La gestion du rumex en AB à l’épreuve du champ

Les rumex font partie des adventices les plus préoccupantes en agriculture biologique. Alterner cultures d’hiver et de printemps, voire intégrer une culture d’été afin de travailler le sol en interculture, optimise leur gestion en empêchant les racines de reconstituer leurs réserves.
Désherbage du rumex en système biologique

Le rumex crépu (Rumex crispus) et le rumex à feuilles obtuses (Rumex obtusifolius) sont désormais présents en grandes cultures partout en France. Avec un seuil de nuisibilité estimé à 5-10 rumex/m², ces adventices sont parmi les plus préoccupantes pour les agriculteurs bio avec le chardon des champs (Cirsium arvense). Ils se reproduisent principalement par voie sexuée mais peuvent se multiplier par voie végétative si leur collet est fractionné. Cette partie intermédiaire entre la tige et la racine pivotante est pourvue de bourgeons végétatifs qui peuvent conduire la plante à se comporter en vivace (« vivace accidentelle »).

Plusieurs partenaires du projet CASDAR CAPABLE1, conduit de décembre 2017 à juillet 2022, ont testé au champ différentes conduites culturales pour évaluer leur efficacité sur la gestion du rumex, leur coût et leurs conséquences sur les indicateurs environnementaux et organisationnels. Le réseau d’essais2 a été mis en place pendant deux ans (2018-2020) par les Chambres d’Agriculture des Pays de la Loire, du Tarn, du Tarn-et-Garonne, le lycée agricole LMA du Haut-Anjou et Bio Bourgogne. Huit essais ont été conduits (deux en Pays de la Loire, deux en Bourgogne, deux dans le Tarn, deux dans le Tarn-et-Garonne).

Pour chaque site, le travail du sol en interculture visait d’abord à scalper le collet avec un outil à dents, puis à l’extraire du sol ainsi que ses fragments avec un vibroculteur. Le protocole imposait également d’alterner une interculture longue avec une interculture courte, sans ordre imposé. Un travail du sol compris entre 5 et 8 cm de profondeur a réduit la densité de rumex dans la plupart des essais.

Travailler le sol en alternant les intercultures courtes et longues

Tous les sites où la densité initiale de rumex était comprise entre 2 et 10 plantes/m² ont tiré bénéfice d’un travail du sol en interculture. La réduction de la densité de rumex atteint 70 % dans certains cas, grâce à l’alternance d’intercultures courtes et longues et à un travail du sol répété.

Alterner les cultures d’hiver et de printemps, voire intégrer une culture d’été, exerce une action à différentes périodes du cycle de vie du rumex. L’introduction d’une culture de printemps assure une intervention avant le semis, en début de printemps avant que le rumex ne reconstitue les réserves de sa racine, épuisées en sortie d’hiver. La culture d’été offre l’occasion d’intervenir lorsque les hampes florales apparaissent, avant la maturité des graines. Enfin, la récolte de la culture d’hiver affaiblit les réserves par les passages répétés en été.

L’intérêt des couverts en interculture n’a pas pu être mis en évidence dans ces essais. Seuls trois sites ont pu les implanter et leur développement a été médiocre. Néanmoins en Bourgogne, dans l’essai où l’infestation était la plus forte, c’est avec un travail du sol combiné à l’implantation d’un couvert que la réduction de la densité de rumex a été la plus importante comparé à un travail du sol seul.

Plusieurs passages en conditions séchantes

Des passages répétés d’outils à dents avec ailettes ou patte d’oie, compris entre 5 et 8 cm de profondeur, scalpent les collets des rumex. L’intervention au vibroculteur un ou deux jours après le dernier passage évite les repiquages et le bourgeonnement de nouveaux rumex. Le recouvrement, maximisé, assure que toute la surface du sol soit bien traitée et évite de laisser intact certains rumex. Les conditions séchantes optimisent l’efficacité des passages. Éviter la présence de rouleaux derrière les déchaumeurs/cultivateurs : les rumex repartiront s’ils sont réappuyés dans le sol en conditions humides.

En culture, la herse étrille se montre peu efficace sur des rumex développés. Dans un essai où les jeunes rumex ont été supprimés, la population de rumex adultes, bien que faible (< 0,3 rumex/m²), est restée constante et arrive donc aux stades floraison et grenaison. En présence de rumex de plus de 6 feuilles, il serait donc plus prudent d’opter pour un outil plus agressif (deux passages de bineuse).

Évaluation pluricritère

L’évaluation des leviers au champ a été complétée par une analyse pluricritère sur deux exploitations (encadré) avec l’outil Systerre, comme pour le chardon3.

Des leviers de lutte adaptés à deux types de contexte agricole

La ferme-type du sud du Bassin parisien possède une surface agricole de 180 ha et des sols de limons moyen à argileux, semi-profonds à profonds, à bon potentiel. L’exploitation emploie 1 UTH* familiale et 0,3 UTH salariée. Le système de culture témoin est une rotation de dix ans incluant une alternance de cultures d’hiver et de printemps. Ce système témoin est comparé à deux systèmes de culture innovants de dix ans également mais incluant les leviers de lutte contre le rumex étudiés dans le cadre du projet CAPABLE. Ces systèmes ont été partiellement ajustés pour affaiblir ou détruire le rumex et de façon à conserver une cohérence agronomique tout en facilitant les interventions de travail du sol répétées (avec un outil à pattes d’oie).

