Compétitivité de l'agriculture Française : un constat à nuancer
Dans leur rapport sur les performances du commerce extérieur agroalimentaire français depuis 1970, les auteurs de Chambres d’agriculture France notent que le pays est passé du second au cinquième rang des exportateurs mondiaux de produits agricoles et alimentaires. Une rupture s’est produite au début de la décennie 2000. Le poids de la France dans les exportations mondiales de biens agricoles et alimentaires a été divisé par deux entre 1998 et 2017. C’est principalement vers les débouchés de l’Union européenne (UE) que les produits français, agricoles et transformés, rencontrent le plus de difficulté ; le marché intra-communautaire étant proche de la saturation, d’autant plus que de nouveaux concurrents sont apparus au gré des élargissements de l’UE. En revanche, les Pays-tiers, dont les taux de croissance se sont maintenus, ont de plus en plus absorbé les produits vendus par la France. En céréales, des marchés comme ceux de l’Algérie, de l’Iran, voire parfois de l’Egypte, ont maintenu les performances de ces productions.
Pour expliquer la perte de compétitivité de l’agriculture française face à ses concurrents européens, le coût du travail et la pression fiscale sont régulièrement avancés. Toutefois, ces facteurs ne peuvent expliquer seuls l’érosion de la compétitivité (les dépenses de personnel dans les industries agroalimentaires ne pèsent qu’un sixième de leurs charges d’exploitation totales). Selon les auteurs du rapport, un facteur plus décisif de ce déclin se trouve dans la stagnation de la productivité des entreprises agroalimentaires. La capacité d’investissement du secteur a été très fortement réduite par rapport aux concurrents européens qui ont procédé à une importante modernisation de leurs outils industriels. Cette évolution des industries agroalimentaires françaises contraste avec les gains de productivité des exploitations agricoles. Toutefois, la France conserve des atouts et un avantage comparatif élevé en agroalimentaire avec la mécanique et la chimie.
Des performances moyennes...
Sur le plan de l’analyse sectorielle, le rapport de Chambres d’agriculture France avance plusieurs constats. En productions céréalières, laitières et de granivores, les exploitations françaises affichent des dimensions (surfaces et cheptels) inférieures à celles de leurs concurrentes directes.
L’élevage allaitant de bovins-viande se pratique en France dans des exploitations de grandes tailles et plutôt extensives. Dans certains domaines, comme les filières céréalières et laitières, les rendements moyens (blé, maïs, lait) des exploitations françaises affichent un déficit de performance. En ce qui concerne la productivité du travail, les résultats sont variables selon les filières : celles pour lesquelles les exploitations françaises ont un atout de compétitivité (arboriculture, viticulture) et celles dont les résultats sont moins avantageux (Céréales Oléagineux Protéagineux, bovin-laitier et bovin-viande). Les exploitations françaises font un effort d’investissement supérieur à la moyenne européenne mais leur financement passe par l’emprunt dont les annuités pèsent sur leurs ressources. Le taux d’endettement des exploitations céréalières s’élève ainsi à 45 %. Pour les exploitations françaises, en moyenne, la somme des charges est supérieure à la somme des produits, ce qui veut dire que leur revenu provient des subventions.
Ces indicateurs technico-économiques tendent à montrer que les exploitations françaises ont encore des marges de manœuvre pour améliorer leur compétitivité.
... mais des atouts à faire valoir
D’autre part, la compétitivité « hors-prix » (haut de gamme, traçabilité) est un domaine où l’agriculture française peut compter sur son savoir-faire ; pour les auteurs du rapport « cette stratégie génère un surcoût qui n’est pas un handicap ».
Ils relèvent également un autre atout central : le faible coût du foncier en France. Les agriculteurs français bénéficient d‘un net avantage par rapport à leurs concurrents européens. Dans le bilan moyen d’une exploitation agricole française, tel qu’il apparaît dans le RICA(1), un hectare en propriété est évalué au prix de 4 508 € contre 17 879 € en Allemagne ou 11 721 € au Royaume-Uni. Dans la réalité, les échanges de terres se font à d’autres prix sur le marché français mais les agriculteurs français ont une marge de manœuvre pour le développement de leur structure que ne possèdent pas leurs concurrents.
Depuis près de deux décennies, le secteur céréalier dégage le second solde excédentaire de la balance commerciale agroalimentaire française ; pourtant les indicateurs de performance des exploitations céréalières françaises ne sont pas des meilleurs. Les auteurs du rapport avancent des pistes de travail : les marges de manœuvre apparaissant assez minces sur le plan de la structure moyenne des charges, il faut regarder du côté des investissements afin de réduire le poids relatif élevé des amortissements. Il y aurait également un surcoût de charge dans les domaines des engrais et des produits phytosanitaires par rapport aux exploitations allemandes et anglaises.
Dans leur conclusion, les auteurs soulignent que malgré ces freins, l’agriculture française ne manque pas d’exploitations performantes et que le commerce extérieur de l’agriculture reste excédentaire, signe que les filières agroalimentaires françaises savent valoriser leurs atouts sur les marchés.
(1) Réseau d’information comptable agricole qui collecte les données comptables de près de 80 000 exploitations agricoles dans l’Union européenne.
Benoît Moureaux - b.moureaux@perspectives-agricoles.com
D’après « La compétitivité du secteur agricole et alimentaire, ruptures et continuité d’un secteur clé de l’économie française (1970-2020) », janvier 2021, Thierry Pouch, Quentin Mathieu, Didier Caraes ; Chambres d’agriculture France.
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