Conduite de la lentille : lutter contre Bruchus signaticornis

Les attaques de bruches mettent en péril la pérennité de débouchés à forte valeur ajoutée. La recherche de solutions de gestion de ce ravageur - alternatives ou chimiques, au champ comme dans les lieux de stockage - est primordiale.
Réduire la nuisibilité de la bruche de la lentille

Les bruches sont des coléoptères ravageurs des légumineuses dont les larves dégradent la qualité des graines. Les femelles pondent leurs œufs sur les gousses. Quand les larves éclosent, elles pénètrent directement dans les gousses puis dans les graines, qu’elles évident en créant des galeries et des loges. L’infestation, visible en raison des trous de sortie des insectes adultes, induit une détérioration de la graine inacceptable pour le consommateur.

Dans le cas de la lentille, la bibliographie répertoriait jusqu’à présent deux espèces de bruches nuisibles : Bruchus lentis et Bruchus signaticornis. Cependant, une gestion optimale au champ ne peut être développée sans connaître l’identité du ravageur majoritaire dans les bassins de production français, ainsi que sa biologie et son cycle de développement. C’est pourquoi l’Association nationale interprofessionnelle des légumes secs (Anils), Terres Inovia, leurs partenaires et le Laboratoire d’Éco-entomologie d’Orléans ont lancé en 2018 une étude qui a permis d’apporter des réponses à certaines de ces questions et ouvert des perspectives de gestion.

Comment détecter les bruches en parcelle?En 2018 et 2019, sur le site du Berry, une expérimentation initiale avait mis en œuvre différents types de piégeage : tests de cuvettes jaunes, Polytrap, pièges englués, utilisation d’un filet-fauchoir. En effet, les tentes Malaise restent onéreuses dans le cadre d’un suivi de vol, et leur mise en place est assez technique.

Le but de cette expérimentation était donc de trouver une méthode plus opérationnelle de détection des vols successifs sur toute la durée du cycle, qui soit utilisable par les agriculteurs pour un suivi.

Malheureusement, ces tests ont montré qu’aucune des méthodes évaluées sur ces deux années n’apportait de résultats satisfaisants au regard de l’objectif poursuivi. Seules les tentes Malaise semblent, pour l’instant, adaptées à l’observation non biaisée des bruches en parcelles.

B. signaticornis identifiée comme « la » bruche de la lentille en France

De 2018 à 2020, un vaste protocole a été mis en place dans six bassins de production français de lentilles (majoritairement de lentille verte) : la Vendée, l’Indre (le Berry), la Haute-Loire (Le Puy), le Gers, l’Aube et l’Yonne. Il a fait appel à un dispositif de piégeage des bruches par interception : la tente Malaise capture les insectes au vol lors de leurs déplacements.

Parmi les bruches collectées, au moins quatorze espèces différentes ont été capturées sur les quatre-vingts présentes en France. L’espèce B. signaticornis s’est révélée largement majoritaire dans les captures : 99,8 % des bruches trouvées dans les pièges appartenaient à cette espèce. L’autre bruche de la lentille, B. lentis, responsable de dégâts au Maghreb et en Espagne, n’a pas été détectée.

Les suivis ont mis en avant l’hétérogénéité des densités de populations en fonction des bassins étudiés. Un nombre plus important de bruches a été intercepté dans le Berry et, dans une moindre mesure, dans le Gers (en 2018) et dans l’Yonne (en 2020). Peu de bruches ont été relevées dans le bassin de la Haute-Loire (le Puy), contrairement à ce qui était attendu au regard de l’historique de production de la lentille. Il existe également une variabilité interannuelle au sein des différents bassins étudiés.

« 12% en moyenne des graines de lentille récoltées dans les bassins de production étudiés sont bruchées. »

Les taux de graines infestées par la bruche, autrement dit de graines « bruchées », ont été étudiés dans 111 parcelles réparties dans les bassins de production de 2018 à 2020. Il ressort que le taux moyen de graines bruchées au niveau national est de 11,9 %.

Globalement, il existe un lien entre le taux de graines bruchées et la densité de B. signaticornis observée. Ainsi, de faibles taux de graines bruchées et de faibles densités de bruches en parcelle sont relevés dans les départements de la Haute-Loire et de l’Aube. À l’inverse, de fortes densités de bruches et de forts taux des graines bruchées sont observés dans les départements de l’Indre et du Gers.

Presque tout se joue avant le début de la floraison

Au printemps, une forte activité de vols, à la fois des mâles et des femelles, est visible durant quinze jours à un mois. La colonisation est caractérisée par un vol massif qui peut être suivi de plusieurs vols de moindre ampleur (figure 1).

Cette colonisation a lieu   entre mi-avril et fin-mai, selon les années, et est probablement corrélée aux variations du climat de l’année (températures, pluviométrie ou humidité). À cette période, la lentille se trouve entre le stade « 4 feuilles » ou BBCH 14 (mais en altitude, seulement à « 2 feuilles » ou BBCH 12) et le stade « premiers boutons » (BBCH 51). La majorité des individus arrivent avant la floraison de la culture.

À la suite de cette phase de colonisation massive et après la floraison de la culture, le nombre d’adultes interceptés est négligeable. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’une fois arrivées dans les parcelles, les bruches se déplacent peu puisqu’elles disposent de leur plante-hôte.

Les mâles de B. signaticornis sont majoritaires avant le début de la floraison. Leur nombre décroît fortement jusqu’à l’arrêt de leur capture après ce stade. Les femelles sont également interceptées principalement avant le début de la floraison, mais certaines années elles peuvent être détectées encore en nombre après ce stade. Habituellement, les deux sexes arrivent à la même période (de 1 à 4 jours près), mais en proportions inégales en faveur des mâles.

Parmi les solutions à l’essai, la piste variétale est approfondie

Des essais d’efficacité ont été mis en place par Terres Inovia, les partenaires de l’Anils et la Fnams(1) afin d’identifier de nouvelles solutions efficaces, qu’il s’agisse de biocontrôle (hors réglementation PPP), de produits phytopharmaceutiques ou autres, avec un objectif de portage des dossiers auprès des administrations. À l’heure actuelle, les solutions évaluées ne sont pas satisfaisantes au regard des efficacités constatées et des exigences du marché pour l’alimentation humaine. Des solutions alternatives, telles que les kairomones, sont donc à l’étude. Elles concernent également la lutte contre la bruche de la féverole.

Depuis 2019, l’Anils est partenaire du projet de recherche RésiLens, dont le but est de constituer et d’évaluer une collection de ressources génétiques de lentilles (Lens culinaris Medik.) afin d’y rechercher des sources de résistances variétales aux bruches et aux pourritures racinaires (incluant Aphanomyces euteiches). Le projet est porté par INRAE et bénéficie d’un financement CASDAR. Il doit également fournir des éléments de réponse sur l’identité des pathogènes du sol et des bruches responsables de pertes de rendement chez cette culture. Il s’agit de révéler des génotypes ayant des résistances totales ou partielles à ces problèmes majeurs et de les proposer pour des programmes de création variétale.

(1) Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences.

Gwénola Riquet - g.riquet@terresinovia.fr
Laurent Ruck - l.ruck@terresinovia.fr
Jean-David Chapelin-Viscardi - chapelinviscardi@laboratoireecoentomologie.com
Samuel Loiseau - loiseau@laboratoireecoentomologie.com

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