Chauler en intégrant la teneur en matière organique

En visant un pH eau élevé, le chaulage permet-il d’améliorer le rendement d’une culture en limons hydromorphes drainés ? Un essai Arvalis, conduit durant onze ans dans le Grand Ouest, montre que non : un objectif entre 6 et 6,5 reste le meilleur compromis.
Phénomène naturel intervenant plus ou moins rapidement suivant la nature des sols et des pratiques culturales, l’acidification des sols non calcaires peut aller jusqu’à la destruction des pieds dans les situations les plus extrêmes.

Maintenir les pH du sol dans une gamme optimale passe généralement par l’apport d’amendements minéraux basiques. L’objectif premier de la correction de l’acidification est de ne pas franchir un seuil de pH au-dessous duquel une toxicité aluminique, qui peut affecter la croissance des plantes, risque d’apparaître. On cherche alors à maintenir les pHeau au-dessus de 5,5, en général entre 6 et 6,5.

Ces valeurs de pHeau permettent d’assurer une bonne fertilité des sols dans la majorité des situations. Dans certains contextes, il existe des recommandations visant un maintien des pHeau dans une gamme plus élevée entre 6,5 et 7, l’objectif étant de maintenir la structure du sol et donc la fertilité physique. C’est notamment le cas pour les sols de limons hydromorphes drainés. La recommandation de maintien des pHeau autour ou au-dessus de 6,5 est issue de suivis de parcelles et d’expérimentations au champ. Néanmoins, la plupart des essais ayant conduit à ces recommandations ont été menés sur des sols pauvres en matières organiques et avec une capacité d’échange cationique (CEC) faible.

Se pose alors la question de l’extrapolation de ces résultats sur des sols limoneux hydromorphes drainés présentant une teneur élevée en matière organique, comme c’est le cas de nombreux sols du Grand Ouest en zone de polyculture élevage. Pour répondre à cette question, un essai longue durée a été mis en place par Arvalis sur la station expérimentale de La Jaillière (44).

L’objectif principal de l’essai a été de comparer l’intérêt de deux stratégies de chaulage : l’une visant un pHeau autour de 6,5 ; l’autre un pHeau plus élevé (≥ 7) en vue d’évaluer leur impact sur les propriétés physiques du sol. Deux types d’amendement ont été apportés : calcaires broyés et pulvérisés (chacun à 2 doses de valeur neutralisante (VN) pour obtenir les deux niveaux de pHeau ciblés). Pour cela, quatre apports ont été réalisés sur la période de l’essai (tableau 1).

ESSAI CHAULAGE : huit indicateurs suivis sur onze années

Une rotation blé tendre – maïs, représentative des rotations observées dans ce contexte régional, a été mise en place, les maïs étant précédés de couverts intermédiaires. Des labours sont réalisés régulièrement sur la parcelle. Des mesures de pHeau, carbonates résiduels et rendements ont été effectuées chaque année sur l’ensemble des modalités. Elles ont été accompagnées de nombreuses mesures d’évaluation de la fertilité physique des sols.
 

Les mesures réalisées au pénétromètre ont permis d’observer une différence de compaction significative entre différentes modalités de l’essai.
Les mesures réalisées au pénétromètre ont permis d’observer une différence de compaction significative entre différentes modalités de l’essai.

 

Différenciation des pH

Les apports d’amendements ont permis d’obtenir des états de pH différenciés des modalités chaulées par rapport au témoin à partir de la campagne 2014-2015. Les pH entre modalités diffèrent à partir de la campagne 2016-2017, après le second apport d’amendement. Le premier apport d’amendement semble avoir été en partie emporté par le ruissellement dû aux fortes pluies avant son enfouissement.

