Politique Agricole Commune : le Green Deal à l’épreuve de la guerre en Ukraine

Dans le cadre du « Pacte vert », l'Union européenne s’est donnée des objectifs susceptibles d’entraîner une diminution de la production agricole. Face au conflit entre la Russie et l’Ukraine qui remet en lumière la question de la sécurité alimentaire, la Commission européenne défend ces orientations tout en indiquant vouloir éviter des pénuries en Europe et dans le monde.
Le Pacte vert réaffirmé

En décembre 2019, la Commission européenne a présenté le Green Deal (ou « Pacte vert »), une feuille de route visant à rendre l’Union européenne (UE) climatiquement neutre d’ici 2050. Pour ce faire, elle a publié quelques mois plus tard les stratégies « Biodiversité » et « Farm to fork » qui fixent des objectifs au secteur agricole, dont ceux de la réduction de l’usage des produits phytosanitaires et des engrais ou de l’augmentation des surfaces en agriculture biologique et des surfaces non productives. Ces orientations sont susceptibles de diminuer le niveau de production - ce qui a suscité des oppositions, celles-ci s’appuyant sur des études d’impacts dont les conclusions anticipent une réduction de la production de l’ordre de 10 à 20 % par culture. Sur la base de la moyenne 2016-2020 (données USDA), le Green Deal entraînerait alors pour l’UE une baisse de production comprise entre 13 et 26 Mt en blé tendre, 5 et 10 Mt en orges ou encore 1 et 2 Mt en tournesol.

Dans ce contexte, la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine le 24 février 2022, relançant alors les débats sur les conséquences du Green Deal et la sécurité alimentaire. Le conflit oppose en effet deux acteurs majeurs sur les marchés agricoles : en moyenne entre 2016 et 2020, la Russie et l’Ukraine ont produit, à l’échelle mondiale, 15 % du blé tendre, 20 % des orges et 55 % du tournesol. Ces deux pays représentent 30 % des échanges mondiaux de blé tendre et d’orges et 20 % des échanges de maïs et de tournesol (données USDA).

En raison du conflit, l’offre disponible sur les marchés agricoles a nettement diminué. L’Ukraine dispose de stocks exportables qui ne peuvent être acheminés à cause du blocage de ses ports situés sur la mer Noire et la mer d’Azov et des dégâts occasionnés sur les infrastructures logistiques et portuaires du pays. De plus, la Russie a ralenti ses exports, notamment du fait des sanctions économiques dont elle fait l’objet. Alors que le marché céréalier mondial est déjà tendu, Stratégie Grains estime que 12 Mt de maïs et 11 Mt de blé ne pourront pas être exportées lors de la campagne de commercialisation 2021-2022, soit respectivement 7 % et 6 % des exports mondiaux (moyenne 2017-2021, USDA). Le conflit aura par ailleurs un impact indéniable sur la récolte 2022 qui s’annonce déjà réduite en Ukraine.

Le Green Deal se trouve ainsi à nouveau remis en question au nom de la sécurité alimentaire. La perspective d’une baisse de la production européenne questionne le calendrier de mise en œuvre de cette feuille de route alors que l’invasion russe menace l‘approvisionnement de certains pays en denrées agricoles. D’autre part, le conflit illustre la faible résilience des bilans agricoles mondiaux potentiellement fragilisés par les stratégies du Green Deal. Celles-ci pourraient ainsi être remises en cause alors que d’autres aléas géopolitiques et/ou climatiques sont susceptibles de survenir.

Les eurodéputés ont confirmé les objectifs et le calendrier de la stratégie « Farm to Fork ».

Concilier la sécurité alimentaire et les objectifs environnementaux

Face aux bouleversements multiples engendrés par la guerre russo-ukrainienne, de nombreux acteurs du secteur agricole ont appelé la Commission européenne à modifier, voire abandonner, les stratégies « Farm to fork » et « Biodiversité », arguant que les objectifs du Green Deal nuisent à la capacité productive de l’UE et fragilisent la sécurité alimentaire européenne et mondiale. La Commission européenne souhaite toutefois concilier sécurité alimentaire et Green Deal. Pour cela, elle a mis en place un plan de résilience visant à libérer le potentiel de production de l’UE. La Commission réaffirme également les objectifs environnementaux de l’UE qui lui permettraient de diminuer sa dépendance aux importations d’intrants (engrais et énergie notamment).

