Hétérogénéité des sols : caractériser la variabilité intraparcellaire
Les sols et leur organisation spatiale sont caractérisés de façon directe grâce à l’observation, lors de sondages et de profils pédologiques associés à des analyses physico-chimiques de terre. Cependant, le coût et la pénibilité de ces observations limitent leur multiplication, et leur caractère localisé fait obstacle à la réalisation de cartes haute résolution. En effet, une étude réalisée par Arvalis sur dix parcelles à travers la France a mis en évidence la nécessité d’effectuer cinq prélèvements par hectare au minimum pour avoir une caractérisation physique et chimique représentative de la parcelle.
Des technologies de mesure indirectes utilisant des capteurs embarqués, fonctionnant à proximité (méthodes géophysiques) ou à distance de la surface à étudier (télédétection), produisent des cartes haute résolution de certaines propriétés physiques du sol.
Les mesures géophysiques du sol sont rapides et simples à mettre en œuvre
Les méthodes géophysiques, électrique et électromagnétique, figurent parmi les plus employées en agriculture (tableau 1). En effet, elles investiguent des profondeurs comparables à la profondeur de colonisation des racines et sont sensibles à des paramètres pédologiques d’intérêt. Leur principe est de générer un courant électrique qui traverse le sol. La capacité du sol à s’opposer (résistivité) ou à laisser passer (conductivité) ce courant dépend de ses propriétés intrinsèques.
Dans la méthode électrique, deux électrodes enfoncées dans le sol y injectent un courant d’intensité donnée tandis que deux autres électrodes mesurent la différence de potentiel résultant du passage du courant. Cette technique a été commercialisée au milieu des années quatre-vingt-dix par Geocarta et n’a cessé d’évoluer. Elle est à présent utilisée par Stratéos d’Axéréal et Fertilio e-RM de Terrena. Elle présente l’avantage de ne pas nécessiter de calibration. En revanche, dans certains contextes (sols très secs, caillouteux), des problèmes de contact entre le sol et les électrodes peuvent produire des artefacts de mesure.
Autre alternative, un champ magnétique est émis par une bobine qui induit un courant électrique dans le sol. Celui-ci génère un champ magnétique secondaire, que l’on mesure grâce à une seconde bobine et qui est proportionnel à la conductivité électrique du sol.
La méthode électromagnétique présente l’avantage d’être sans contact ; il est donc possible d’effectuer des mesures sur sol gelé ou sec. Sa sensibilité est adaptée à la plupart des conductivités des sols français. En revanche, elle est sensible aux perturbations électromagnétiques (lignes électriques, clôtures, bâtiments métalliques…). Elle est utilisée par le service BeApi des coopératives In Vivo et par AgExtent (Partenariat Geoprospector – CNH Industries).
À l’origine conçues pour des prospections de grandes profondeurs (applications minières et pétrolières), les techniques de géophysique appliquée ont été adaptées aux profondeurs d’investigations convenant à l’étude des sols. Le principal dispositif de mesure de résistivité prospecte le sol sur trois profondeurs en un seul passage, tandis que les conductivimètres prospectent sur deux profondeurs simultanément au maximum.
À quels paramètres ces méthodes donnent-elles accès ?
La résistivité et la conductivité électriques dépendent de paramètres du sol que l’on peut classer en deux familles : les caractéristiques liées à la nature pérenne du sol (texture, taux en éléments grossiers et profondeur d’apparition du matériau parental) et les paramètres liés à l’état du sol au moment de la mesure (humidité, température, compacité et concentration ionique du sol).
L’obtention de cartes de résistivité ou de conductivité ne donne pas directement accès à une carte des propriétés du sol : il est nécessaire de mettre en lien la propriété géophysique mesurée et les propriétés du sol. En effet, les méthodes électriques et électromagnétiques réalisent des mesures intégratives, c’est-à-dire qu’une valeur de résistivité mesurée est la résultante d’un volume de sol prospecté ; aussi deux sols très différents peuvent donner des mesures de résistivité comparables et, à l’inverse, deux sols similaires d’un point de vue pédologique peuvent générer des signaux électriques très différents – par exemple, parce qu’il existe une fine couche conductrice ou résistante dans le profil exploré.
