Changement climatique : des rendements maintenus en adaptant la précocité du maïs

Une équipe de l’Inra de Montpellier(1) a cherché à prédire quel serait l’effet du changement climatique sur le rendement du maïs en Europe si les agriculteurs continuaient d’utiliser en 2050 les mêmes règles de décisions qu’aujourd’hui pour adapter les dates de semis et la précocité des variétés.
Le maïs est capable de s'adapter au changement climatique

La plupart des études prédisent des chutes de rendement à la suite du changement climatique. Ces baisses, prévues pour la plupart des espèces cultivées, sont souvent attribuées à une plus grande fréquence d’épisodes chauds et secs. Cependant, le raccourcissement du cycle végétatif lié au réchauffement joue aussi un rôle primordial. Pour une variété donnée, la durée de cycle (en jours) est en effet réduite par une augmentation de température, ce qui diminue la photosynthèse cumulée et le rendement.

Cet effet pourrait être compensé par l’utilisation de variétés plus tardives par les agriculteurs, qui utiliseraient ainsi la large gamme de précocité proposée par les semenciers pour contrer les effets de l’évolution du climat. Les agriculteurs adaptent d’ores et déjà la date de semis et la durée du cycle végétatif aux variations de climat entre sites et aux premiers effets de cette évolution. Par exemple, les variétés de maïs de précocité intermédiaire (groupes G3 et G4), principalement cultivées dans les années 1990 à des latitudes comprises entre 44,8 et 45,9° (par exemple, en Dordogne), sont aujourd’hui cultivées presque deux degrés de latitude plus au nord, entre 46,5 et 47,5° (par exemple, en Maine-et-Loire).

« Par leurs choix, les agriculteurs peuvent réduire les impacts négatifs du réchauffement climatique sur la production, voire améliorer le rendement du maïs. »

La durée du cycle est déterminante pour le rendement

Cette étude analyse de façon objective les conséquences du changement climatique sur les rendements du maïs en Europe si les agriculteurs continuent d’adapter le choix de variétés et de dates de semis aux conditions locales en utilisant les règles de décision utilisées aujourd’hui.

Tout d’abord, une collection de 121 variétés de maïs présentant une variabilité de dates de floraison (associée à un nombre de feuilles final allant de 12 à 27) ont été évaluées sur trois sites, Sainte-Pexine en Vendée, Le Magneraud en Charente-Maritime et Mauguio dans l’Hérault, et selon deux régimes d’irrigation dans chaque site : plantes bien irriguées ou subissant un déficit hydrique autour de la floraison. Pour chaque variété, la date de floraison, exprimée en degrés-jours, était commune à tous les essais - un résultat courant pour les maïs européens, insensibles à la durée du jour. Dans chaque essai, le rendement était lié au nombre final de feuilles, lui-même lié à la précocité de floraison, par une courbe en cloche présentant un optimum : le nombre de feuilles permettant de maximiser le rendement (figure 1).

Pour des précocités inférieures à cet optimum, l’interception lumineuse et la photosynthèse cumulée sont insuffisantes pour obtenir le rendement maximum. Au-delà de l’optimum, le remplissage du grain se déroule de plus en plus tard en automne, en conditions non optimales, et les simulations prévoient que, dans certains cas, la récolte ne sera pas possible en raison de l’humidité excessive du sol. Cet optimum est plus précoce en conditions non irriguées (courbe rouge), traduisant une stratégie bénéfique d’évitement de la sécheresse, comme recommandée par Arvalis (voir En savoir plus).


Les agriculteurs utilisent déjà les dates de semis et précocités optimales

Pour modéliser la culture du maïs, l’hypothèse est faite qu’un agriculteur choisit, par expérience, la date de semis la plus précoce possible (tout en évitant les risques de gelées de printemps) et la variété présentant la durée de cycle qui optimise le rendement. Ces règles de décision se modélisent par « semis à la première date pour laquelle les dix jours suivants n’ont pas eu de températures négatives pendant les années 1975-2010 » et « variété présentant la précocité qui maximise le rendement moyen pendant les années 1975-2010 » ; elles ont été insérées dans le modèle de culture APSIM-maïs qui simule le rendement du maïs en fonction des conditions climatiques, de la conduite de culture et de la variété.