Sur la fin de sa rotation, la modalité 1 intègre une alternance de cultures d’hiver et de printemps et le travail du sol est ajusté. La modalité 2 comprend, quant à elle, une culture d’été en précédent de la culture de printemps; les travaux du sol d’automne, printemps et début d’été sont repositionnés.

Les intercultures du début de la rotation restent inchangées et les itinéraires culturaux demeurent identiques afin d’évaluer spécifiquement les séquences étudiées dans les essais CAPABLE.

La ferme représentative du Gers couvre une surface de 100 ha, avec des sols argilo-calcaires principalement superficiels. La main d’œuvre comprend 1 UTH familiale et de la main d’œuvre salariée occasionnelle (0,04 UTH). Le système de culture témoin comprend une rotation de cinq ans qui combine céréales, oléagineux et protéagineux. Dans les systèmes « innovants » 1 et 2, la rotation a été peu ou pas modifiée. La rotation reste identique pour la modalité 1 car l’alternance de cultures d’hiver et de printemps se prête à un travail du sol efficace sur les rumex avec un outil à ailettes (avant lentille, blé tendre et pois chiche). Pour la modalité 2, les cultures de tournesol et pois chiche ont été inversées pour permettre un travail du sol au printemps après le tournesol. Les interventions avant tournesol, pois chiche et orge d’hiver ont été ajustées (davantage de passages avec un outil à ailettes). Les autres itinéraires d’interculture et les itinéraires en culture sont restés identiques.

* Unité de travail humain, équivalente à un temps plein sur une année.

La façon dont sont déclinés les leviers dans le système de culture initial a des conséquences importantes pour l’agriculteur (tableau 1). L’organisation du travail est globalement peu modifiée par rapport aux pratiques témoin. Le travail du sol à l’interculture et le désherbage en culture sont en effet déjà relativement importants et efficaces dans la pratique témoin, surtout pour la ferme du Gers. Le parc matériel des deux fermes, déjà complet et adapté à la gestion du rumex, varie peu pour les besoins du nouvel assolement.

MODIFICATION DES PRATIQUES : intégrer une culture d’été

Les performances économiques sont influencées par la modification de l’assolement dans la ferme du sud du Bassin parisien (SBP). Les charges d’intrants tendent à augmenter alors que les charges de mécanisation diminuent légèrement (peu de changement car les passages de l’outil à disques sont souvent juste remplacés par ceux de l’outil à pattes d’oies). La marge nette est finalement assez peu dégradée : respectivement de -8 et -13 €/ha pour chacune des modalités.

À l’inverse, pour la ferme du Gers, le produit brut et les charges en intrants restent inchangés car l’assolement est identique. Les charges de mécanisation augmentent très légèrement, ce qui dégrade un peu la marge nette (- 7€/ha et -3€/ha).

Côté environnement, les évolutions sont variables selon l’indicateur observé. Bien que l’ajustement des itinéraires techniques repose principalement sur des substitutions d’un outil de travail du sol par un autre, la consommation de carburants (poste prédominant dans la consommation d’énergie primaire) augmente légèrement. Seule la réorganisation des interventions à l’interculture dans la modalité 2 du Gers conduit à une diminution de la consommation de carburant et, donc, d’énergie (-1,2 %).

La tendance est plutôt baissière pour les émissions de gaz à effet de serre (GES). La fertilisation, qui est le premier poste contributeur aux émissions de GES, diminue dans la ferme SBP à la suite des changements de cultures (-1 % et -8 %). Pour la ferme du Gers, les cultures implantées et la fertilisation sont inchangées, l’augmentation du nombre de passages sur la modalité 1 induit une progression des consommations de GNR et des émissions (+1 %) alors que pour la modalité 2, la consommation de carburant se réduit légèrement, de même que les émissions (-1 %).

Les modifications opérées sur le système de culture (changement de culture et donc de la fertilisation, des semences…) influencent en premier lieu ses performances économiques, puis environnementales et l'organisation du travail. Les pratiques des fermes étant déjà relativement performantes, l’impact des leviers étudiés est limité. Les performances des indicateurs des modalités 2 des deux fermes varient plus car les changements opérés sur ces systèmes de culture sont plus importants avec, notamment, l’intégration d’une culture d’été.

(1) Plus d’informations sur ce projet sur le site https://www.itab.asso.fr/programmes/CAPABLE.php.
(2) Partenaires du réseau : Aloïs Artaud/Gaëlle Forest/François Boissinot (CAPL), Garance Baubry/Clarisse Balagny (LMA du Haut-Anjou), Ingrid Barrier (CATG), Maëva Colombet (CAT) et Adrien Lurier (Bio Bourgogne).
(3) Voir l’article « La gestion du chardon en AB à l’épreuve du champ », paru dans Perspectives Agricoles, n° 500, p. 18.

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