Agroéquipements : produire du blé associé à une luzerne

Maximiser la production de blé tendre ou de blé dur en agriculture biologique sans apport d’engrais organique ? C’est ce qui a été testé avec succès par Régis Hélias, ingénieur chez Arvalis, grâce à un nouveau concept agronomique et à la création d’un outil de travail spécifique.
Blé tendre bio : implanter un couvert dans l'inter-rang

Perspectives Agricoles : Quelle a été la genèse de ce projet ?
Régis Hélias : Des synthèses d’essais, en particulier de la chambre d’Agriculture d’Ile-de-France, ont mis en évidence que les engrais organiques du commerce ne sont rentabilisés que dans 50 % des cas en agriculture biologique. De plus, la réglementation sur l’usage des engrais issus d’élevages industriels va imposer des conditions plus restrictives. Ces évolutions ont confirmé l’intérêt de se pencher sur d’autres sources d’azote. Sachant qu’il est possible d’écarter les rangs de blé de 30 ou 35 cm en AB sans pénaliser le rendement, la question d’implanter une luzerne dans l’inter-rang s’est ainsi posée - la pratique des couverts vivants et permanents en agriculture biologique étant trop incertaine. Ce concept agronomique implique toutefois de contrôler le développement de la luzerne afin de limiter la compétition avec le blé.

P. A. : Comment cette solution a-t-elle été testée ?
R. H. : Afin d’assurer une bonne implantation, le couvert de luzerne a été semé et géoréférencé au printemps avec un écartement de 30 cm, dans un tournesol semé à 60 cm. Après la récolte du tournesol, un blé a été semé entre les rangs de luzerne en utilisant le guidage RTK. Le premier test a été réalisé sur 20 m² en 2017 et étendu à 500 m² la seconde année, en utilisant du matériel de jardinage. Si rien n’est fait au printemps, la luzerne a toutes les chances de dominer. Un appel a ainsi été lancé aux constructeurs pour résoudre cette problématique. L’entreprise Eco-Mulch s’est manifestée et a conçu un nouvel outil à partir d’une machine qu’elle était en train de développer. Dès le printemps 2019, cet outil a pu être utilisé sur 1000 m² de blé dur et 4000 m² de blé tendre associés à de la luzerne, grâce à un guidage par GPS RTK. La récolte 2019 a confirmé les résultats observés les deux premières années de test : 31 q/ha ont été obtenus en blé dur avec 13,3 % de protéines et 40 q/ha en blé tendre à 11,2 % de protéines, ce qui est un bon résultat en bio pour cette situation pédoclimatique. L’expérimentation va se poursuivre en 2020 sur 2 ha en testant différents couverts de légumineuses chez un agriculteur.

P. A. : Comment cette technique peut-elle s’insérer dans la rotation ?
R. H. : L’utilisation de ce concept sur l’ensemble des parcelles d’une exploitation n’est pas envisageable à ce jour. Au bout de trois ou quatre ans, il est nécessaire de remettre la parcelle de luzerne en rotation pour éviter un risque sanitaire trop important. Toutefois, en sols argilo-calcaires profonds, on peut concevoir de laisser la luzerne plus longtemps. Lors de son implantation la luzerne peut être associée à un tournesol, mais aussi pourquoi pas, à un soja ou un sorgho. La culture suivante peut être un blé puis la troisième un colza. Si on détruit la luzerne après la récolte de la deuxième ou de la troisième culture, on peut encore s’attendre à un arrière-effet azoté l’année d’après. Il apparaît possible, grâce à cette technique, d’implanter en bio des cultures plus exigeantes en azote, tout en réduisant le travail du sol et l’érosion. Le paillage de luzerne limite l’évaporation de l’eau et constitue un apport de biomasse. La maîtrise des adventices est aussi facilitée grâce à la concurrence exercée par la luzerne durant l’interculture et au passage du broyeur d’inter-rang, en une ou plusieurs fois selon les besoins.

P. A. : Que retenir de cette expérience ?
R. H. : Les premiers tests, très artisanaux, ont été précieux pour consolider les hypothèses de départ et convaincre un constructeur du bien-fondé de la démarche. Ce type de pratique implique une réflexion sur l’ensemble de l’exploitation et sur son système de culture. D’autres usages, venant optimiser l’investissement de départ, peuvent être imaginés, comme une culture d’été dans un couvert vivant en élargissant l’entre-rang. Pour cela, il faut un outil flexible, ce qui est les cas du prototype qui a été fabriqué, également conçu pour écimer des adventices. La réussite tient aussi au fait que de nombreux échanges ont eu lieu avec le constructeur, au cours desquels chacun a eu à cœur de partager ses compétences. La démarche mise en œuvre s’accorde bien avec la nécessité d’introduire plus d’agronomie pour faire face aux enjeux environnementaux, sans mettre de côté les aspects économiques.

S’ASSURER DE LA PRECISION DU RTK

Régis Hélias indique aussi que la technique d’implantation de plusieurs cultures en ligne à différents moments nécessite un guidage RTK performant et bien paramétré. Il faut s’assurer de la qualité de la prestation du spécialiste qui effectuera les réglages pour obtenir une précision de 3 cm. Le paramétrage d’usine ne suffira probablement pas. Cette conduite de culture avec un couvert de légumineuse demande de la rigueur et de la technicité.

PARTAGES D’EXPERIENCES
Perspectives Agricoles a demandé à Etienne Bazin, gérant de la société Eco-Mulch, pourquoi il s’est rapproché d’Arvalis pour le développement d’un nouvel outil.

Etienne Bazin : « L’appel lancé par Régis Hélias est intervenu au moment où nous développions un nouvel outil adapté aux cultures en ligne, dont l’objectif est de gagner en précision en facilitant les interventions. Pour cela, nous sommes partis d’un châssis commun sur lequel la partie travaillante est interchangeable. Dans un contexte très contraignant d’accès aux intrants, du fait de leur disponibilité ou de la réglementation, il faut inventer de nouvelles solutions. Un des enjeux est de produire en limitant les apports extérieurs. Ce peut être le cas avec les couverts qui peuvent aller chercher plus en profondeur des éléments nutritifs, remis à la disposition des cultures en surface lorsqu’ils broyés. Nous nous sommes ainsi retrouvés dans la proposition de Régis Hélias qui recherchait une solution technique pour broyer des couverts dans l’interrang. Arvalis a apporté ses compétences expérimentales et son expertise en gestion des systèmes de culture ».

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