Changement climatique : des assolements pour construire le futur

Quelles adaptations culturales faut-il mettre en œuvre pour mieux utiliser l’eau et préserver son revenu ? Des questions auxquelles s’est efforcé de répondre le projet Climassol, en Nouvelle-Aquitaine.
Scénarios d'adaptation au changement climatique dans le Sud-Ouest

Sur deux territoires de Nouvelle-Aquitaine, en Lot-et-Garonne et Charente, des dispositifs participatifs ont mobilisé différents acteurs agricoles (agriculteurs, conseillers techniques de chambres d’agricultures et d’organismes économiques, experts régionaux d’Arvalis) pour aboutir à la construction d’une ferme-type représentative de chaque secteur. Des scénarios d’assolements d’adaptation au changement climatique ont ensuite été élaborés lors de ces ateliers participatifs. Ces scénarios ont été évalués à l'aide de l'outil ASALEE, créé par Arvalis et ses partenaires (encadré).

Les simulations reposent sur l’utilisation de projections climatiques issues des travaux du GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Deux profils climatiques représentatifs de l’évolution des émissions de gaz à effets de serre ont été choisis : le profil « RCP 4.5 » (+ 1,1 à + 2,6°C d’élévation de la température moyenne en 2100), qui projette une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre, et le « RCP 8.5 » (+ 2,6 à + 4,6°C en 2100), scénario pessimiste qui se traduit par une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Les résultats comparent les périodes 1980-2000 et 2040-2060.

Une réduction des marges nettes des cultures au cours des prochaines années est la tendance générale démontrée dans cette étude, quel que soit le contexte de l’exploitation et le type d’assolement considéré. Pour les années à venir, le niveau de marge nette simulé dépend de plusieurs facteurs : scénario climatique considéré, solidité économique de l’exploitation et niveau initial de marge, prix de vente des cultures, contexte pédoclimatique et accès à des leviers d’adaptation (irrigation, allongement de la rotation, introduction de cultures contractuelles à valeur ajoutée…).

On constate que les agriculteurs de ces territoires ont déjà commencé à modifier leurs assolements en augmentant la sole de blé tendre, aux dépends des cultures estivales, et en adaptant les stratégies d’irrigation à l’évolution du climat et à la disponibilité des ressources en eau.

Tester des cultures en situation pluviale, sous contrainte hydrique modérée à forte, donne des pistes d’adaptation des assolements (ici Essai Interpluvia 2021 - Razac d’Eymet, Dordogne).

Diversification et irrigation, deux leviers complémentaires

Dans toutes les situations considérées dans cette étude, l’irrigation a un effet positif sur la marge nette en compensant une partie des pertes de rendement dues aux stress hydriques qui vont en s’accroissant. Toutefois, le niveau de compensation dépend de facteurs économiques comme le prix de l’eau.

Cette étude n’a porté que sur l’effet du changement climatique via l’impact du stress hydrique ; les autres paramètres sont considérés comme constants, notamment les scénarios de prix de vente des cultures, le prix de l’eau, les charges fixes et variables.

Pour limiter les pertes de marges nettes, l’étude a montré l’intérêt d’introduire des cultures contractuelles ou à forte valeur ajoutée sur l’exploitation (maïs à débouchés spécifiques, production de semences…). Elle met aussi en avant l’intérêt de maintenir la diversification, stratégie payante à la fois sur le plan économique et technique. Ces possibilités dépendent, d’une part, des marchés disponibles et de leur niveau de rémunération et, d’autre part, de l’accès à l’irrigation, condition indispensable pour introduire des cultures à forte valeur ajoutée. Il est donc essentiel de pérenniser l’accès aux ressources en eau. Sur le plan de la stratégie d’irrigation, il est important de maintenir un niveau d’irrigation suffisant sur les cultures irriguées de l’exploitation - les pratiques actuelles constatées dans les territoires étudiés sont déjà limitantes - et de prioriser le volume d’irrigation vers les cultures les plus rémunératrices.

En système pluvial, les possibilités de diversification sont inhérentes au système pédoclimatique. Les scénarios d’adaptation les moins critiques économiquement s’orientent généralement vers des rotations courtes conduisant à des impasses techniques. L’étude porte uniquement sur les effets du stress hydrique et ne prend pas en compte les stress thermiques ; les assolements à base de cultures d’hiver tendent ainsi à être favorisés.

Le passage à l’agriculture biologique peut également être envisagé du fait de son intérêt économique avec les niveaux de prix actuels ; mais là encore l’irrigation est un facteur clé pour maintenir un niveau de diversification satisfaisant.

