Activité biologique des sols : Microbioterre clarifie la fertilité microbiologique
Les analyses de terre servent maintenant en routine aux agriculteurs qui veulent améliorer durablement la fertilité chimique des sols pour piloter leurs pratiques de fertilisation ou d’apport d’amendement. Mais la composante biologique de la fertilité est moins évidente à évaluer. Pourtant, les organismes du sol, qu’ils soient visibles (vers de terres, carabes…) ou invisibles à l’œil nu (bactéries, champignons…), assurent bien des fonctions : dégradation des matières organiques et fourniture en éléments minéraux, stabilisation d’une partie du carbone organique alimentant le stock de carbone des sols, structuration du sol… Le projet de recherche Microbioterre (encadré) a creusé cette question durant quatre ans et nous rapproche aujourd’hui d’un diagnostic objectif de la fertilité biologique des sols à un coût abordable pour une exploitation agricole.
Le projet Microbioterre, piloté par Arvalis, en partenariat étroit avec Auréa Agrosciences, la Chambre d’Agriculture de Bretagne, l’INRAE, l’ITAB, Terres Inovia et Unilasalle-Rouen visait à intégrer des analyses microbiologiques aux analyses de terre réalisées par des laboratoires. Il s’agissait in fine d’élargir le diagnostic et le conseil dans la gestion des pratiques culturales restituant de la matière organique au sol. L’objectif est d’optimiser les pratiques pour, à la fois, stocker suffisamment de carbone de manière durable et augmenter l’activité de dégradation de carbone qui conduit à la fourniture d’azote, de phosphore et de soufre aux cultures. Le projet couvre tous les systèmes de grande culture et de polyculture-élevage, qu’ils soient conventionnels, conduits selon les principes de l’agriculture de conservation ou de l’agriculture biologique.
Une base solide pour les conseils de demain
Sur le chemin d’une offre de conseil et de préconisations, Microbioterre est une première étape pour y voir plus clair dans l’effervescence des méthodes de mesure. Ce projet pose des bases solides pour mieux caractériser la fertilité biologique des sols. De nombreux acteurs du monde agricole s’appuient déjà sur ses références pour développer des diagnostics devraient permettre, demain, de piloter au mieux les pratiques d’une agriculture multiperformante et durable.
Il s’agit de savoir si les organismes vivants sont présents en quantité suffisante, s’ils sont actifs et assurent au mieux les services que l’on attend. Une évaluation de la fertilité biologique permet de s’assurer de la durabilité de son système, de diagnostiquer des situations périlleuses pour le sol et ses aptitudes culturales, et/ou d’optimiser les services rendus en adaptant ses pratiques.
La dégradation d’un objet organique
De nombreux tests ou mesures se sont développés ces dernières années pour appréhender la vie dans le sol. Certains sont simples et peuvent être réalisés par tous. C’est le cas du test du slip proposé par l’initiative « Plante ton slip » ou du sachet de thé (Tea Bag index). Ils cherchent tous deux à appréhender le niveau d’activité biologique en observant la dégradation d’un objet organique laissé pendant une période donnée dans le sol. Bien que démonstratifs, ces tests ne permettent pas, seuls, de conclure ou de prendre des décisions sur les pratiques agricoles. D’autres indicateurs, mesurables directement au champ, sont testés actuellement évalués, même s'ils rencontrent encore des limites d’interprétation car les référentiels manquent.
Des paramètres plus précis sur l’abondance
Depuis de nombreuses années, les laboratoires de recherche ont mis au point des analyses pour mesurer, sur des échantillons de terre, des paramètres plus précis sur l’abondance, la diversité et l’activité des micro-organismes du sol ainsi que sur le cycle du carbone ou de l’azote. Malgré le caractère robuste et scientifique de ces mesures, elles ne permettent pas non plus de piloter les pratiques. Il est difficile de choisir parmi la multitude d’analyses possibles et un éventuel conseil en devient onéreux. Microbioterre a levé plusieurs de ces freins en évaluant par exemple la pertinence et la redondance des informations fournies par ces mesures et en construisant des référentiels pour ces indicateurs. Les mesures sont en effet influencées par le type de sol (notamment le pH et la texture), le climat ou encore les pratiques agricoles, ce qui exige, avant toute comparaison, des références dans une grande diversité de contextes.
