Diversification des cultures : de quoi parle-t-on ?
Diversifier les cultures, c’est augmenter le nombre d’espèces cultivées sur une même parcelle. Cette augmentation est obtenue grâce à l’association de cultures, aux cultures multiples (par exemple, trois cultures en deux ans), à l’allongement de la rotation et/ou à une combinaison de ces pratiques (figure 1).
Il existe d’autres pratiques de diversification - par exemple, les mélanges variétaux d’une même espèce ou les associations de cultures annuelles et pérennes (agroforesterie) - mais elles n’ont pas été étudiées dans le projet DiverIMPACTS.
Les orientations stratégiques de la Politique agricole commune (PAC) ont conduit à favoriser les cultures dites majeures (encadré) et l’utilisation importante d’intrants tels que les fertilisants et produits phytosanitaires. Les conséquences environnementales de ces pratiques concernent tous les compartiments de la biosphère : diminution de la biodiversité, pollution du sol, de l’eau et de l’air. Par ailleurs, l’agriculture produit, directement ou indirectement, une part significative des émissions européennes de gaz à effet de serre (GES).
Pourquoi diversifier ?
Dans ce contexte, des structures scientifique (Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et politique (Commission européenne) majeures alertent et souhaitent orienter les systèmes agricoles actuels vers une plus grande durabilité.
Un axe majeur de cette transformation consiste à substituer une partie des intrants de synthèse par des services écosystémiques apportés par une augmentation de la biodiversité cultivée, tels que la fourniture d’azote par une légumineuse ou la diminution de la pression d’une maladie ou d’un ravageur.
Un nombre conséquent d’études scientifiques en France et à l’international ont montré que la diversification des cultures permet d’améliorer la fourniture de services écosystémiques, la qualité de l’eau et du sol, le biocontrôle de certaines maladies et ravageurs ainsi que les rendements, notamment lorsque plusieurs pratiques de diversification sont combinées.
Le projet européen DiverIMPACTS, qui regroupe une centaine de partenaires à travers onze pays d’Europe, étudie depuis juin 2017 les effets de la mise en place de pratiques de diversification sur l’ensemble du système agricole (« de la ferme à la fourchette »). Pour cela, dix plateformes expérimentales et vingt-cinq cas d’études, qui proposent des expériences variant tant le mode de production (conventionnel ou biologique) que l’intensité de diversification, sont évalués sur une durée de quatre ans.
Les analyses de performances des systèmes de culture sont effectuées en considérant les trois dimensions de la durabilité : économique, sociale et environnementale. Un système de culture n’est, en effet, durable que s’il performe dans ces trois dimensions simultanément.
Projet DiverIMPACTS : des résultats en grande partie positifs mais…
Dans la plupart des expérimentations et des cas d’études, les performances globales des systèmes de culture diversifiés sont supérieures à celles de leurs références moins diversifiées. Les plus grands progrès ont été réalisés sur la dimension environnementale en raison de la diminution des intrants. Par exemple, les résultats ont montré que l’utilisation d’engrais de synthèse et de carburant représente près de 90 % de la consommation d’énergie primaire des systèmes de culture (environ 65 % et 25 % respectivement). Or les émissions de gaz à effet de serre sont très fortement corrélées à la consommation d’énergie d’un système de culture. Dans les systèmes diversifiés, l’introduction de légumineuses, à la fois en tant que cultures principales et/ou intermédiaires, a souvent permis de réduire l’utilisation d’engrais de synthèse, et donc les émissions de gaz à effet de serre.
Concernant la gestion des adventices, l’utilisation de cultures associées, l’introduction de cultures intermédiaires et l’alternance de cultures de printemps et d’hiver ont souvent limité la compétition des adventices avec les cultures principales et brisé leurs cycles, conduisant dans plusieurs cas à une réduction de l’usage d’herbicides.
