Systèmes de culture innovants : évaluer l’évolution du statut organique des sols
L’amélioration de la fertilité des sols est un enjeu clé des systèmes de culture de demain qui doivent concilier production alimentaire et non alimentaire et maintien ou augmentation des teneurs et/ou des stocks de matière organique des sols.
L’outil Simeos-AMG(1), disponible en ligne (gratuit en version « Découverte »), prédit comment évoluera le statut organique d’un sol dans un système de culture donné, c’est-à-dire selon les pratiques culturales et le pédoclimat, sans avoir à attendre les nombreuses années nécessaires pour en mesurer les effets sur le terrain. C’est un outil qui intéressera l’agriculteur souhaitant modifier certaines de ses pratiques, voire son système de culture. Simeos-AMG fournit des courbes d’évolution du stock de carbone organique du sol dans la couche de sol considérée et de la teneur en carbone organique dans la couche travaillée ou bioturbée (c’est-à-dire mélangée par l’action des êtres vivants dans le cas d’un semis direct).
« Avec l’outil Simeos-AMG, il est facile de comparer différents choix de pratiques sur leurs effets à long terme sur le statut organique du sol. »
Pour cela, il faut renseigner les paramètres définissant le système de culture (rotation, rendements, gestion des résidus, couverts d’interculture ou associés, cultures dérobées, apports de produits résiduaires organiques, irrigation), le type de sol (teneurs en argile vraie et en calcaire, pH, rapport carbone/azote, pourcentage de cailloux, densité apparente), la teneur initiale du sol en carbone organique et le climat (cumuls de pluies et d’évapotranspiration annuels, température moyenne annuelle).
Une nouvelle version de l’outil Simeos-AMG
Simeos-AMG est constamment amélioré grâce aux modèles de recherche STICS et AMG de l’Inra. De récents travaux menés dans la cadre du projet SOLéBIOM(2) ont affiné et complété les paramétrages du modèle de calcul du bilan humique à long terme AMG de l’Inra de Laon afin de l’adapter à la simulation des systèmes de culture innovants. Ainsi Simeos-AMG est désormais facile à utiliser pour évaluer de tels systèmes.
La nouvelle version intègre le paramétrage de nouvelles cultures : neuf cultures principales, des cultures dérobées incluant des cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVE), trente-cinq couverts d’interculture (dont des mélanges d’espèces), des paramétrages affinés pour les vingt-deux cultures principales déjà existantes et une gamme plus complète de produits résiduaires organiques. La fonction de minéralisation de la matière organique du sol a aussi été améliorée pour une meilleure prise en compte des types de sol français.
Simuler l’évolution du statut organique du sol à long terme
Les courbes d’évolution dans le temps du stock et de la teneur en carbone organique du sol sous l’effet combiné des pratiques culturales et du pédoclimat fournissent différents critères de comparaison et, ainsi, d’évaluation de systèmes de culture innovants. La dynamique représentée par ces courbes (figure 1) varie en fonction des termes du bilan humique modélisé par AMG (encadré).
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La simulation par AMG du bilan humique « décortiquée »
Dans le modèle de recherche AMG, le stock de carbone organique du sol est réparti en deux «compartiments» : l’un de carbone actif et décomposable, l’autre de carbone considéré comme stable sur plus de 100 ans. En systèmes de grandes cultures établis depuis longtemps, le carbone actif représente environ 35 % du carbone organique du sol.
La variation moyenne annuelle du stock de carbone organique du sol sur la durée d’une rotation culturale - ou bilan humique, exprimé en tonnes/ha par an - est décrite dans ce modèle comme la différence de deux termes (figure 2) :
• la somme des « entrées » de carbone organique dans le compartiment « carbone actif » de l’humus du sol, notée ∑ k1.m - où chaque résidu de culture aérien ou racinaire et chaque amendement organique du système de culture considéré se caractérise par la masse de carbone frais m qu’il apporte au sol (biomasse du résidu ou dose d’amendement x teneur en carbone) et par son coefficient d’humification k1 (c’est-à-dire le rendement de la transformation du carbone organique frais apporté, en carbone actif de l’humus du sol);
• et les « sorties » de carbone organique, notées k.Ca, dues à la minéralisation du carbone actif humifié du sol (Ca), où k correspond à la fraction de carbone organique du sol qui est minéralisée annuellement, qui dépend du type de sol et du climat.
Avec ces notations, la variation annuelle du carbone organique s’écrit donc : dC/dt = ∑ k1.m – k.Ca.
