Outre la mutualisation des investissements, les projets de diversification menés à plusieurs ont l’avantage de multiplier les expériences, et donc les acquis techniques, sur une seule campagne.
Diversifier ses assolements avec des cultures qui n’ont rien à voir avec les céréales ou les oléo-protéagineux n’est pas une promenade de santé. C’est une prise de risque, essentiellement motivée par la recherche d’un meilleur revenu. « Mais cela ne doit pas être la seule motivation », prévient Florent Courtin, conseiller d’entreprise chez Accompagnement Stratégie Centre-Loire.
Gagner en résilience face aux aléas climatiques, contourner une impasse technique ou encore sécuriser l’intégration d’un conjoint ou d’un enfant sur l’exploitation va souvent de pair avec la démarche. « Généralement, les agriculteurs qui ont un projet de diversification estiment maîtriser les cultures traditionnelles et ont envie de se challenger », constate Florent Courtin. Cette curiosité à sortir de sa zone de confort s’observe surtout chez les agriculteurs installés depuis quelques années, qui sont en phase de croisière. « Le caractère nouveau d’une diversification nécessite un peu de flexibilité, notamment financière, pour se lancer », confirme Yohann Vrain, co-fondateur de ReSoil, spécialisé dans l’accompagnement et le financement de la transition bas carbone des exploitations de grandes cultures.
Le débouché, nerf de la guerre
Parmi la panoplie de cultures à disposition, laquelle choisir ? « Le débouché est le premier facteur de choix. Au-delà de la capacité à vendre, la question est de savoir si la culture est rémunératrice », souligne Yohann Vrain. Ainsi la méthode la plus simple, et la moins risquée, est de répondre à une demande de son organisme stockeur (OS) ou d’une entreprise de transformation (ici et là), et de contractualiser les volumes et les prix de vente (ici et là).
Mais d’autres voies sont possibles. « Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de filière dans son territoire qu’il n’y en a pas en France. Je pense, par exemple, à des agriculteurs de Loire-et Cher qui produisent des noisettes et qui se sont organisés pour livrer leur production à des OS du Sud-Ouest », illustre Florent Courtin.
Les plus aventuriers - et autodidactes – feront leur propre étude de marché. « Il ne faut pas hésiter à prospecter auprès des magasins de producteurs, et à scruter les PAT1 pour identifier des besoins. Et pourquoi pas ouvrir un point de vente à la ferme ? C’est la meilleure façon de garder la main sur les prix », plaide Jean-Marie Lenfant, agriculteur et chargé du réseau « Bienvenue à la ferme » aux Chambres d'agriculture France. Attention toutefois à ne pas surestimer ses capacités : vendre soi-même sa production suppose d’avoir une appétence pour le commerce, et d’avoir du temps à y consacrer. « Il faut aimer passer du temps sur la route, et être prêt à passer la relation client au même niveau de priorité que les travaux de la ferme », averti Jean-Marie Lenfant.
(1) Plans alimentaires territoriaux
Aides et crédits carbone aident à financer son projet
Bonne nouvelle : des aides existent pour accompagner l’introduction de nouvelles cultures dans les assolements, et elles peuvent même être substantielles. «
Les collectivités soutiennent facilement les projets de diversification, surtout s’ils servent les PAT ou la transition écologique. Des aides régionales ou européennes peuvent aussi s’ajouter : certains projets sont financés à hauteur de 60 % », indique Jean-Marie Lenfant. Les conseillers des Chambres d’agriculture sont de bonnes sources d’informations sur les aides proposées par les territoires.
Une autre piste est de financer une partie de son investissement par
la vente de crédits carbone. «
Si la culture de diversification est moins gourmande en intrants, ou si elle entraîne un changement de pratiques qui permet de baisser les émissions de gaz à effet de serre, alors elle peut générer des crédits carbone. Toutefois, ça ne financera jamais le projet dans sa totalité », insiste Hilaire Roucou.
Maitriser la charge de travail
D’autres paramètres sont toutefois à prendre en compte pour guider son choix de diversification. Le changement climatique offre de nouvelles opportunités qui n’étaient pas forcément viables par le passé (ici, là et encore là). « Il faut vérifier la possibilité d’irriguer, car cela permet aussi de flécher les cultures » souligne Florent Courtin. Dans les faits, l’accès à l’eau est souvent indispensable pour sécuriser la culture.
La maitrise de la charge de travail ne doit pas être négligée : identifier les pics d’activité et vérifier qu’ils peuvent s’intercaler dans le rythme imposé par les cultures traditionnelles comptent parmi les critères de sélection.
Enfin, certaines cultures nécessitent du matériel spécifique. Les CUMA ou les ETA peuvent les posséder. Autrement, les agriculteurs qui produisent déjà ces cultures les proposent parfois à la location. Un achat groupé peut aussi faire sens si plusieurs agriculteurs décident de se lancer en même temps. « Globalement, les démarches collectives sont plus sécurisantes. Outre la mutualisation des investissements, le partage d’expérience est un véritable atout car il fait gagner du temps pour maitriser l’itinéraire technique. De plus, introduire une nouvelle culture est source de stress : on voit bien la différence entre ceux qui sont isolés et ceux qui font partie d’un groupe », constate Hilaire Roucou, chef de projet chez ReSoil.
Établir un prévisionnel sur deux ans
Une fois ces aspects élucidés, il est nécessaire d’établir un prévisionnel pour s’assurer que la nouvelle culture ne mettra pas l’exploitation en péril. « Le budget de trésorerie est à établir au moins sur deux ans, plus si on envisage une culture pérenne », conseille Florent Courtin. Cet exercice est indispensable pour déterminer la surface minimum et maximum à allouer à la culture de diversification pour atteindre la rentabilité. C’est aussi à cette occasion que l’on évalue l’intérêt d’investir dans du matériel. « On n’achète pas si on n’a pas la capacité d’amortir », glisse l’expert.
La question de la main-d’œuvre n’est pas à prendre à la légère, et ne s’arrête pas aux aspects financiers. « Recruter, et surtout gérer une équipe de saisonniers peut être déroutant, notamment si on ne l’a jamais fait auparavant », argue Florent Courtin. Si tel est le cas, il est d’ailleurs conseillé de se former un minimum en ressources humaines.
Enfin, à la fin de chaque campagne, il est important de prendre le temps de faire le bilan, et de comparer le résultat réel au prévisionnel pour procéder à des ajustements. Par ailleurs, formaliser à voix haute les difficultés rencontrées et les satisfactions est précieux pour se recentrer sur ses objectifs de départ. Que votre interlocuteur soit un conseiller, un technicien ou un autre agriculteurs, ne sous-estimez pas la communication et les bienfaits du dialogue.
Une opportunité en or de créer le dialogue
Et si les cultures de diversification offraient une opportunité nouvelle de dialogue avec les acteurs de son territoire
? Cette hypothèse, rares sont ceux qui l’avait envisagée au début de l’aventure. Pourtant, ils sont plusieurs à en témoigner. «
Ça intéresse le voisinage, la presse, les élus locaux… Surtout si c’est une culture atypique dans la région », indique
Christian Daniau, agriculteur en Charente.
Sorte de «
produit d’appel
», les cultures de diversification sont un outil de communication intéressant pour parler de son métier, de sa ferme… Et des grandes cultures
! Sans en faire une motivation à part entière à se diversifier, l’existence de cette synergie est à garder précieusement en tête.
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