Identifier les indicateurs les plus révélateurs
Microbioterre a passé en revue 25 types d’analyses autour de trois grandes caractéristiques. Il a ainsi exploré celles qui concernaient la qualité de la matière organique (MO), notamment la taille des particules de sols auxquelles le carbone et l’azote de cette MO sont liés. Elle aura une influence sur la dynamique de minéralisation et/ou d’humification. Le projet s’est aussi intéressé aux analyses quantifiant les micro-organismes présents et à celles qui traitent de l’activité de ces micro-organismes. C’est le cas pour la mesure de la dynamique de transformation de l’azote du sol ou la recherche d’enzymes qu’ils sécrètent et qui sont impliquées à différentes étapes des cycles de l’azote ou du carbone1.
18 sites expérimentaux
Pour sélectionner les mesures capables de discriminer les pratiques afin de construire un conseil réellement pertinent, Microbioterre s’est appuyé sur 18 sites expérimentaux de moyenne et longue durée, entre 6 et 46 ans, répartis sur toute la France (figure 1). Ces sites ont adopté depuis plusieurs années des pratiques agricoles qui influencent la microbiologie des sols
Douze indicateurs retenus
Les mesures les plus pertinentes ont été retenues comme indicateurs microbiologiques, d’autres ont été écartées, car elles étaient redondantes ou apportaient peu d’information en grandes cultures ou en polyculture-élevage. Les critères de sélection comprenaient aussi le coût et la facilité des méthodes utilisables en routine.
Ainsi, le nombre d’analyses à effectuer pour établir un diagnostic de la fertilité du sol a été rationnalisé. Au final, 12 des 25 indicateurs testés ont été retenus.
En plus de la teneur en carbone organique et en azote total qui sont les variables physico-chimiques de référence, le fractionnement granulométrique de la MO (c’est-à-dire l’analyse de la taille des particules) apporte une information sur l’effet des pratiques culturales.
La fraction fine (0-50 µm) correspond à des matières organiques humifiées. C’est la partie la plus stable, souvent associée à des caractéristiques du sol telles que la rétention en eau, la stabilité structurale et la capacité d’échange cationique.
Matières organiques particulaires
La fraction grossière, entre 50 et 2000 µm , encore appelée « matières organiques particulaires », correspond à des débris végétaux en cours de décomposition. Cette fraction constitue une source d’énergie plus accessible pour les micro-organismes du sol. Elle porte sur la partie dite labile de la MO, capable d’être minéralisée à court terme et de fournir des nutriments. Mais cette dernière reste difficile à appréhender. S’agissant d’une fraction théorique de la MO, il existe différentes méthodes indirectes pour l’estimer. Parmi celles-ci, la mesure du carbone oxydé par le permanganate de potassium (C oxydé) discrimine bien les changements de pratiques, ce qui complète l’information apportée par le fractionnement de la MO. Le dosage de l’azote contenu dans les différentes fractions du sol est un autre des indicateurs sélectionnés.
Biologie moléculaire
Du côté de l’activité biologique, la mesure du C microbien qui est assimilé à la biomasse des micro-organismes (bactéries, champignons et protozoaires dans le sol) confirme son intérêt, ainsi que l’azote biologiquement minéralisable (ABM). Par ailleurs, des analyses issues des techniques de biologie moléculaire sont jugées pertinentes. La biomasse fongique, par exemple, peut être évaluée à partir d’une fraction d’ADN ribosomique spécifique aux champignons des sols. Elle fait partie des indicateurs retenus (dose d’ADNr 18S ou 18S). Enfin, quatre mesures relatives aux activités enzymatiques des micro-organismes, les dosages de la protéase, leucine-aminopeptidase (LAP), Arylamidase (ARYLN) et la ß-D-glucosidase (GLU) ont également été sélectionnées pour leur aptitude à différencier les pratiques agricoles.
Que traduisent ces indicateurs sur l’activité biologique ?
Un indicateur de microbiologie du sol ou de qualité de la MO ne suffit pas à lui seul pour caractériser l’état d’un sol et construire un conseil. Il faut aller plus loin et identifier sa relation avec les principales fonctions du sol. Microbioterre a donc scruté trois fonctions des sols agricoles : le recyclage des nutriments, la transformation du carbone et le maintien de la structure du sol.
