Maladies des céréales à paille : quand le microbiome protège les cultures
Dans les sols cultivés et sur les cultures vit une grande diversité de micro-organismes, la plupart non pathogènes pour les plantes. Appelée autrefois microflore à tort (car ne contenant pas seulement des organismes du règne végétal), ce microbiote(1) prospère dans la terre et au niveau des racines des cultures (rhizosphère), voire à l’intérieur de certaines parties des plantes pour les espèces endophytes, ou encore sur les feuilles (phylosphère).
La niche écologique du microbiote(1) est appelée le microbiome(2). À chaque parcelle agricole et pour chaque culture correspond un microbiome spécifique.
De leur côté, les plantes produisent des exsudats, émettent des signaux moléculaires, recrutent des micro-organismes et les nourrissent, forment des associations symbiotiques, modifient leur environnement microbien, etc. De ces interactions, elles obtiennent des bénéfices sur les plans de la nutrition, de la croissance et de la santé, voire une meilleure tolérance aux stress abiotiques. Différents mécanismes entrent en jeu lors de ces interactions, dont la compétition ou la coopération entre micro-organismes.
Piétin-échaudage : comment le sol s’auto-assainit
La maladie du piétin-échaudage est due à des champignons du sol du genre Gaeumanomyces qui affectent spécifiquement les céréales à paille et certaines graminées. Aucune variété cultivée n’y est tolérante et l’efficacité de la lutte chimique est partielle.
Les résidus de récolte constituent la principale source d’inoculum l’année suivante. Lorsque le blé est conduit en monoculture, son rendement chute sévèrement les premières années (figure 1) en raison de l’accumulation dans le sol de résidus infectieux ; le cycle du champignon n’étant pas interrompu, la maladie progresse. En revanche, dans une rotation avec une ou plusieurs cultures non hôtes (betterave, colza, protéagineux…), le développement de la maladie est fortement atténué.
Pourtant, la nuisibilité du piétin-échaudage s’atténue la quatrième année de monoculture du blé. Dans certains sols et au fil du temps, les plantes souffrent en effet moins, voire plus du tout de certaines maladies, bien que l’agent pathogène soit présent et que l’hôte soit sensible à la maladie.
Le phénomène est connu depuis longtemps et est attribué à la « suppressivité des sols » - c’est-à-dire à leur capacité propre d’assainissement. Cette propriété disparaît si l’on pasteurise le sol et est transférable à d’autres sols par transplantation ; de plus, elle est sensible à des variations des conditions de milieu - par exemple, de pH. Il s’agit donc bien d’une propriété biologique.
Dans le cas du piétin-échaudage, la suppressivité des sols est attribuée à la présence de bactéries du sol du sous-groupe Pseudomonas fluorescens, qui produisent un métabolite actif sur Gaeumanomyces. Mais certaines variétés de blé semblent plus rapidement capables de rendre le sol suppressif vis-à-vis du piétin-échaudage - une piste actuellement étudiée par Arvalis.
Modifier le milieu peut affaiblir ou favoriser le microbiome
La composition du microbiote du sol varie selon les conditions du milieu. Selon qu’elle défavorise ou favorise tel ou tel micro-organisme, toute action modifiant ces conditions a donc un impact sur le microbiote.
Ainsi le chaulage élève le pH du sol - au détriment de P. fluorescens. De ce fait, un amendement basique augmente systématiquement la nuisibilité des attaques de piétin-échaudage (figure 2) et ce, d’autant plus que les doses sont élevées et leur action, rapide. C’est pourquoi il est déconseillé de chauler avant toute céréale à paille.
Le pH du sol est également modifié par les apports d’engrais, différemment selon leur forme. Pour limiter le piétin-échaudage, par exemple, il est préférable d’apporter du sulfate d’ammonium plutôt que de l’ammonitrate. Mais prudence ! Le sulfate d’ammonium contenant une grande proportion de soufre, il convient de limiter les apports de cette forme d’engrais et d’adapter la stratégie de fertilisation en apportant le sulfate d’ammonium aux périodes et aux doses les plus efficaces pour limiter le piétin-échaudage. Des recherches sont en cours à ce sujet.
« Le terme microbiome reflète le changement d’objet d’étude : de l’organisme isolé (ici, la plante) vers l’écosystème organisme x micro-organismes associés. »
Un autre exemple de modification du microbiome impactant le microbiote et, par suite, la résistance d’une culture aux maladies est l’introduction de moutarde brune en interculture entre deux blés. Enfouie dans le sol après broyage, la moutarde en décomposition libère en effet des isothiocyanates. Ces composés volatiles sont toxiques notamment envers certaines bactéries et champignons, dont Gaeumanomyces. Une telle biofumigation atténue, certaines années, la gravité du piétin-échaudage.
Une nouvelle voie de recherche
La recherche sur le microbiome débute seulement, et il reste encore beaucoup à découvrir - par exemple, à identifier les espèces ou communautés microbiennes associées à une modulation, positive ou négative, de la performance de la culture. Quelle diversité et quels caractères fonctionnels du microbiote associé aux plantes sont importants pour participer à une meilleure santé des cultures ? Quels sont les traits génétiques des interactions plante x microbiote utiles à la santé des cultures ?
De nouvelles perspectives de solutions agroécologiques s’ouvrent ainsi pour la protection des cultures, comme la conception de microbiotes synthétiques. À terme, c’est l’ensemble plante x micro-organismes associés qu’il s’agira de piloter pour contribuer à leur santé.
(1) Microbiote : c’est l’ensemble des communautés de micro-organismes vivant ensemble dans une niche écologique donnée. Celui du sol est constitué de bactéries, champignons, virus, archées et protozoaires (en très grand nombre).
(2) Microbiome : le terme englobe la niche écologique et les communautés microbiennes qui l’occuppent.
Deux projets étudiant l’influence du microbiome sur la santé des culturesLOTO Si les variétés de maïs ne sont pas toutes aussi sensibles aux attaques de taupins (Agriotes sp.), il existe aussi un effet « lots de semence » pour une variété donnée. Le projet LOTO cherche à déterminer les caractéristiques du microbiote des semences et du microbiote de la rhizosphère au stade plantule qui augmentent la tolérance du maïs à ces attaques.
Burritos Les mélanges d’espèces modifient la résistance des cultures aux maladies, de même que certaines interactions plante x plante au sein d’une même espèce. Cultiver une variété de blé dur en mélange avec une autre peut-il influencer sa résistance à la rouille brune? Le projet CASDAR Burritos cherche à confirmer cette hypothèse chez le blé dur et à comprendre les mécanismes à l’œuvre et à les valoriser, par exemple en proposant des mélanges variétaux ad hoc.
Paloma Cabeza-Orcel - p.cabeza@perspectives-agricoles.com
Claude Maumené - c.maumene@arvalis.fr
Éric Masson - e.masson@arvalis.fr
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