Projet Prosyn : explorer davantage la variabilité génétique
Il existe une relation génétique négative entre le rendement et la teneur en protéines des grains du blé (encadré). Cela pose problème aux sélectionneurs qui souhaitent améliorer conjointement ces deux caractères. Néanmoins certaines variétés, dites GPD+ (positive grain protein deviation), s’écartent de manière positive de cette relation ; elles présentent une teneur en protéines plus élevée que des variétés aux rendements similaires. Ce critère GPD+ est désormais pris en compte par le Comité technique permanent de la sélection (CTPS), et apporte un bonus lors de l’évaluation des variétés candidates à l’inscription au catalogue officiel.
Le caractère GPD+ est pour partie sous l’influence de facteurs génétiques et serait en lien avec une capacité accrue à absorber l’azote après la floraison et à le transférer dans les grains. L’identification de lignées GPD+ et des régions du génome responsables de ce caractère présentent donc un grand intérêt pour la filière blé française.
Cependant, du fait des processus de domestication et de sélection chez le blé tendre (encadré), la diversité génétique disponible pour l’amélioration variétale s’est relativement réduite au cours du temps. Or certaines espèces apparentées à l’origine des blés cultivés sont susceptibles de contenir des gènes permettant d’améliorer les performances agronomiques des variétés cultivées (résistances aux stress, aux maladies, productivité, qualité…). Ces espèces sont donc utilisées afin de transférer ces caractères d’intérêt chez les variétés cultivées modernes.
Quelles sont les causes de la GPD ?
Les causes physiologiques de la relation génétique négative entre rendement et protéines sont connues : celle-ci est due à la dilution de l’azote des grains par les hydrates de carbone (amidon principalement). D’un point de vue physiologique, l’azote est majoritairement absorbé avant la floraison, puis remobilisé vers les grains depuis les parties végétatives. Le carbone accumulé dans les grains est, lui, majoritairement produit après la floraison. Son accumulation dans les grains dilue l’azote remobilisé, contribuant ainsi à réduire la teneur en azote, et donc en protéines, des grains chez les variétés à fort rendement.
Des blés « synthétiques » pour augmenter la diversité du pool génétique du blé
Pour ce faire, des blés dits « synthétiques» sont obtenus par croisements successifs des espèces apparentées, afin d’imiter les croisements ayant eu lieu de manière spontanée et qui ont conduit à la naissance du blé moderne. Ces espèces ont été recherchées dans les collections botaniques afin d’accroître la diversité génétique des espèces cultivées. Les croisements interspécifiques sont néanmoins difficiles à réaliser et conduisent souvent à des combinaisons chromosomiques instables ou non viables.
Une première collection de blés synthétiques a été développée par le NIAB (National Institute of Agricultural Botany) à Cambridge (Royaume-Uni) lors d’un précédent projet. Elle a fait la preuve que les blés synthétiques peuvent accroître la teneur en protéines sans perte de rendement.
Dans le cadre du projet Prosyn(1), une seconde collection de 370 lignées a été produite par le croisement de la variété Robigus (une ancienne variété star au Royaume-Uni, dont la teneur en protéines moyenne est de 11 %) avec des blés tétraploïdes (Triticum durum, Triticum dicoccum et Triticum diccocoïdes). Parmi ces 370 lignées, quarante-cinq ont été choisies afin de ne garder que celles présentant un risque de verse limité et une bonne tolérance aux maladies (rouilles et septoriose). Ces lignées ont ensuite été testées plus largement dans un réseau d’essais menés en France, en Angleterre et en Allemagne en 2018-2019.
Six lignées GPD+ prometteuses identifiées
Ces lignées synthétiques ont été expérimentées dans des environnements contrastés : 36 combinaisons de lieu × année × niveau de fertilisation, dont 22 sous conditions de fertilisation azotée optimale et 14 sous conditions de fertilisation réduite. Leur rendement en grains variait de 20 à 140 quintaux par hectare, et leur teneur en protéines, de 6 à 15 % dans ce réseau d’essais.
Un très fort effet de l’environnement expliquait environ 80 % des variations observées pour ces deux caractères. Le facteur génétique s’est également révélé significatif et responsable d’environ 10 % des variations observées pour ces deux caractères. Comme attendue, la relation négative « rendement-teneur en protéines des grains » était significative.
Six lignées GPD+ d’intérêt ont obtenu des teneurs en protéines supérieures à 11 % dans 75 % des essais, soit 0,5 à 1 point de plus que leur parent Robigus, avec un rendement comparable, voire supérieur (figure 1). Enfin, l’analyse des données a montré qu’elles présentaient des précocités et des hauteurs contrastées, mais aussi une bonne stabilité du rendement et de la teneur en protéines.
Le projet Prosyn a donc démontré que la caractérisation de collections de blés synthétiques permet d’identifier des lignées d’intérêt pour améliorer conjointement le rendement et la teneur en protéines des variétés. De nombreuses questions restent toutefois en suspens concernant les caractéristiques génétiques et physiologiques qui déterminent la performance de ces lignées synthétiques : quelle(s) zone(s) du génome provenant des blés synthétiques sont responsables de ce surcroît de protéines ? Est-ce l’absorption d’azote ou sa remobilisation qui est favorisée et leur permet d’accumuler plus de protéines dans le grain ?
Ces questions de recherche pourront être explorées ultérieurement afin d’affiner notre compréhension des mécanismes en jeu, mais les partenaires du projet disposent dès à présent de lignées amélioratrices de la teneur en protéines. Il reste néanmoins un long travail de validation des résultats puis de sélection variétale avant de voir ces innovations entre les mains des agriculteurs à travers une variété commerciale.
La domestication a appauvri la variabilité génétique du blé tendre
Le blé tendre est issu de deux hybridations spontanées successives entre des céréales de la région du « croissant fertile » au Moyen-Orient (figure 2). La première, survenue il y a environ 500 000 ans, a croisé Triticum urartu (génome A) et une espèce proche d’Aegilops speltoides (génome B). Elle a donné naissance à l’amidonnier sauvage, Triticum diccocoides, qui, par domestication et sélection, a donné l’amidonnier domestique, Triticum turgidum, l’ancêtre du blé dur (Triticum durum) ; les deux espèces combinent les génomes A et B. Un second croisement, il y a environ 10 000 ans, entre Triticum turgidum et Aegilops tauschii (porteur du génome D) a conduit au blé tendre cultivé, Triticum aestivum, porteur des trois génomes A, B et D. Cette espèce a ensuite évolué sous l’influence de la domestication et de la sélection pour donner les variétés de blé tendre cultivées aujourd’hui.
(1) Financé par le Fond de Soutien à l’Obtention Végétale (FSOV), le projet Prosyn (« Apport des blés synthétiques à l’amélioration conjointe de la productivité, de la teneur en protéines et de l’efficience d’utilisation de l’azote») a démarré fin 2016 et s’est achevé début 2020. Il rassemblait Arvalis et l’institut britannique NIAB (National Institute of Agricultural Botany) ainsi que différents partenaires sélectionneurs (Limagrain, KWS Momont, Syngenta).
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