ASALEE, une performance évaluée selon la variabilité du climat et du contexte économiqueÀ partir de données décrivant l’exploitation agricole et son mode de conduite d’irrigation, l’outil ASALEE compare des assolements de cultures en simulant les résultats technico-économiques, le temps de travail et la consommation en eau d’irrigation. L’outil intègre le modèle de bilan hydrique « Irré-LIS » qui prend en compte l’effet des températures sur le cycle de chaque culture et calcule le niveau d’alimentation hydrique selon les contraintes d’irrigation sur vingt années climatiques. Des fonctions de production* associées au modèle permettent alors d’évaluer la production annuelle de chaque culture prévue dans l’assolement en lien avec le niveau de déficit hydrique climatique et la fourniture en eau d’irrigation. Il propose également une base de scénarios de prix de vente afin de considérer les aléas de marché.

* : voir article dans ce même numéro.

« Coteaux de Seyches » dans le Lot-et-Garonne

L’exploitation-type de ce secteur compte une SAU de 100 ha dont 22 ha irrigués. La sole est répartie pour moitié entre les cultures d’hiver (blé tendre majoritairement et orge d’hiver) et les cultures de printemps (maïs, soja, tournesol). Les sols sont de type Terreforts (sol argileux calcaire sur marne) moyens à profond (réservoir utile moyen de 120 mm). Le tournesol et les cultures d’hiver sont conduits en pluvial, seuls le maïs et le soja sont irrigués : le volume d’irrigation disponible est de 26 500 m3 ; soit 120 mm par hectare irrigué (4 tours d’eau de 30 mm). En maïs, les apports d’irrigation sont peu élevés au regard des déficits hydriques médians qui s’élèvent à 150 mm pour la période 1980-2000. La ressource en eau se compose d’une retenue collinaire non soumise à des dates d’arrêt d’irrigation.

Cet assolement initial est comparé à cinq autres scénarios d’assolement proposés à l’issue des ateliers de co-conception (figure 1). Ces scénarios testent l’effet de la réduction des volumes d’irrigation, voire de l’arrêt de l’irrigation, sur la marge nette de l’exploitation et sur la fréquence d’atteinte de l’objectif de revenu annuel fixé à 15 000 €. Pour amener de la valeur ajoutée, l’introduction de cultures contractualisées est testée dans les deux premiers scénarios. Dans le scénario « blé améliorant, maïs irrigué et tournesol oléique », le blé tendre meunier est converti en blé améliorant (BAF).

Scénarios d’assolements élaborés dans le cadre de l’étude CLIMASSOL pour le secteur « coteaux de Seyches » en Lot-et-Garonne.

La culture de l’orge est arrêtée, le tournesol choisi est oléique et non plus classique. Pour les cultures irriguées, le soja est arrêté au profit du maïs (25 ha), avec une irrigation réduite à 50 mm au lieu de 120 mm ; soit un volume total d’irrigation de 12 500 m3. Un second scénario « cultures spéciales » introduit la betterave porte-graine sur 5 ha, seule culture irriguée avec 210 mm/ha ; soit un volume d’irrigation total de 10 500 m3. Le maïs grain est conservé en pluvial (20 ha) en modifiant la précocité (variété précoce au lieu de demi-tardive). Dans ce scénario, le blé BAF est réduit pour intégrer 5 ha d’orge semences et 5 ha de colza semences.

Les trois autres scénarios testés sont des scénarios non irrigués : un scénario « sec blé, maïs et tournesol » où le blé tendre constitue 50 % de l’assolement en rotation avec du maïs demi-précoce et du tournesol, un scénario « sec blé améliorant et cultures d’hiver en rotation courte » où les cultures de printemps sont abandonnées (ce scénario est agronomiquement peu pertinent, notamment vis-à-vis de la gestion du désherbage), un dernier scénario s’intéresse à une valorisation en agriculture biologique avec une rotation blé/maïs/soja.

Quel que soit l’assolement considéré, on note une baisse de la marge nette et une augmentation du coefficient de variation (mesure relative de la dispersion des résultats) pour la période 2040-2060 par rapport à la période 1980-2000. Cette perte de marge nette est de 4 à 15 % pour le scénario climatique « RCP 4.5 » et s’accentue pour le scénario « RCP 8.5 » : 10 à 30 % selon l’assolement considéré (figure 2).

SCENARIOS CLIMATIQUES : une baisse de la marge nette mais aussi une augmentation de la variation des résultats

L’assolement initial obtient une marge moyenne supérieure à l’objectif fixé de 15 000 € pour tous les scénarios climatiques avec cependant des coefficients de variation élevés. L’objectif est atteint environ 7 années sur 10 pour la période 1980-2000 contre 6 années sur 10 pour la période 2040-2060 (RCP 8.5). La perte de marge nette moyenne est de 13 à 26 % (30 à 61 €/ha selon le scénario climatique) pour la période 2040-2060.

"L’introduction de cultures contractualisées améliore le résultat économique de l’exploitation et sa régularité."