Seule la mesure réalisée à l’automne 2017 ne présente pas de différenciation significative de pH. À dose équivalente, il n’y a pas de différenciation liée à la nature du produit sur le pH. Il a donc été décidé d’effectuer les mesures d’indicateurs de l’état physique du sol sur l’un des deux produits seulement, excepté en 2023, année de clôture de l’essai, pour laquelle les mesures ont été réalisées sur l’ensemble des modalités. Il est également à noter que le témoin, n’ayant reçu aucun amendement au cours des 11 années d’essai, ne montre pas de signe d’acidification au moins jusqu’à la récolte 2022. Ceci témoigne d’un pouvoir tampon du sol plus élevé que d’autres sols limoneux, sans doute en lien avec la quantité de matière organique et d’argile. Un décrochement du pH du témoin semble avoir lieu à l’automne 2022 : sa valeur passe en dessous de 6. Ce résultat sera à confirmer par une mesure à effectuer à l’automne 2023 ; en effet le pH de 2023 (figure 1) a été mesuré au mois de juillet : l’écart avec la valeur précédente peut se confondre avec un effet de la période de prélèvement et de la variabilité intra-annuelle classique des pH.

SUIVI DES pH : une différenciation entre les deux doses appliquées permet d’évaluer deux gammes de pH

De rares réponses du chaulage sur les indicateurs de fertilité physique du sol

Des mesures des indicateurs ont été réalisées annuellement (tableau 1). Dans cet essai, les mesures des diamètres moyens des agrégats de sol, réalisées avec le test de Le Bissonnais (encadré) pour évaluer la stabilité structurale, n’ont jamais mis en évidence de différence significative entre modalités.

Zoom sur le test Le Bissonnais

Le test Le Bissonais est réalisé au laboratoire sur des agrégats de sol prélevés au champ. Il sert à évaluer la stabilité structurale et un risque de battance associé. La taille des agrégats est mesurée après la réalisation de trois sous-tests évaluant deux mécanismes de désagragation : et les tests de l’éthanol pour évaluer la résistance à la désagrégation mécanique, le test de l’eau et de réhumectation pour évaluer la résistance à l’éclatement. La moyenne de la taille des agrégats après réalisation des trois sous-tests est également évaluée. Plus le diamètre est élevé plus le sol est stable. Des classes sont proposées : < 0.4 mm = très instable, 0,4 à 0,8 mm = instable, 0,8 à 1,3 mm = moyennement stable, 1,3 à 2 mm = stable, > 2 mm = très stable. Le slake test est un autre test intégrateur des différents processus explicités ci-dessus, permettant également une évaluation de la stabilité structurale. Il est, quant à lui, réalisable au champ.

Toutefois, en 2014, les diamètres des agrégats avec le test de l’eau ou de réhumectation sont significativement plus élevés pour le témoin que pour les modalités chaulées, quelle que soit la dose. La résistance à l’éclatement est meilleure sur le témoin. En 2015 et 2020, c’est le test de l’éthanol qui a montré une différence significative entre la modalité chaulée à forte dose et le témoin.

Il est ainsi mis en évidence que le chaulage a permis une meilleure résistance à la désagrégation mécanique sur ces deux années, en notant cependant que les écarts entre la taille des agrégats des différentes modalités sont très faibles. Des mesures de Slake test ont été réalisées en 2021 et 2023 pour compléter l’étude sur la stabilité structurale. Elles n’ont montré aucune différence significative entre modalités, tout comme le test de Le Bissonnais.

En profondeur, la structure du sol a été étudiée via le test bêche qui ne montre aucune différence entre modalités. Les mesures réalisées au pénétromètre ont permis d’évaluer la compaction entre 0 et 80 cm en 2021 et 2023. On observe une différence significative entre modalités mais selon les années, différents résultats s’expriment : en 2021, les modalités avec carbonates pulvérisés sont moins compactées alors qu’en 2023, se sont les modalités avec les carbonates broyés. Toutefois, les différences entre modalités restent faibles.
 

Le chaulage n’a pas conduit à une amélioration de la stabilité structurale du sol dans cet essai.
Le chaulage n’a pas conduit à une amélioration de la stabilité structurale du sol dans cet essai.