Ces techniques ne donnent pas non plus facilement accès à la répartition des éléments chimiques tels que le phosphore et le potassium, car il n’existe pas de lien direct entre la caractérisation de la variabilité par ces méthodes indirectes et les éléments chimiques. Par ailleurs, les variations de la teneur du sol en ces deux éléments ne sont pas liées : leur répartition dans le sol dépend de l’historique de la parcelle et, dans certains sols, la biodisponibilité du potassium dépend du type de sol (argileux ou pas). De plus, il est rarement possible d’établir une structure spatiale commune à ces deux éléments. L’analyse de terre est donc indispensable, en laboratoire après des prélèvements sur la parcelle, et/ou in situ, par des mesures infrarouge.
Obtenir une carte précise de la variabilité d’une propriété du sol
Une première stratégie de traitement consiste à utiliser une cartographie géophysique pour optimiser un plan d’échantillonnage, puis à affiner les contours des zones de sol par l’approche classique (sondages, etc.). C’est la stratégie suivie sur le site expérimental de l’Inra d’Époisses.
Ce site a fait l’objet d’une prospection électrique puis d’observations pédologiques. Le sol argileux est conducteur mais repose sur un cailloutis calcaire résistant ; la réponse électrique est donc fortement corrélée à la profondeur d’apparition du cailloutis calcaire. L’association des observations pédologiques et de la carte de résistivité électrique a produit une carte des types de sol aux contours plus précis. Une cartographie de la réserve en eau utilisable en a été déduite grâce à des mesures complémentaires des propriétés de rétention en eau des unités de sol.
« La cartographie du sol par des mesures géophysiques définit des zones homogènes qui seront gérées comme autant de mini parcelles. »
Des stratégies basées sur des analyses statistiques ou géostatistiques peuvent également être mises en œuvre pour proposer des cartes de modélisation des propriétés du sol. Par exemple, une méthode géostatistique d’interpolation a été appliquée sur les données du site d’Époisses. Elle a fourni une carte de l’épaisseur estimée du sol en tous points de la parcelle à partir d’un nombre limité de sondages à la tarière. L’avantage des méthodes statistiques et géostatistiques est de pouvoir associer des incertitudes aux résultats de modélisation.
À quoi sert de connaître les hétérogénéités de sa parcelle ?
Cette double prospection est la plus utilisée en agriculture. La cartographie du sol obtenue par conductivité ou résistivité définit des zones au comportement homogène. Chaque zone est ensuite considérée comme une mini parcelle ayant ses caractéristiques propres.
Ce « zonage » peut être ensuite transformé, par exemple, en une carte de préconisation de doses (azote, densité de semis…) exploitable par le matériel de l’agriculteur. Sur blé tendre, l’enjeu de la modulation intraparcellaire de la dose d’azote lors de l’apport tardif est de 3 q/ha sur les parcelles les plus hétérogènes (doses apportées très différentes) et les mieux structurées (zones de grandes tailles où la dose est homogène).
Concernant le phosphore et le potassium, l’enjeu de la modulation intraparcellaire dépend de l’exigence de la culture, de la durée d’amortissement de la caractérisation de la variabilité intraparcellaire et de la durée nécessaire pour homogénéiser les teneurs du sol. Selon l’étude menée par Arvalis sur sept sites différents, lorsque le coût de la caractérisation de la variabilité est amorti sur le nombre d’années permettant de remonter les teneurs les plus faibles et de baisser les plus élevées, la modulation intraparcellaire sur cultures à faible exigence présente un intérêt pour seulement trois parcelles (+9 à +17 €/ha), les quatre autres affichant une perte (-4 à -28 €/ha). En revanche, sur cultures à forte exigence et sur cinq ans, la modulation a présenté un intérêt sur l’ensemble des parcelles (+7 à + 86 €/ha).
D’autres méthodes de caractérisations, pour d’autres applications
D’autres méthodes indirectes pour caractériser les sols ont été testées. C’est le cas des cartes de rendement, qui existent depuis plus de vingt ans sur certaines exploitations. Toutefois le rendement intègre ce qui s’est passé sur toute l’année (maladies, ravageurs, stress…). Or le facteur limitant d’une année à l’autre n’est pas toujours le même, notamment ces dernières années. Il est donc très délicat d’utiliser les cartes de rendement pour obtenir une information sur la variabilité du sol.
Des techniques aéroportées (prise d’images par drone, ULM…) sont également à l’étude car elles présentent l’avantage de couvrir rapidement des zones importantes. Cependant, les profondeurs d’investigation sont superficielles, au contraire des méthodes géophysiques. La mise à disposition des images du satellite Sentinel 2 fera peut-être surgir de nouvelles méthodes.
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