"La perspective d’une baisse de la production européenne questionne le calendrier de mise en œuvre du Green Deal."

De même, le 24 mars, les eurodéputés ont rejeté un amendement qui projetait de réviser les objectifs et le calendrier de la stratégie « Farm to Fork ». Ils ont souligné, à l’instar de la Commission, que le Green Deal permettrait à l’UE de gagner en résilience et en autosuffisance en encourageant les producteurs à adopter des méthodes et des outils de production plus durables. Seul l’objectif de 10 % de la surface agricole utile (SAU) en zones non productives est reconnu inatteignable actuellement compte tenu de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Le Parlement européen a également précisé que ces objectifs devaient être atteints sans provoquer de pénurie alimentaire et en évitant les baisses de production. La résolution qui a été votée indique que les stratégies doivent faire l’objet d’analyses d’impacts sur la sécurité alimentaire européenne et mondiale. L’UE se dit donc à l’écoute des craintes concernant la baisse de production qu’engendrerait l’atteinte des objectifs du Green Deal, mais défend toujours ces derniers en soulignant leur intérêt pour augmenter la résilience et l’autosuffisance du secteur agricole face aux aléas climatiques et géopolitiques.

Les mesures d’urgence de l’Union européenne et de la France

Du fait du conflit en mer Noire, la Commission européenne a tout de même dû adapter son calendrier et revoir ses priorités à court-terme. Le 23 mars, elle a ainsi présenté le plan d’urgence européen par lequel l’UE compte apporter son aide aux agriculteurs ukrainiens et européens. Ce plan prévoit notamment 330 millions d'euros (M€) pour assurer l’approvisionnement de l’Ukraine en intrants agricoles. De son côté, l’agriculture européenne bénéficiera de 500 M€ répartis entre les États-membres (dont 89 M€ pour la France) auxquels s’ajoutent une aide au stockage privé pour la viande porcine, l’autorisation de mise en culture des jachères (4 à 4,5 millions d’ha à l’échelle de l’UE) et une tolérance accrue sur les limites maximales de résidus (LMR) pour faciliter l’importation d’aliments fourragers. D’autres mesures financières complètent le dispositif, comme les avances sur les versements des aides PAC et un nouveau cadre facilitant les aides d’État.

La France a emboîté le pas en dévoilant à son tour un plan de résilience, mêlant mesures d’urgence pour conforter la trésorerie des exploitations agricoles et mesures visant à sécuriser la production de 2022. La mise en culture (hors chanvre), la fauche ou le pâturage des jachères (hors jachères mellifères) ont ainsi été acceptés pour la récolte 2022 ; ce qui représente environ 300 000 ha supplémentaires de surfaces productives. L’utilisation d’engrais (et de produits phytosanitaires dans certains cas) est autorisée sur ces parcelles. Malgré tout, les jachères seront toujours comptabilisées comme telles dans les conditions d’accès au « paiement vert » en 2022, à la fois pour atteindre les 5 % de surfaces d’intérêt écologique (SIE) et dans le calcul de la diversification de l’assolement.

En pleine évaluation des plans stratégiques nationaux (PSN) dans le cadre de la prochaine PAC (2023-2027), la Commission européenne fait allusion au contexte en mer Noire dans ses lettres d’observations sur les PSN transmises aux États-membres le 31 mars. Elle mentionne notamment la nécessité pour ces derniers de « revoir leur plans stratégiques pour la PAC afin d’exploiter toutes les opportunités » pour « renforcer la résilience du secteur agricole », « réduire sa dépendance » aux intrants importés (engrais, énergie) et « transformer sa capacité de production » vers des « méthodes de production plus durables ».

Oscar Godin - o.godin@arvalis.fr
Geoffroy Oudoire - g.oudoire@arvalis.fr

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