Quand le bilan humique est négatif (moins d’entrées de carbone que de sorties), la courbe d’évolution du stock marque une décroissance : dans le pédoclimat considéré, le système de culture considéré conduit à déstocker du carbone. Cette décroissance s’atténue progressivement et la dynamique du carbone organique atteint la stabilité au bout d’une période plus ou moins longue; les sorties sont alors devenues égales aux entrées. Un bilan humique positif donne une courbe croissante, correspondant à une dynamique de stockage du carbone (entrées supérieures aux sorties), qui s’atténue avec le temps, jusqu’à atteindre un nouvel état d’équilibre.
Le niveau de stock du «carbone actif» du sol atteint à l’équilibre ne dépend que des entrées de carbone organique, propres au système de culture, et du pédoclimat, qui détermine le coefficient de minéralisation annuel du carbone organique. Il est indépendant du stock initial du sol.
La capacité d’un sol à stocker du carbone, évaluée en Picardie
Sur la plateforme Syppre-Picardie, quand on compare le stock de carbone organique initial (temps 0) et la valeur atteinte après vingt ou trente ans pour chaque système de culture modélisé (figure 1-a), on constate que les sols des deux systèmes déstockent du carbone.
La variation du stock de carbone dépend des caractéristiques du système, mais elle est aussi très sensible au type de sol - et particulièrement au stock initial de carbone dans la parcelle. Le déstockage est plus important quand le stock initial de carbone est élevé (2 % de matière organique sur la couche 0-30 cm, ce qui correspond au cas réel de l’essai, le sol ayant été amendé tous les deux ans avec des fumiers avant l’implantation de l’essai) que lorsqu’il est plus faible (1,6 % de matière organique, cas très courant en Picardie). C’est pourquoi la détermination du stock initial de carbone doit être rigoureuse et précise (encadré).
Comment déterminer précisément le stock de carbone organique d’une parcelle
Le renseignement précis des paramètres du sol nécessaires au calcul du stock de carbone organique est essentiel pour suivre rigoureusement l’évolution du statut organique de son sol ou pour la simuler avec un modèle.
L’évolution des stocks de carbone organique du sol d’une parcelle doit être comparée sur une masse de terre constante au cours du temps. Aussi plusieurs précautions doivent-elles être respectées lors des prélèvements pour analyse de terre :
• la zone de prélèvement dans la parcelle doit être repérée et conservée au cours du suivi, car les teneurs en en carbone organique présentent très souvent une forte variabilité spatiale ;
• l’épaisseur de la couche de sol prélevée et analysée doit être au moins égale à la profondeur maximale de travail du sol connue dans l’historique des trente dernières années de la parcelle ;
• il est fortement conseillé de mesurer la densité apparente (ou masse volumique du sol sec) de la couche de sol prélevée pour calculer rigoureusement le stock de carbone organique ;
• la date de prélèvement doit être choisie loin des périodes d’apports organiques et, surtout, de travail du sol ; pour le suivi dans le temps, le prélèvement doit être effectué autant que possible après la même culture de la rotation ;
• si le sol est caillouteux, la teneur en éléments grossiers doit être mesurée précisément au moins une fois.
Des simulations réalisées sur des scénarios plus nombreux permettent, par ailleurs, de vérifier que l’écart de stockage entre deux systèmes de culture est moins sensible aux facteurs du pédoclimat que les valeurs absolues des stocks atteints, et surtout, que le classement des systèmes de culture relativement aux niveaux de stock atteints à moyen ou long terme ne dépend que des entrées du bilan humique.
D’après des travaux récents de l’Inra de Laon et leur confrontation à différents travaux internationaux, en milieu tempéré, le travail du sol influence peu les variations du stock total de carbone organique à long terme. L’effet du travail du sol sur le stockage de carbone serait faible ou nul en fonction du bilan hydrique. Sur l’essai longue durée d’Arvalis à Boigneville, le semis direct conduit à déstocker du carbone par rapport au labour en années humides, et à en stocker en années sèches. Cependant, après 40 ans, les stocks obtenus pour les deux systèmes sont identiques.
