Lutte biologique par conservation : une meilleure connaissance des auxiliaires est essentielle
Plusieurs types de lutte basée sur les auxiliaires des cultures sont applicables en parcelles agricoles, dont la lutte par conservation. Le principe de celle-ci est de favoriser l’installation et le développement de leurs populations en modifiant les pratiques agricoles dans les parcelles et/ou à proximité. L’hypothèse est qu’ainsi la régulation des bioagresseurs sera améliorée.
Toutefois, vouloir favoriser les auxiliaires pour optimiser le service de contrôle biologique qu’ils rendent pose de nombreuses questions pratiques. À quelle échelle faut-il raisonner ? Quels sont, concrètement, les leviers à disposition des agriculteurs ? Quelle efficacité peut-on en espérer ?
Une présence affectée par de nombreux facteurs
Actuellement, il n’est pas encore possible de fournir de références chiffrées évaluant la part des régulations naturelles dans l’efficacité des stratégies de protection des plantes. Les travaux de recherche se heurtent à des difficultés d’ordre méthodologique pour quantifier la régulation des ravageurs par ce moyen, mais aussi au caractère multifactoriel des processus en jeu qui rend difficile d’extrapoler les résultats d’un lieu à un autre.
Il est néanmoins intéressant de favoriser l’abondance et l’activité régulatrice des auxiliaires. Pour y parvenir, comprendre leur écologie s’avère indispensable, afin de mieux connaître les processus en jeu et les échelles auxquelles ceux-ci se déroulent (figure 1).
Les auxiliaires vont dans les parcelles agricoles pour s’alimenter et/ou se reproduire. Les caractéristiques du sol et les pratiques culturales impactent leurs populations, surtout celles des auxiliaires à mobilité limitée - tels les carabes et les staphylins, dont le rayon de déplacement est de quelques dizaines de mètres.
Généralement, les auxiliaires ont aussi besoin des bords de champs pour accomplir au moins une étape de leur cycle de vie : hibernation, métamorphose, reproduction… La présence ou non de végétation en bord de champ, les espèces végétales présentes, de même que la gestion de ces zones ont un effet sur leurs populations.
Enfin, à l’échelle paysagère, les auxiliaires sont généralement favorisés par la présence d’habitats diversifiés. C’est particulièrement le cas des auxiliaires volants, dont le rayon de déplacement est de plusieurs centaines de mètres.
Favoriser l’installation des auxiliaires passe par la mise en place d’actions à ces trois échelles. La démarche repose sur quatre étapes : connaître les auxiliaires, savoir les reconnaître, surveiller leur présence et favoriser leur abondance.
Mieux connaître (et reconnaître) les auxiliaires
Plusieurs sources d’informations sont disponibles pour apprendre à reconnaître les auxiliaires et obtenir des indications utiles telles que leur période de présence dans la parcelle, leur mode d’action ou leur potentiel de régulation. Ces connaissances sont un préalable indispensable à toute action.
Les fiches « Connaître la biodiversité utile à l’agriculture pour raisonner ses pratiques » (outil n°1, encadré) synthétisent de nombreuses informations utiles sur les araignées, syrphes et coléoptères : sur leur morphologie et leur écologie, et sur leur potentiel à fournir des services écosystémiques.
Le projet AuxiMORE a produit quinze fiches sur des ravageurs de grandes cultures et sept fiches sur des auxiliaires (outil n°2) récapitulant des informations sur leur période de présence, leur potentiel de régulation ou les risques pour les cultures, leurs habitats, leur cycle de vie…
La reconnaissance précise des espèces auxiliaires requiert des compétences poussées en entomologie et peut se révéler difficile et chronophage. Cependant, l’observation de quelques critères simples sur un invertébré aperçu au champ suffit souvent pour apporter des informations utiles - c’est le principe de la « clé de sensibilisation » proposée par le projet AuxiMORE (outil n°3).
Sur le même principe, Astredhor a proposé une clé simplifiée et illustrée concernant uniquement les auxiliaires de culture (outil n°4). Elle va plus loin que l’outil précédent sur certains groupes d’auxiliaires, notamment les mouches et les larves d’auxiliaires.
Dix outils pour comprendre, identifier, observer, favoriser les auxiliaires
1. Les fiches Connaître la biodiversité utile à l’agriculture pour raisonner ses pratiques sur http://arvalis.info/1q5
2. Téléchargez les fiches des principaux auxiliaires et ravageurs des cultures sur https://arena-auximore.fr/fiches
3. Des clés d’identification des bêtes capturées sont disponibles sur https://arena-auximore.fr/jai-capture-une-bete/. Cliquer à chaque étape sur la photo qui correspond le plus à la « bête » que vous avez trouvée ; au fur et à mesure, son identification s’affinera.
4. Identifiez à l’aide de clés les auxiliaires régulant les pucerons, acariens, psylles, thrips et aleurodes en consultant http://arvalis.info/1q8 : six clés pour les formes adultes et quatre, pour les larves.
5. Des méthodes d’observations sont décrites sur https://arena-auximore.fr/observer-2
6. Des méthodes d’évaluation des régulations naturelles sont développées sur http://arvalis.info/1q6
7. Des fiches sur les éléments paysagers et la flore favorables aux auxiliaires de culture sont téléchargeables sur https://arena-auximore.fr/fiches
8. Une fiche précisant quelles espèces végétales conviennent à quels auxiliaires propres au Tarn est disponible sur http://arvalis.info/1q7
9. Trouvez des conseils pour bien composer votre bande fleurie sur http://arvalis.info/1q9
10. Le contenu des formations à la biodiversité fonctionnelle et les modalités d’inscription sont précisés sur https://arena-auximore.fr/formations
Comment détecter leur présence dans la parcelle ?