À l’aide du modèle, les rendements ont été calculés pour la date de semis optimale et pour toutes les précocités entre 12 et 27 feuilles dans 59 sites européens pour la période 1975-2010. Le rendement simulé d’une variété dépend, en chaque site, de sa précocité selon une courbe en cloche similaire à celles observées expérimentalement. En conditions irriguées, les précocités optimales sont plus tardives au sud de l’Europe (figure 2), si bien que les rendements simulés sont plus élevés au sud (environ 14 t/ha) qu’au nord de l’Europe (env. 9 t/ha). En l’absence d’irrigation, les plus forts rendements simulés sont obtenus pour les latitudes du centre de la France (de 44 à 47°N), les sites plus au sud souffrant de déficits hydriques réguliers.

Les règles de décision incluses dans le modèle ont été évaluées en comparant les dates de semis, les dates de floraison et les rendements simulés pour chaque site avec les données expérimentales disponibles dans les bases de données européennes JRC et Eurostat. Ces comparaisons confirment que les agriculteurs utilisent les dates de semis et les précocités proches, en chaque site, des optimums calculés par le modèle.


Et en cas de réchauffement ?

Nous avons cherché à prédire quelles seraient les conséquences du changement climatique si les agriculteurs continuaient à suivre ces règles de décision en 2050. Le même modèle et les mêmes règles de décision ont été utilisées pour prédire le rendement en 2050, avec un climat issu d’un générateur de climat pour trente années en chaque site, à partir de six modèles de changements climatiques et pour deux hypothèses d’émission de CO2 : une hypothèse modérée similaire à celle proposée à la COP21 et analysée dans le dernier rapport du GIEC(2) (+1,5 °C à l’échelle du globe, mais localement +3 °C en été) et une hypothèse haute où l’émission de CO2 continue d’augmenter jusqu’en 2050. Les résultats ci-après concernent l’hypothèse modérée.

Si les agriculteurs n’adaptaient pas les dates de semis et les précocités d’ici 2050 (hypothèse peu probable mais retenue dans les simulations actuelles), les rendements seraient diminués dans 79 % des sites non irrigués, avec un impact de -2 % à l’échelle européenne (figure 3). Au total pour les cultures irriguées et non irriguées, la production de maïs à l’échelle européenne diminuerait de -1 %.

Si les agriculteurs s’adaptent avec des règles de décision proches de celles que nous avons simulées, les semis seront avancés de vingt jours en moyenne en 2050, comparé à la période 1975-2010. Les durées de cycles optimales seront allongées dans chaque site de 325 degrés-jours (environ 5 à 6 feuilles de plus). L’effet du changement climatique sur les rendements deviendrait alors positif dans la quasi-totalité des sites irrigués, et particulièrement pour les sites européens les plus au nord (jusqu’à +20 % de rendement). En culture non irriguée, l’impact resterait légèrement négatif au sud de l’Europe mais serait positif au nord de l’Europe. Au total, cela conduirait à une augmentation de la production de +4,5 % à l’échelle européenne. En réduisant les différences de rendement de maïs entre nord et sud de l’Europe, ces changements climatiques pourraient aussi conduire à des changements de répartition de la culture du maïs en Europe.


Des variétés adaptées au réchauffement déjà dans les catalogues

Ainsi, à la différence d’études précédentes prédisant des baisses importantes du rendement en 2050 dues aux changements climatiques, nous concluons à une augmentation du rendement du maïs à l’échelle européenne si les variétés et les dates de semis sont adaptées localement par les agriculteurs. Une telle adaptation est fortement plausible puisque les agriculteurs adaptent déjà leurs choix aux changements climatiques des dernières années, et que les gammes de précocités optimales pour 2050 sont d’ores et déjà disponibles dans les catalogues des semenciers. De plus, la culture de maïs va profiter de la hausse du CO2 dans l’atmosphère qui augmente l’efficience d’utilisation de l’eau (prise en compte dans notre modèle).

Cependant, des effets négatifs non pris en compte ici pourraient affecter cette conclusion, en particulier la compétition pour l’accès à l’eau, les nouvelles maladies et les politiques publiques concernant les intrants agricoles. Dans tous les cas, cette étude démontre l’importance de l’adaptation des choix des agriculteurs, qui peut réduire les impacts négatifs des changements climatiques sur la production agricole.

Cette étude a été financée par le projet européen DROPS, et l’Agence nationale de la recherche (projet Amaizing). Nous remercions Josiane Lorgeou (Arvalis) et Brigitte Gouesnard (Inra) pour leurs contributions aux expériences.

(1) Unité de recherche UMR INRA-LEPSE. Voir aussi : https://www6.montpellier.inra.fr/lepse.
(2) Plus d’informations sur les hypothèses de réchauffement envisagées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur https://www.ipcc.ch/pdf/session48/pr_181008_P48_spm_fr.pdf.

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