En systèmes de culture sans travail du sol intégrant des couverts permanents et/ou à forte production de biomasse, le stockage de carbone du sol à moyen ou long terme est surtout dû aux apports de carbone au sol par les couverts. Quant à la répartition de la matière organique dans le profil de sol, elle est directement modifiée par le travail du sol et influence potentiellement les principales propriétés et aptitudes physiques du sol : sensibilité à la battance et à l’érosion, aptitude à la fissuration et au travail, et capacité de rétention de l’eau. Ainsi la dynamique d’évolution des teneurs en carbone organique de la couche travaillée ou supérieure du sol peut s’écarter de celle des stocks considérés sur la couche 0-30 cm (figures 1-b et 1-a). Le système de culture innovant de Syppre-Picardie conduit globalement à déstocker du carbone, mais il concentre la matière organique apportée en surface du sol dans un volume de terre plus restreint (dans les 15 premiers centimètres). Il en améliore ainsi la teneur en carbone organique. Aussi, la sensibilité à la battance diminue progressivement au fil du temps, alors que dans le système témoin (travaillé sur 25 cm), elle s’accroît avec la baisse de la teneur en carbone (figure 1-c).
La plateforme Syppre-Picardie en bref
Dans le système témoin, la rotation est une succession, sur six ans, de betterave sucrière, blé tendre, couvert d’interculture (moutarde), pomme de terre, blé tendre, colza ou pois de conserve, blé tendre, couvert d’interculture (moutarde). Le labour est effectué à une profondeur maximale de 25 cm.
Dans le système innovant, la rotation s’étend sur neuf ans. Se succèdent : betterave, blé tendre, pois protéagineux d’hiver, blé tendre, couvert d’interculture (moutarde + phacélie), maïs grain, couvert d’interculture, pois de conserve, colza associé à un couvert gélif, couvert d’interculture (avoine + phacélie + trèfle), pomme de terre, blé tendre, couvert d’interculture (moutarde + féverole). Un mélange de vinasse et compost à 4 t de matière brute/ha est apporté avant maïs, pomme de terre et betterave. Pas de labour ; la profondeur maximale travaillée pour le buttage des pommes de terre est de 18 cm, pour un mélange du sol sur 15 cm.
Voir aussi l’article « Plateformes expérimentales Syppre » pp. 70-76 de Perspectives Agricoles n°434, juin 2016.
Ne pas sous-estimer l’effet des couverts
Comme il a été vu, dans un pédoclimat donné, en raison du faible effet du travail du sol sur le stockage de carbone, la comparaison des stocks de carbone entre systèmes de culture peut se ramener à la comparaison de la somme des entrées annuelles de carbone organique.
Les contributions potentielles des principales espèces de grande culture et de quelques couverts d’interculture, purs ou en mélanges, ont été évaluées (figure 3). Ces valeurs sont issues de calculs réalisés avec Simeos-AMG et basées sur des valeurs de données d’entrée fréquemment rencontrées en Picardie.
Globalement, les cultures dont les contributions à l’humus du sol sont les plus élevées sont le colza, le maïs grain, le blé tendre d’hiver lorsque les pailles sont restituées, le soja, l’orge de printemps et la betterave sucrière. Mais la contribution des couverts d’interculture et associés n’est pas à négliger. Les simulations montrent que la biomasse racinaire et aérienne restituée correspondant à une biomasse aérienne de couverts de 2 tonnes de matière sèche par hectare avant une culture de printemps apporterait 400 à 500 kg de carbone humifié.
Optimiser la production des couverts pourrait ainsi jouer de manière non négligeable sur le bilan humique des sols, avec une contribution légèrement supérieure pour les mélanges avec légumineuses. Les couverts associés au colza, outre leurs intérêts multiples pour le colza, contribueraient également à l’augmentation du carbone humifié du sol.
Cette meilleure connaissance des entrées de carbone humifié par les différentes cultures alimente les réflexions à l’échelle du système de culture. Par exemple, le faible apport de carbone humifié par certaines cultures pourrait être compensé par l’introduction de couverts.
(1) L’outil Simeos-AMG a été développé par Agro-Transfert-Ressources & Territoires à partir du modèle de calcul de bilan humique AMG de l’Inra de Laon dans le cadre du projet GCEOS. Logiciel accessible sur www.simeos-amg.org.
(2) Le projet SOLéBIOM 2015-2018, porté par Agro-Transfert Ressources et Territoires, a été mené en collaboration avec l’Inra de Laon et de Grignon, Terres Inovia et le GAO Arvalis-Terres Inovia-Terres Univia. Il a été financé par l’AAP Genesys de la SAS PIVERT, soutenue par l’État à travers le programme Investissements d’Avenir. Les présentations du colloque de restitution sont accessibles sur http://tinyurl.com/Solebiom.
Anne-Sophie Perrin - as.perrin@terresinovia.fr
Annie Duparque - a.duparque@agro-transfert-rt.org
Jean-Christophe Mouny - Agro-Transfert Ressources et Territoires
Hugues Clivot, Bruno Mary - INRAE
Robert Trochard - ARVALIS - Institut du végétal
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