Pour cela, une méta-analyse, c’est-à-dire une synthèse exhaustive de la bibliographie scientifique à travers le monde, a été réalisée sur les relations entre les indicateurs et le fonctionnement des sols.
Ainsi, les différentes mesures sont reliées à différentes fonctions attendues d’un sol, elles-mêmes déclinées en processus, constituant un ensemble permettant de qualifier la fertilité (tableau 1).
Il est à noter que très peu d’indicateurs ont une relation avérée forte avec l’ensemble des processus étudiés, illustrant une certaine complémentarité des différentes analyses. Au contraire, quelques indicateurs comme le C oxydé sont corrélés à plusieurs processus physiques et biologiques du sol.
Il conviendra aux conseillers d’utiliser les indicateurs en fonction des objectifs de l’agriculteur.
Ainsi, les leviers pour améliorer la biodisponibilité des éléments minéraux par la minéralisation à court terme pourront en effet différer de ceux qui optimisent l’augmentation du stockage du carbone dans les sols.
Fixation symbiotique
Toutefois, certains processus biologiques ont peu de lien avec les indicateurs évalués. C’est le cas de la fixation symbiotique ou de la transformation de la matière organique. Pour certaines de ces relations entre indicateurs et fonctions du sol, des équations existent dans les publications scientifiques afin de passer concrètement de l’indicateur à un service écosystémique précis et chiffré. Mais pour la majorité d’entre eux, la recherche fondamentale doit poursuivre ses travaux afin de relier ces indicateurs à des valeurs de services, ou pour rechercher des indicateurs qui pourront l’être.
Le référentiel donne les clés d’interprétation
Microbioterre a bien abouti à sélectionner des indicateurs liés à la microbiologie des sols, précis, normalisables, discriminants des pratiques agricoles. Mais dans la pratique, les valeurs de ces mesures ne sont interprétables et donc valorisables qu’avec des références. D’ou la création d’un référentiel, une base de données regroupant les valeurs obtenues dans 183 situations en France, dans divers contextes agronomiques et pédoclimatiques.
L’idée est de pouvoir, demain, en recevant les résultats d’une nouvelle parcelle agricole, se comparer et se positionner par rapport à une gamme de variation de référence : est-ce que ma valeur est basse, moyenne, ou élevé par rapport aux références ? Pour chaque indicateur, une classe (entre très faible à très élevée) pourra ainsi être attribuée pour chaque mesure, suivant une méthode d’effectifs équivalents (figure 2).
Quelques pas restent à franchir
Il faudra cependant rester vigilant à ne pas surinterpréter ces valeurs. S’il semble instinctif de viser un niveau élevé de biomasse microbienne ou d’activité enzymatique dans son sol, pour maximiser les effets bénéfiques, les valeurs optimales par indicateur ne sont pas encore connues. Concrètement, bien qu’il soit désormais possible d’annoncer que la quantité de micro-organismes d’un sol est faible ou élevée, il n’y a pas de référence pour affirmer qu’elle est suffisante, insuffisante voire trop élevée. De plus, les valeurs souhaitables seront certainement liées aux attentes de l’agriculteur vis-à-vis de la dynamique de ses sols.
Le référentiel actuel reste également à consolider. Les indicateurs varient ainsi significativement selon la profondeur du prélèvement. Les mesures devront être réalisées sur la même profondeur que les références, soit 0-20 cm.
De même, les 183 mesures du référentiel couvrent une large gamme de type de sol, de climat et de systèmes de cultures, mais elles ne balayent pas toute la diversité des situations agricoles françaises. Le référentiel doit particulièrement être complété pour des sols ayant un taux de calcaire supérieur à 5 % et ceux dont le pH eau est inférieur à 6.
Enfin, l’activité biologique d’un sol dépend de sa texture. Une valeur moyenne dans un sol à dominance sableuse sera différente dans un sol à dominance argileuse. Il en va de même selon les climats dominants. Le référentiel doit donc aussi se renforcer afin que des comparaisons soient possibles en fonction du pédoclimat.
(1) Détail des indicateurs à retrouver dans l’article « Projet Microbioterre : mieux comprendre la vie du sol », Perspectives Agricoles n°475, mars 2020, p. 66.
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