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Projet Amaizing : concevoir et évaluer les maïs du futur
Les générations de variétés de maïs qui se sont succédées, mais aussi le progrès des systèmes de culture, ont augmenté les rendements en grain d’environ 1,45 q/ha par an (moyenne nationale de 1951 au début des années 2000). Ce gain a ralenti au cours de la période récente pour atteindre 0,35 q/ha par an sur les dernières années(1) - mais il reste significatif, contrairement à celui d’autres céréales. Quelle a été la contribution de la sélection variétale à ce progrès ? Peut-on en déduire des pistes pour la sélection de nouvelles variétés adaptées aux futurs enjeux de l’agriculture ?
Dans le cadre du programme « Investissements d'avenir », le projet Amazing(2) a abordé ces questions en analysant le comportement de soixante variétés à succès cultivées de 1950 à 2016, dans vingt-quatre essais au champ et quatre essais en plateforme de phénotypage sous conditions contrôlées. Le progrès génétique a ainsi été estimé à 1 q/ha par an, et ce, dans toutes les conditions de climat explorées en Europe. Cette estimation est cohérente avec les calculs de progrès génétique réalisés sur la base des essais d’inscription et de post-inscription réalisés en France(1).
Contrairement à une idée reçue, les rendements ont progressé à la même vitesse en conditions optimales qu’en condition de sécheresse ou en années chaudes. Le progrès a porté sur des caractères « généralistes » de la plante qui, comme le rendement, ont été améliorés sous tous les climats testés, favorables ou non.
Le projet Amaizing a cherché à comprendre le progrès génétique passé pour façonner celui du futur.
En particulier, pour une durée de cycle donnée caractéristique d'une zone de culture, les variétés modernes fleurissent plus tard que les variétés anciennes. Leur système foliaire intercepte davantage de lumière au moment de la floraison, et le nombre de grains mis en place et qui se développent ensuite jusqu’à maturité est augmenté. Cette floraison plus tardive est compensée par un dessèchement du grain plus rapide, si bien que la période entre levée et récolte est restée constante.
En revanche, les caractères liés à l'adaptation du maïs en situation de stress ont été, jusqu'à présent, peu modifiés par la sélection, alors que, d’une variété à l’autre, ils présentent une variabilité qui pourrait être davantage exploitée afin d’augmenter la tolérance du maïs à une diversité de contraintes. Par exemple, la sensibilité des feuilles et des jeunes grains à la sécheresse ou aux hautes températures est restée similaire pour les variétés commercialisées entre 1950 et 2016. Il reste donc une marge de progrès génétique pour sélectionner des variétés plus adaptées aux climats froids dans le nord de l'Europe, ou chauds et secs au sud, confortant les orientations du projet de travailler sur la génétique de l’adaptation aux contraintes abiotiques (froid, chaleur, sécheresse, apport azoté limitant).
Une diversité génétique et génomique exceptionnelle
La séquence d'ADN contient tous les gènes d'une plante, dont ceux qui déterminent sa croissance et sa réaction aux conditions de culture. L’effet des gènes est différent selon l’organe, l’âge ou les conditions agroclimatiques. On connaît le lien entre certains gènes et certains caractères, mais la très grande majorité de ces liens reste à découvrir.
Afin d’élargir nos connaissances au-delà de la première séquence complète et ordonnée d’un génome de maïs, publiée par des équipes américaines en 2009, le projet Amaizing a effectué une série de séquençages à différentes échelles (voir En savoir plus). Tout d'abord, un séquençage partiel du génome de plus de mille lignées de maïs a confirmé l’originalité des lignées d’origine françaises et européennes par rapport à celles des collections américaines. Ces variétés traditionnelles sont des réservoirs de diversité pour des facteurs d’adaptation, et ainsi sources de progrès génétique à long terme.
Le séquençage génomique complet de soixante-sept lignées a également permis de retracer l’historique de l’origine des lignées européennes (figure 1) et des croisements entre variétés américaines ayant donné naissance aux variétés traditionnelles européennes cultivées entre 1500 et 1960 (figure 2).
Ensuite, le séquençage beaucoup plus poussé du génome d’un nombre réduit de lignées principalement européennes a permis d’obtenir de nouvelles séquences complètes et ordonnées. Ces derniers génomes illustrent une grande diversité : chaque lignée contient plusieurs centaines de gènes qui ne sont pas présents chez les autres. Ces gènes sont, plus souvent que les autres, impliqués dans des fonctions de réponse de la plante aux contraintes agroclimatiques - variations climatiques, pression des maladies… Ils sont donc intéressants pour l’adaptation du maïs aux conditions locales.
Enfin, la compilation des informations de l’activité des gènes dans les différents organes dans un « atlas » a été réalisée pour ces lignées. Cet atlas constitue un outil précieux qui facilitera l'établissement de liens entre la présence des gènes, leur fonction, leur niveau d’activité et le comportement de la plante au champ.
