Systèmes de culture : la multiperformance testée sur le terrain
Depuis l’été 2017, dans la continuité de ses activités de recherche et développement, la Ferme de Grignon mobilise ses compétences pour explorer la durabilité des systèmes de culture présents sur son territoire. De multiples interrogations se posent aux agriculteurs : quels sont les niveaux de performance de ces systèmes de culture ? Comment baisser leurs impacts environnementaux en conservant un niveau de production élevé ? Quels leviers techniques et quelles innovations peuvent améliorer la durabilité des systèmes ?
Pour répondre à ces questions, AgroParisTech, sur son site de la Ferme de Grignon, a mis en place une plateforme expérimentale dénommée « Trajectoire ». Elle rassemble différents partenaires du monde économique (agriculteurs, chambre d’agriculture d’Île-de-France, coopératives agricoles : Axereal, Natup, Eurochem, Corteva, Bioline), de la recherche (INRAE) et des acteurs publics (Agence de l’Eau Seine-Normandie, DRIAAF) qui apportent leur soutien financier ou technique.
Le contexte incite à repenser les pratiquesL’agriculture doit relever les défis du développement durable, en associant optimisation économique des systèmes de production et réduction des impacts environnementaux. Des actions ont été mises en place au niveau national, telles que les plans Ecophyto I et II, la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) ou encore l’initiative « 4 ‰ sur les sols pour la sécurité alimentaires et le climat ». Par ailleurs, de multiples formes d’agriculture visant une plus grande durabilité se sont développées, comme l’agriculture biologique ou l’agriculture de conservation des sols. Afin d’améliorer la durabilité de leurs pratiques, les agriculteurs combinent, plus encore qu’auparavant, tous les leviers disponibles : biologiques, mécaniques et chimiques.
Sept systèmes en démonstration
Située dans la plaine de Versailles, la plateforme « Trajectoire » est déployée sur une parcelle homogène de limons profonds. Le dispositif a pour ambition d’explorer sept systèmes de culture répartis en deux ensembles. Certains reflètent des pratiques du territoire présentant des atouts en matière de durabilité. C’est le cas des systèmes « agriculture biologique », « agriculture de conservation des cols » et « polyculture-élevage ». Les autres systèmes regroupent des pratiques culturales existantes visant des objectifs particuliers de l’agriculture durable. Ce sont les systèmes « bas carbone », « bas intrants » et « performance nourricière ».
Chaque système de culture est mis en place sur une bande de plus d’un hectare, dans des conditions similaires à celles d’une exploitation agricole. La rotation, définie sur cinq ans, comporte des cultures bien répandues sur le territoire : blé - 2e céréale - colza - blé - maïs (figure 1).
Les stratégies de conduite des systèmes ont été établies au début de la rotation. Une souplesse est toutefois conservée lors de la mise en œuvre des pratiques, afin d’ajuster les opérations culturales au contexte climatique, sanitaire ou économique. Des innovations techniques éventuelles peuvent également être intégrées au cours du processus.
L’objectivation des performances s’appuie sur un large dispositif de mesures directes. Il vise à quantifier et à expliquer les performances de chaque système sur les plans agronomiques et environnementaux. Ce dispositif d’observation est également utilisé pour ajuster les pratiques. De nombreuses mesures sont ainsi déployées pour caractériser le développement des cultures, les pertes en éléments polluants vers les eaux ou l’atmosphère, ainsi que la capacité des systèmes à stocker du carbone.
Des objectifs agronomiques atteints après quatre années
Pour chaque système de culture, des objectifs précis et ambitieux ont été définis dès le départ, tant en rendements, qu’en niveau de réduction d’utilisation des produits phytosanitaires et d’émissions de gaz à effet de serre.
Les objectifs de rendement correspondent à la moyenne olympique de la parcelle (résultats des cinq dernières années en enlevant le moins bon et le meilleur) obtenue dans le système dit « référence » (figure 2), qui correspond à celui déjà présent avant la mise en place de la plateforme «Trajectoire». L’utilisation de la moyenne olympique s’inscrit dans une logique d’exploitation, afin de faire ressortir le meilleur potentiel de chaque système de culture.
