui commence par l’observation des pratiques des éleveurs pionniers. Éleveurs, conseillers et chercheurs sont associés dans un mouvement de co-construction pour réaliser les phases de diagnostic et de production de connaissances dans un temps court. Les producteurs souhaitent produire un fourrage de meilleure qualité ; réduire leurs charges afin d’accroitre la rentabilité de leur exploitation avec l’accroissement de leur autonomie alimentaire ; répondre aux attentes de la société en matière de diminution d’usage des phytosanitaires, fertilisants de synthèse et concentrés protéiques OGM ; et mettre en œuvre des systèmes plus résilients aux différents aléas.
Conjonction de moyens et cohérence
Le partenariat technique est suffisamment large pour être en mesure de mobiliser des éleveurs de contextes climatiques différents. Cela explique le nombre important de Chambres départementales impliquées (tableau 1).
Les instituts techniques, ARVALIS - Institut du végétal et IDELE, apporteront leur expertise à la fois sur la méthodologie, les moyens expérimentaux et leur savoir-faire sur des projets allant du champ à l’animal, ainsi que sur l’analyse multi-critères et la constitution de bases de données.
L’INRAE se chargera de l’isolement, de la production d’inocula à Rhizobia, ainsi que de la logistique de tests de ces inocula en conditions contrôlées. Le réseau sera mobilisé pour fournir des souches de Rhizobia pour alimenter la phase initiale de screening de souches.
Tropi’Cow contribuera aussi, en lien avec les Conseils régionaux, au développement des Contrats d’objectifs et aux plans protéiques régionaux de Nouvelle Aquitaine et des Pays de la Loire. Il bénéficiera de surcroit, du point de vue méthodologique, du travail des groupes opérationnels du Programme d’action Inter-régional SOS Protein, conduit en Bretagne et en Pays de la Loire par les Chambres régionales d’agriculture pour réduire la dépendance des élevages du grand ouest aux protéines importées.
Outre Cowpea et Lablab, d’autres espèces, en particulier certaines variétés de soja tardives, semblent aussi intéressantes à évaluer, comme l’a montré un travail préalable de la Chambre d’agriculture de la Nouvelle Aquitaine en 2019.
Des tests interrompus par la Covid L’INRAE de Dijon a démarré début 2020 ses travaux sur deux souches de Rhizobia spécifiques de chacune des légumineuses. Les chercheurs ont pu montrer que les plantes inoculées développent bien des nodosités contrairement à celles qui ne le sont pas. Mais le test s’est arrêté le 13 mars 2020 avec le confinement et devra se poursuivre pour valider et quantifier la fixation symbiotique de l’azote.
(1) Projet CASDAR « Innovation et partenariat » porté par la Chambre régionale d’Agriculture Nouvelle Aquitaine, contact Olivier Guérin.
Anthony Uijttewaal - a.uijttewaal@arvalis.fr
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