Il est utile de vérifier si les auxiliaires impliqués dans la régulation des ravageurs posant problème dans une parcelle donnée sont bien présents, et de pouvoir décrire les populations en place. Mais à chaque auxiliaire correspond une méthode adaptée.
Pour choisir la méthode la plus adéquate et définir un protocole d’étude, le projet AuxiMORE propose différentes fiches et vidéos (outil n°5). Le RMT « Biodiversité & Agriculture » propose, dans le même but, une boîte à outils d’évaluation des régulations naturelles (outil n°6) ; ces outils ont l’avantage de mesurer directement le service de régulation et non uniquement les populations d’auxiliaires. Certains sont difficiles à mettre en place par un public non averti, mais d’autres, comme l’analyse de restes de proies dans des pelotes de réjection, sont assez simples à mettre en œuvre.
Comment favoriser leur présence ?
Pour augmenter l’abondance des auxiliaires dans les parcelles et à proximité, la lutte biologique par conservation repose avant tout sur l’adaptation des pratiques culturales et sur la gestion des bords de champs.
Concernant les bords de champs, plusieurs sources d’informations sont disponibles afin de décider où disposer un élément qui favorisera leur présence (haie, arbre, zone enherbée ou fleurie...) ainsi que la composition en espèces végétales et comment gérer cet espace. Le projet AuxiMORE a produit quatre fiches sur les haies, les bandes fleuries semées, la flore spontanée sauvage et les engrais verts (outil n°7). Ces fiches expliquent le rôle de chacun des éléments, donnent des clés pour les localiser sur l’exploitation, pour choisir les espèces les composant et pour les entretenir.
Beaucoup de chambres d’Agriculture synthétisent les travaux sur les préférences écologiques des auxiliaires de leur région (habitats, ressources alimentaires…). Ainsi celle du Tarn (outil n°8) recense les essences végétales locales favorisant les différents groupes d’auxiliaires propres à cette région.
Le site web du projet MUSCARI regroupe de nombreuses informations utiles pour choisir un mélange d’espèces à implanter pour obtenir une bande fleurie favorisant la biodiversité fonctionnelle (outil n°9). Enfin, des formations spécifiques sont proposées aux agriculteurs et aux conseillers par le projet AuxiMORE (outil n°10).
Agriculteurs et conseillers face à la lutte biologique par conservationDeux enquêtes, menées en 2018 et 2019, ont évalué les connaissances d’environ trois cent agriculteurs et conseillers agricoles sur la régulation naturelle des ravageurs des cultures, ainsi que leurs attentes.
Cent vingt-huit conseillers de la moitié nord de la France et 153 agriculteurs de la région Grand-Est, en polyculture ou polyculture-élevage, ont répondu aux enquêtes réalisées par l’IUT Nancy-Brabois dans le cadre du projet ARENA(1). L’analyse de leurs réponses montre que la plupart d’entre eux estiment avoir un niveau d’informations moyen, voire insuffisant pour certains, sur la lutte biologique de conservation, alors même que la majorité d’entre eux considèrent comme importante cette régulation naturelle par les auxiliaires de culture. Les auxiliaires les plus cités sont les coccinelles et les carabes, puis viennent les oiseaux, les araignées et les hyménoptères parasitoïdes. Parmi les pratiques culturales et aménagements paysagers qui influencent, selon eux, la présence des auxiliaires, les infrastructures agroécologiques (haies, bords de champ…) et l’usage réduit des produits phytosanitaires arrivent en premières places.
Cette enquête indique que pour décider de traiter leurs parcelles contre les ravageurs, les agriculteurs se basent majoritairement sur les dégâts ou symptômes observés ainsi que sur la présence des ravageurs dans leurs parcelles. Un tiers se base sur les comptages qu’ils y effectuent.
Un manque ressenti d’informations et d’outils
Les conseillers se renseignent sur les auxiliaires et les ravageurs principalement au travers de tours de plaines, de sites internet et de revues. Il leur est difficile d’intégrer la régulation naturelle dans leurs conseils aux agriculteurs par manque d’informations. En effet, 70 % des conseillers considèrent qu’ils ont besoin de références et de résultats scientifiques quantifiant la régulation naturelle, et 67 %, de plus de connaissances sur l’écologie des auxiliaires. Pour observer les auxiliaires et les ravageurs, ils ont surtout recours aux examens visuels et aux pièges (cuvettes jaunes, pots Barber…). Un tiers d’entre eux réclament des protocoles ou méthodes d’identification, d’observation et de suivi, ainsi que des formations à ces méthodes. Cependant, ils disent aussi manquer de temps et de financement pour les mettre en place. Pour accéder aux informations et aux outils, ils préfèrent des sites Internet, des interventions (réunions et formations) et des applications sur mobiles.
Quant aux agriculteurs (figure 2), tous attendent des outils qui les informent mieux sur les auxiliaires et leur rôle, et qui leur suggèrent des actions pour favoriser leur abondance. Ils souhaitent aussi un plan adapté de lutte intégrée (chimique, culturale et biologique, curative et préventive). Pour accéder aux informations et aux outils, ils préfèrent les newsletters et les OAD en ligne plutôt qu’une application sur mobile.
Ces résultats seront pris en compte par le projet ARENA pour créer à terme des outils grand public répondant au mieux à ces attentes.
(1) Le projet ARENA veut élaborer des méthodes et établir des références pour favoriser les régulations naturelles (particulièrement des limaces et des pucerons en colza, blé et orges) et prévoir l’impact des auxiliaires sur les bioagresseurs des cultures.
En savoir plusLes objectifs du projet ARENA ont été exposés dans l’article « Les auxiliaires en grandes cultures : intégrer leur impact dans le contrôle des ravageurs » du Perspectives Agricoles de février 2017 (n°441).
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