Cette moyenne avoisine 100 q/ha en blé, une valeur bien supérieure à celle de la moyenne olympique en d’Île-de-France qui s’élève à 78 q/ha (Agreste 2021). Il apparaît ainsi plus pertinent de comparer les résultats par rapport à l’atteinte d’objectifs fixés selon le potentiel de la parcelle :
• Autour de 100 % de la référence pour les systèmes « agriculture de conservation des sols », « bas carbone », « polyculture-élevage » et « référence » ;
• 108 %, en moyenne pour toutes les cultures, pour le système « performance nourricière » ;
• 86 % pour le système « bas intrants » ;
• 66 % pour le système « agriculture biologique ».
Ces objectifs ont été établis en tenant compte de l’historique de la parcelle, dans une stratégie d’agriculture durable, tant sur le plan environnemental qu’économique.
Après quatre années, les objectifs ont été atteints dans presque tous les cas avec des niveaux de rendement observés dépassant de 13 % en moyenne les objectifs de tous les systèmes confondus (figure 2).
Par ailleurs, des objectifs de réduction d’indices de fréquence des traitements (IFT) ont été définis pour chaque système et chaque culture par rapport à la référence régionale :
• une réduction de 18 % en moyenne pour toutes les cultures des systèmes « performance nourricière » et « agriculture de conservation des sols » ;
• une réduction de 34 % en moyenne pour les systèmes « bas carbone », « polyculture-élevage » et « référence » ;
• une réduction de 57 % en moyenne pour le système « bas Intrants ».
Les objectifs ont été définis « à dire d’expert », selon l’historique de la parcelle et les comportements attendus des systèmes étudiés. Ces objectifs de réduction sont potentiellement d’autant plus difficiles à atteindre que les objectifs de rendement sont a priori élevés.
D’une manière générale, les objectifs ont été largement atteints pour le blé en 2018, l’orge de printemps et le blé en 2019, quels que soient les systèmes. En moyenne, l’IFT réalisé était 14 % inférieur à l’objectif. Cependant, pour l’orge d’hiver, le colza et le blé en 2021, les effets combinés de la pression des ravageurs, des conditions climatiques et de l’arrêt d’utilisation du Gaucho ont contraint à augmenter les IFT pour sécuriser les rendements et les marges. En moyenne, l’IFT était supérieur de 20 % à l’objectif sur ces cultures (figure 3).
Observations directes des bénéfices attendus
À plusieurs reprises au cours des quatre années, les effets bénéfiques de pratiques a priori vertueuses ont pu être directement mesurés sur la plateforme. C’est notamment le cas des pertes hivernales par lessivage de nitrates et des émissions de protoxyde d’azote (N2O).
Ainsi, les mesures réalisées grâce au dispositif de bougies poreuses, qui vise à collecter de l’eau en cours de transfert vers les nappes phréatiques, ont confirmé la bonne efficacité de la phacélie et du colza comme pièges à nitrate, y compris dans des situations à risque. Lors de la campagne de drainage 2018-2019, alors que la plateforme présentait à la fois des céréales d’hiver et des couverts de phacélie assez peu développés, les résultats montrent des concentrations sous-racinaires en nitrates réduites quasiment de moitié sous le couvert. L’année suivante, alors que les précipitations sont importantes et la lame drainante forte, les pertes en nitrates mesurées sous le colza en place sont très faibles, avec seulement quelques unités perdues. En particulier, les pertes observées sous le système « polyculture-élevage » ne dépassent pas 3 kg d’azote par hectare, malgré 50 m3 de lisier apportés au semis et valorisés par des colzas présentant 2,5 kg de matière fraiche/m² en entrée hiver.
