Fertilisation : mieux exploiter les fertilisants issus du recyclage

L’utilisation des produits résiduaires organiques et des engrais minéraux issus du recyclage est encore très limitée en Europe. Un projet rassemblant six pays vise à augmenter le taux de recyclage de l’azote, du phosphore et du potassium tout en levant les freins à l’usage de tels produits.

Les six pays partenaires du projet ReNu2Farm(1) – Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas et République d’Irlande – apportent chaque année 5,4 millions de tonnes (Mt) d’azote, 0,4 Mt de phosphore et 6 Mt de potassium à leurs cultures. Moins de 5 % seraient issus du recyclage, alors que la production d’engrais azotés est forte consommatrice d’énergie (environ 2 % de la consommation totale d’énergie) et que le phosphore et le potassium proviennent en grande majorité de ressources minières limitées (les prévisions annoncent un épuisement probable d’ici 100 à 400 ans des réserves de phosphore).

Pour cette raison, la Commission européenne a placé le phosphate naturel sur la liste des matières premières critiques - des matériaux ayant une importance économique élevée pour l’Union européenne alors que leur approvisionnement est à haut risque (figure 1).

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Malgré le développement de technologies de traitement pour recycler différents types de déchets agricoles, urbains ou agro-industriels, l’utilisation par les agriculteurs des produits issus de ces technologies reste très en deçà des possibilités.

Le projet doit aider à lever les principaux freins à leur usage.

Des procédés de traitement pourtant au point

Les procédés de traitement des différents types de déchets produisent des fertilisants issus du recyclage (FIR). On obtient des produits résiduaires organiques (PRO), organo-minéraux ou minéraux dérivés de ressources renouvelables, par opposition aux produits synthétiques qui recourent à des ressources fossiles pour leur production.

Plusieurs de ces procédés sont déjà opérationnels en France : compostage ou digestion anaérobie (méthanisation) avec production de digestats.

Ces derniers peuvent faire l’objet d’une séparation mécanique en digestats solides et liquides, voire d’un séchage. D’autres, très peu ou non présents en France, sont toutefois utilisés par d’autres pays européens : la combustion de fumiers de volailles produisant des cendres, la pyrolyse de biomasse produisant des biochars (encadré), le stripping (dégagement d’ammoniac par élévation de la température et baisse de pH) et le scrubbing (action d’un acide sulfurique ou nitrique) de l’ammonium des lisiers pour produire des sulfates ou des nitrates d’ammoniaque, ou encore la précipitation sélective du phosphore de lisiers ou de boues qui produit des struvites (encadré).

Le biochar, un fertilisant longue durée issu de la biomasse

Le biochar se présente sous forme de petits fragments noirs, légers et poreux. Il est obtenu par chauffage de biomasse (résidus agricoles) à environ 500°C, en l’absence d’oxygène. Ce processus de pyrolyse transforme environ la moitié du carbone stocké dans les tissus végétaux en une forme stable et inactive (séquestration du carbone) et produit en outre un gaz combustible (cogénération).
Le biochar améliorerait la capacité du sol à retenir l’eau et les nutriments, et en augmenterait le pH et le taux de matière organique.

Faciliter les échanges entre régions importatrices et surproductrices

Au sein des pays partenaires, certaines régions présentent des ressources naturelles limitées en nutriments (Hauts-de-France, Champagne-Ardenne et Lorraine en France, Wallonie en Belgique, régions du nord-ouest de l’Allemagne et l’ensemble de l’Irlande), tandis que d’autres sont en excédent : les Flandres en Belgique et l’ensemble des Pays-Bas.

Le projet explorera les possibilités d’échanges en nutriments entre ces régions, et doit lancer une collaboration entre producteurs et utilisateurs finaux. En effet, le recyclage des nutriments en fertilisants minéraux dans les régions en excédent va créer une offre pour les autres régions. Le développement de chaînes de commercialisation transnationales et d’une politique de conseil aplanira les barrières commerciales.

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Les actions entreprises dans le cadre de ce projet devront aboutir, dans l’aire géographique concernée, au remplacement de 1 % des quantités d’engrais minéraux par des produits dérivés du recyclage dès la fin du projet, fin 2020 (54 000 t d’azote, 4 000 t de phosphore, 60 000 t de potassium), puis 2 % après cinq ans et 6 % après dix ans. Les organisations professionnelles (partenaires associés) s’assureront de cette mise en œuvre.

Les trois plus importantes filières de déchets (boues d’épuration, déchets alimentaires et lisiers) seront étudiées.