L’introduction de cultures contractualisées - telles que le blé de force et le tournesol oléique, et surtout la betterave porte-graines - améliore le résultat économique de l’exploitation et sa régularité. Elle atténue également l’impact du changement climatique avec des pertes de marge nette réduites, allant de 4 % (RCP 4.5) à 15 % (RCP 8.5). Pour le scénario « cultures spéciales », l’objectif de revenu est atteint près de 9 années sur 10 pour la période 2040-2060. Toutefois, ce scénario implique une augmentation du temps de travail.

Les scénarios en sec testés sont peu pertinents : soit le résultat économique est trop bas (et fortement variable), soit la gestion agronomique va poser des difficultés (rotations courtes).

Le scénario en agriculture biologique se place très bien dans ce classement mais subit d’importantes pertes sur la période 2040-2060. Ces pertes sont liées à une forte représentativité des cultures de printemps menées en pluvial, davantage affectées par le changement climatique. La perte de marge nette est de 29 % (190 €/ha) dans le pire scénario (RCP 8.5).

« Terres de Champagne » en Charente

L’exploitation-type de ce secteur comporte 175 ha de SAU dont 53 ha irrigués. La sole est répartie pour un peu plus d’un tiers en cultures d’hiver (blé tendre, blé dur et colza) et le reste en cultures de printemps (maïs grain, maïs popcorn, tournesol, orge et pois de printemps). Les sols sont de type Champagne (limono-argileux sur calcaire tendre) moyens à profond (le réservoir utile varie de 80 à 140 mm). Les céréales à paille, le colza et le pois de printemps sont conduits en pluvial. Les cultures de maïs et de tournesol sont irriguées. Le volume d’irrigation disponible est de 60 000 m3, soit 80 mm par hectare irrigué avec une variabilité des apports selon l’espèce : 5 à 6 tours de 30 mm en maïs popcorn, 1 tour de 30 mm maximum en tournesol et jusqu’à 4 tours d’eau pour le maïs grain. Si on considère la culture du maïs, les apports d’irrigation ne couvrent pas les déficits hydriques médians (180 mm pour la période 1980-2000). La ressource en eau est un forage individuel, soumis à des périodes de restriction et des dates d’arrêt d’irrigation.

L’assolement initial, assez diversifié et comportant des cultures à forte marge (maïs popcorn), est comparé à cinq autres scénarios d’assolement proposés à l’issue des ateliers de co-conception (figure 3). Ces scénarios testent essentiellement des modalités d’adaptation à des restrictions plus ou moins fortes du volume d’eau disponible. Un premier test porte sur une réduction du volume à 25 000 m3. L’irrigation est alors consacrée en priorité au maïs popcorn, le maïs irrigué est converti en maïs pluvial de type « esquive » en sol profond, la sole en pluvial est revisitée. Un deuxième scénario évalue un passage de ce même assolement en pluvial. Une troisième voie d’adaptation consiste à évaluer une simplification extrême de l’assolement dans un contexte de réduction modérée du volume d’eau. Un quatrième scénario part d’une contrainte de réduction de moitié de la ressource en eau et remplace une partie du maïs par du sorgho irrigué. Enfin, le dernier scénario priorise l’irrigation sur le tournesol avec un volume légèrement plus faible (58 000 m3).

TERRES DE CHAMPAGNE : diversification ou simplification et adaptation de la sole irriguée

La perte de marge nette est de 0 à 10 % pour le scénario climatique « RCP 4.5 » et s’accentue avec le scénario « RCP 8.5 » : 10 à 15 % selon l’assolement considéré (figure 4).

RESTRICTION D’IRRIGATION : un bon niveau de performance obtenu en augmentant la part de blé dur et d’orge de printemps, dans un contexte de marchés favorables.

L’assolement initial obtient une marge moyenne supérieure à l’objectif fixé (15 000 k€) pour tous les scénarios climatiques avec cependant des coefficients de variation assez élevés. L’objectif est toujours atteint pour la période 1980-2000 mais également pour les périodes 2040-2060 (RCP 4.5 et RCP 8.5).

"Les assolements les plus simplifiés subissent davantage les effets du changement climatique."

Le scénario à irrigation restreinte obtient un bon niveau de performance, ce qui s’explique par l’augmentation de la part de blé dur et d’orge de printemps, compte tenu des hypothèses économiques assez favorables à ces cultures. Ce même scénario sans irrigation subit une baisse de marge plus particulièrement liée à l‘arrêt d’irrigation du maïs popcorn.

Les assolements les plus simplifiés (dont celui avec introduction de sorgho) ont non seulement des niveaux de marge plus faibles, mais aussi plus variables, et subissent davantage les effets du changement climatique, en particulier dans l’hypothèse du scénario RCP 8.5. Les résultats de marge nette diminuent d’autant que cette adaptation s’accompagne d’un arrêt du blé dur et d’orge de printemps. Dans le cas du scénario priorisant l’irrigation du tournesol, le gain procuré par la régularisation de son rendement ne compense pas la perte de régularité du maïs moins irrigué.

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