Les mesures directes d’émissions de N2O réalisées au champ à l’aide de chambres statiques ont, par ailleurs, validé les effets bénéfiques de plusieurs pratiques comme le travail du sol superficiel, la bonne adéquation temporelle entre les apports et les besoins des plantes et l’utilisation d’engrais avec inhibiteur de nitrification. De manière générale, pour les quatre années de suivi, les émissions mesurées sont légèrement supérieures en l’absence de travail du sol et lorsque le premier apport est précoce au printemps. L’absence de travail du sol entraîne une augmentation de la saturation en eau de la porosité du sol, ce qui favorise les émissions. De même des apports précoces d’azote augmentent les risques d’émission du fait de conditions de saturation en eau plus fréquentes et de besoins des plantes moins importants. À l’inverse, l’utilisation d’un engrais avec inhibiteur de nitrification entraîne bien une réduction des émissions, en limitant les excès de nitrates lors des périodes à risque.
Des émissions de N2O très inférieures à celles estimées par la méthode du GIEC
Au-delà des mesures directes, les émissions de protoxyde d’azote des différents systèmes font également l’objet d’évaluations par le calcul. Ces évaluations utilisent la méthode officielle établie par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). En mettant en perspectives les émissions calculées de cette façon et celles mesurées, nous constatons un décalage relativement important dans notre contexte pédoclimatique. Les émissions issues de mesures sont en effet presque toujours bien moins importantes que celles estimées par le calcul. En moyenne pour tous les systèmes et toutes les années, l’impact mesuré est deux fois moins important que celui calculé ; au maximum l’écart est de l’ordre de 70 à 80 %.
Ce résultat illustre bien l’intérêt de réaliser des mesures directes qui sont, par définition, fidèles aux réalités pédoclimatiques locales. Il souligne également les limites relatives à l’utilisation locale d’outils construits pour couvrir des échelles spatiales larges. La méthodologie du GIEC utilisée ici a été prévue pour un usage mondial ; le décalage avec nos mesures n’est donc pas si étonnant.
"La plateforme a aussi un rôle de support pédagogique et de diffusion des résultats."
Le projet « Trajectoire » a aussi pour objectif de communiquer largement sur les performances des systèmes de culture, tant sur leurs points forts que sur leurs faiblesses. Cette évaluation, par des mesures et des modèles de calculs, a pour but d’identifier les effets bénéfiques des pratiques explorées chaque année. Elle sera complétée par une analyse globale de la dynamique de chaque système au cours de la rotation. Les leviers identifiés comme durables ont vocation à être valorisés afin que tout un chacun puisse s’en servir pour optimiser son système de production.
Aujourd’hui, la plateforme sert de support de formation aux professionnels et aux étudiants du milieu agricole. Ces échanges créent également un dialogue fertile entre les différents acteurs du monde de la recherche et du monde économique, autour de l’innovation technique et technologique, ou encore de l’optimisation des systèmes de culture, dans une logique de durabilité.
La plateforme « Trajectoire » entame la dernière phase de sa rotation culturale. L’équipe explore déjà les opportunités de poursuite de l’expérimentation lors d’une seconde rotation.
En savoir plusSuivez régulièrement les travaux réalisés sur la plateforme « Trajectoire » sur www.linkedin.com/company/plateforme-agronomique-trajectoire
Un site internet dédié a récemment été créé : www.plateforme-agronomique-trajectoire.fr. Il reprend les grandes lignes du projet et répertorie quelques indicateurs de performances des systèmes de culture.
Le 18 mai 2022, la Ferme de Grignon organise la journée de l’innovation agricole. À cette occasion, il sera possible de visiter la plateforme « Trajectoire », de découvrir les outils de mesure et les performances des systèmes de culture étudiés (plus de précisions sur www.fermedegrignon.fr).
Tristan Brancaz - tristan.brancaz@agroparistech.fr
Dominique Tristant - dominique.tristant@agroparistech.fr
Sophie Carton - sophie.carton@agroparistech.fr
Yves Python - yves.python@agroparistech.fr
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