Une coopération internationale exemplaire

L’ensemble des travaux à mener sont répartis entre les partenaires du projet grâce à une collaboration public-privé internationale. Quatre universités ou centres de recherche en agriculture et environnement - les universités de Gand (Belgique) et Limerick (Irlande), et les instituts technologiques de Carlow et de Cork (Irlande) - vont réaliser des études en laboratoire pour estimer les impacts des produits sur le sol et l’environnement. Deux entreprises privées (Soil Concept, un producteur de cendres du Luxembourg, et Outotech, un bureau d’étude allemand en ingénierie de procédés de transformation des déchets) interviennent dans la mise au point de cendres issues de boues de stations d’épuration avec des teneurs faibles en éléments trace métalliques. L’IZES, organisme allemand privé de recherche sur les énergies renouvelables et bioressources associé à l’université de Sarre, assure la coordination du projet et les études prospectives sur le développement des engrais issus du recyclage en tenant compte des freins techniques, économiques, sociaux et réglementaires.

Trois instituts techniques européens, Arvalis, InAgro (Belgique) et Teagasc (Irlande), et l’Institut technologique irlandais de Cork, vont évaluer la valeur fertilisante de certains produits en laboratoire et au champ et diffuseront des conseils d’utilisation de ces produits. Un bureau d’études en agronomie et fertilisation néerlandais, le Nutrient Management Institute, pilotera des études régionales et des enquêtes auprès des agriculteurs.

Au final, vingt producteurs de FIR travailleront à l’amélioration des propriétés de dix-sept produits fertilisants issus du recyclage afin de mieux répondre aux besoins des utilisateurs finaux. Afin de lever les freins à l’utilisation des nouveaux fertilisants, le développement de nouvelles chaînes de commercialisation facilitera l’accès aux marchés transnationaux à ces entreprises. En parallèle, huit exploitations agricoles accueilleront des parcelles de démonstration, de formation, et de transfert de connaissance au travers d’évènements de démonstration à l’attention des agriculteurs.

Ce projet devrait offrir aux agriculteurs en système de grandes cultures du nord de la France la possibilité d’économies supplémentaires de charges de fertilisants NPK grâce au recours plus important à des fertilisants issus du recyclage, en particulier ceux importés depuis les pays partenaires en situation d’excédents.

La struvite, un phosphate issu des eaux usées

Le phosphore présent dans les eaux usées, en particulier celles des stations d’épuration affectées par une abondance de fumier, est récupérable sous forme de struvite, un phosphate double d’ammonium et de magnésium hydraté. La struvite contient au minimum
4 % d’azote, 30 % de pentoxyde de phosphore (P2O5) et 8 % de magnésium. Elle est recyclable comme engrais agricole à assimilation lente.

Arvalis a un rôle important à jouer

Ce recours plus important sera conditionné par une meilleure connaissance des possibilités d’utilisation des FIR disponibles sur le marché selon les contextes agropédoclimatiques. C’est pourquoi Arvalis acquerra des références au champ et au laboratoire sur la valeur fertilisante phosphatée de plusieurs nouveaux FIR (cendres issues de litières de volailles ou de boues de stations d’épuration, struvites), ainsi que sur la valeur fertilisante azotée à court terme de produits organiques issus de mélanges de fractions solides de lisiers de porcs et de fientes de volailles provenant de Belgique et des Pays-Bas.

L’institut mènera une enquête auprès d’agriculteurs du nord de la France, afin d’évaluer l’acceptabilité et d’identifier les freins à l’utilisation des FIR. En parallèle, il participera à des études à l’échelle de ces régions afin d’estimer précisément(2) les possibilités de leur utilisation compte tenu des rotations culturales, des pratiques actuelles de fertilisation et de l’état de fertilité chimique et organique des sols.

À l’issue de ces travaux, Arvalis diffusera des conseils d’utilisation de ces fertilisants auprès des agriculteurs via des réunions d’informations techniques, des articles de presse et des formations. La calculette « Fertiliser avec des produits organiques » sera enrichie avec les résultats du projet et mise gratuitement à disposition des agriculteurs et techniciens sur le site internet d’Arvalis à partir de fin 2019.

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(1) Le projet ReNu2Farm (Nutrient recycling from pilot production to farms and fields - septembre 2017-décembre 2020) s’inscrit dans le programme européen Interreg qui promeut la coopération entre les régions européennes et le développement de solutions communes dans les domaines du développement urbain, rural et côtier, du développement économique et de la gestion de l’environnement.
(2) Ces études s’appuieront sur les données les plus récentes des statistiques du ministère de l’Agriculture et de l’UNIFA (Union des industries françaises de la fertilisation), et sur les bases de données des analyses de terre du ministère de l’Agriculture.

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