Considérant l’hypothèse que les conditions météorologiques peuvent être très impactantes sur la stabilité des sols en contexte hydromorphe, et pourraient nous permettre d’expliquer les différences de réponses aux tests entre années, les résultats des indicateurs présentés ci-dessus ont été confrontés à la pluviométrie hivernale annuelle. Des seuils d’excès d’eau hivernaux définis dans l’Ouest pour caractériser des années à risque d’hydromorphie ont été utilisés (issus du projet PROBE1). Un seuil de 400 mm en automne-hiver (du 01/09 au 31/01) et un seuil de 130 mm en sortie d’hiver (1/02 au 31/03) permettent de caractériser les années. Nous constatons que les réponses des tests ne sont pas corrélées au type d’année tel qu’établi avec ces seuils (tableau 1). Des études complémentaires pourraient peut-être affiner la compréhension de l’effet climatique sur les résultats, notamment en étudiant les cycles de dessication-réhumectation avant les prélèvements.

Onze ans d’essai sur limons hydromorphes

Démarré en septembre 2012, l’essai arrive aujourd’hui à son terme après onze campagnes culturales. Il est conduit sur un sol de limons hydromorphes sur schiste tendre drainé de la station expérimentale d’Arvalis à La Jaillière (44), avec un pHeau en début d’essai de 6,4 ; une teneur en matière organique (MO) de 2,5 % ; en argile de 18 % et en limons totaux de 49 %. Sa CEC Metson initiale est de 9 cmol(c)/kg. En comparaison, l’essai des Grandes Règes (Jeu-Les-Bois (36), 1986-1998), essai de référence, était implanté sur un sol avec un pHeau initial de 5,8 une teneur en MO comprise entre 1 et 1,3 % ; en argile de 9 % et en limons totaux de 35 %. Sa CEC Metson initiale était comprise entre 2 et 4 cmol(c)/kg. L’essai des Grandes Règes avait montré que le chaulage, en remontant les pHeau à 6,5, avait permis un gain significatif de rendement en améliorant la fertilité physique des sols.

Pas d’effet positif du chaulage sur le rendement

L’objectif premier du chaulage, en agissant sur le pHeau et la stabilité structurale des sols, est de maintenir, voire d’améliorer le rendement de la parcelle comparativement à une absence de chaulage. Or, dans le contexte étudié sur le site de La Jaillière, les rares réponses significatives obtenues sur les tests réalisés où les indicateurs mesurés ne sont pas extériorisées sur le rendement. En effet, sur les 11 années d’essais, 9 récoltes ont été réalisées (problème de phytotoxicité ou sécheresse sur 2 années) et analysées : les rendements sont toujours équivalents entre modalités chaulées et témoin, à l’exception d’une année. En 2017, le rendement du témoin était significativement meilleur que celui de la modalité chaulée à forte dose avec des carbonates pulvérisé (70,4 contre 76,2 q/ha).

L’hypothèse du piétin échaudage est avancée pour expliquer cette baisse de rendement, mais n’a néanmoins pas été vérifiée au moment de la récolte. Il est en effet connu que le chaulage peut entrainer une réorganisation de l’équilibre microbien du sol qui, en détruisant la flore antagoniste du piétin échaudage, en facilite l’installation.

À l’issue des 11 années de l’essai à La Jaillière, les effets du chaulage sur la structure du sol sont difficiles à mettre en évidence dans ce contexte et sont non systématiques. Des années avec des conditions climatiques proches n’ont pas présenté de réponses similaires. Les rares effets observés le sont, quelle que soit la dose d’amendement et donc le pH. Les résultats ne sont pas meilleurs avec des pH plus élevés. Dans les conditions de l’essai, en sol de limons hydromorphes drainés, à teneur en matière organique autour de 2,5 % avec une CEC Metson de 9 cmol(c)/kg, il ne semble donc pas intéressant d’augmenter les préconisations de chaulage. Un objectif de pHeau entre 6 et 6,5 reste le meilleur compromis dans ces conditions.

(1) Projet conduit par la chambre d’agriculture des Pays de la Loire en partenariat avec Arvalis, Terrena, ESA, SAS Hautbois, AMC. Financement région Pays de le Loire.

* Avec la participation d’Annwenn Donnard.

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