Néanmoins, les analyses montrent que des conflits entre performances persistent parfois dans les systèmes diversifiés. Par exemple, si la performance environnementale d’un système diversifié augmente, il se peut que tous les indicateurs environnementaux ne soient pas améliorés en même temps - c’est ce que l’on observe sur les quatre années sur lesquelles les références reposent. Ainsi, l’introduction dans une rotation courte de cultures à indices de fréquence de traitements (IFT) relativement plus élevés peut conduire à une augmentation de l’IFT moyen à l’échelle de la rotation.
Par ailleurs, on observe des conflits entre dimensions de la durabilité. Il s’agit le plus souvent d’une diminution de la performance économique des systèmes diversifiés par rapport à leurs références, malgré de bonnes performances dans les autres dimensions. Toutefois, les conflits entre performances ont été jugés acceptables par les acteurs dans la plupart des cas d’études.
À partir des années 1960, sous l’influence de la PAC, l’agriculture française s’est spécialisée vers des cultures dites majeures, principalement des céréales, cultivées dans des rotations courtes (deux à trois ans), voire en monocultures. L’objectif était de bénéficier d’économies d’échelles au niveau des exploitations, mais aussi des filières, en gérant de grands volumes d’un nombre limité d’espèces.
Cette spécialisation a conduit la majorité des acteurs du système agricole (agriculteurs, conseillers, sélectionneurs, chercheurs, collecteurs, transformateurs) à focaliser leurs activités sur ces cultures pour en améliorer les performances techniques et leur adaptation aux différents contextes rencontrés.
Des investissements en R&D sont nécessaires pour que la diversification tienne ses promesses
Les conflits observés s’expliquent en grande partie par le contexte de spécialisation du système agricole. C’est ce que met en évidence le projet DiverIMPACTS, selon Antoine Messéan, directeur du projet. En effet, cette tendance a conduit à un déficit d’investissement sur le long terme dans les cultures « mineures » qui sont donc, par essence, moins compétitives que les cultures majeures. Ce désavantage est d’autant plus marqué dans un contexte de marché global de commodités. En pratique, les cultures mineures telles que les légumineuses ont longtemps bénéficié de moins de recherches en sélection variétale et agronomique. Une fois introduites, elles ont davantage de risques d’échouer, ce qui peut fragiliser les performances des systèmes diversifiés.
Le choix des agriculteurs de diversifier leurs systèmes de cultures avec plus ou moins d’intensité tient compte de plusieurs facteurs, dont leurs objectifs personnels, la capacité à prendre des risques sur l’exploitation, les conditions pédoclimatiques, les pressions biotiques, les normes, les infrastructures ainsi que les opportunités de marché. Ensuite, il faut du temps pour maîtriser les nouvelles pratiques et pour bénéficier au maximum des services écosystémiques fournis par la diversification. Des outils d’aide à la décision ont donc été conçus dans le projet DiverIMPACTS pour aider agriculteurs et conseillers à piloter et adapter les itinéraires techniques des systèmes diversifiés en vue d’optimiser leurs performances.
Les résultats de DiverIMPACTS montrent que les freins à la diversification sont nombreux et concernent l’ensemble des acteurs du système agricole. En aval des filières, les collecteurs et les transformateurs doivent, par exemple, pouvoir stocker des volumes relativement faibles de cultures mineures et s’assurer de leurs débouchés. Par conséquent, il est impossible de proposer des recommandations génériques pour les choix à faire en termes de diversification.
À quelques mois de sa clôture, DiverIMPACTS émet des recommandations à la Commission européenne pour soutenir le développement de filières de diversification dans les territoires, en proposant des dispositifs favorables aux initiatives multi-acteurs. Ces dispositifs doivent prendre en compte le temps nécessaire au développement de ces nouvelles filières, avec suffisamment de visibilité à moyen terme pour assurer la mise au point des innovations qui rendront ces filières durables.
Rappelons que la diversification des cultures n’est pas une fin en soi mais un moyen prometteur de concilier productivité suffisante et durabilité.
Article rédigé avec la participation d'Antoine Messéan - messean@grignon.inrae.fr
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