Génétique de l’adaptation au stress
Les partenaires du projet Amaizing ont constitué des collections originales (ou panels) d'hybrides de maïs, incluant du matériel élite des semenciers participant au projet et des hybrides présentant une diversité plus large, issues des collections publiques.
Ces panels ont été évalués pour le rendement et ses composantes dans des conditions agroclimatiques contrastées au champ, décrites de façon fine et regroupées en scénarios climatiques. Ces rendements ont été associés à des différences de séquences sur le génome des variétés.
Les mêmes panels ont aussi été évalués dans des plateformes de phénotypage en conditions contrôlées, pour associer la diversité du génome à celle de caractères qui ne sont pas mesurables au champ, comme la vitesse de croissance, le développement des organes reproducteurs, l'architecture ou les caractères d'adaptation à la sécheresse ou au froid, ou encore la production de protéines ou de molécules spécifiques.
Une forte variabilité entre hybrides a été observée pour tous les caractères étudiés, y compris sur les composantes du rendement des hybrides les plus récents. Ces résultats ont pu être reliés à des différences au niveau du génome du maïs. Une trentaine de régions génomiques (identifiées par des « marqueurs génomiques ») ont été ainsi repérées concernant le rendement, mais avec des effets variables sur celui-ci ; ainsi, une région génomique particulière pouvait avoir un effet positif, négatif ou nul suivant les conditions agroclimatiques de l’expérimentation.
En regroupant les essais en groupes de conditions agroclimatiques équivalentes, des comportements cohérents sont apparus (figure 3). Par exemple, avoir une version de gène (allèle) plutôt qu’une autre augmente le rendement de 3-4 quintaux en conditions chaudes et sèches, mais n’a pas d'effet en conditions plus favorables. D'autres régions du génome augmentent le rendement en conditions froides, d'autres, encore, en conditions favorables de température et d'eau.
Des avancées comparables ont été réalisées pour la précocité à floraison - une caractéristique capitale dans l’adaptation du maïs aux stress. Ces travaux sont actuellement approfondis pour contribuer à la sélection de variétés adaptées à des zones climatiques et des conditions de culture contrastées.
Génomique et modélisation écophysiologique : vers de nouvelles approches en sélection
Au-delà de l’identification de régions précises du génome liées à des caractères d’intérêt, le projet Amaizing a aussi mis en place des approches plus globales de prédiction du comportement des variétés de maïs en fonction de leur profil génétique. Ces approches s’appuient sur le concept de « sélection ou prédiction génomique ». Déjà mis en œuvre en sélection animale et se répandant en sélection végétale, cela consiste à prédire la performance d’une variété qui n’aurait jamais été expérimentée au champ à partir de son degré de ressemblance génétique avec des variétés déjà testées dans des essais.
Les modèles élaborés dans le projet Amaizing sur la base des quatre cents hybrides expérimentés au champ ont une bonne capacité prédictive des variétés inscrites au catalogue français de 1993 à 2013. Ces résultats encourageants, confirmés par des tests internes au sein de semenciers partenaires, ont permis de développer une méthode originale d’appui aux programmes de sélection qui détecte a priori des ressources génétiques intéressantes à utiliser.
Des progrès importants sont prochainement attendus concernant la capacité des variétés de maïs à mieux s’adapter aux aléas climatiques.
De plus, en combinant la prédiction génomique avec des modèles écophysiologiques (qui prévoient le comportement des plantes dans des scénarios agroclimatiques précis), il a été possible de simuler le rendement de centaines de variétés dans une grande diversité de situations à partir d’un nombre limité d’expérimentations bien choisies, au champ et en plateforme d’essais en conditions contrôlées(1). Le potentiel de cette approche est stratégique, à la fois pour accélérer les processus d’obtention de variétés adaptées aux stress, mais aussi pour évaluer de manière plus exhaustive la performance des variétés inscrites et, ainsi, mieux conseiller les agriculteurs en fonction des contraintes agroclimatiques locales.
Les données acquises et les méthodes développées par le projet laissent envisager des progrès importants, notamment de la résilience des variétés par une adaptation renforcée aux aléas climatiques. Les programmes de sélection dans ce domaine sont d’ores et déjà initiés, et les méthodes d’évaluation des variétés intègrent de plus en plus les outils développés. Toutefois il apparaît important aujourd’hui de poursuivre l’exploitation des résultats acquis sur la diversité génétique et la valorisation croisée de données de diverses origines (essais au champ, analyse génétique, production de molécules diverses…), et de mettre en place des programmes de recherches complémentaires pour renforcer l’adaptation du maïs à l’évolution des contraintes dans le domaine de la protection des cultures.
(1) Plusieurs articles du dossier « Spécial maïs » du n°462 de Perspectives Agricoles (janvier 2019) présentent des informations complémentaires sur le projet Amaizing.
(2) Retrouvez tous les chiffres du projet Amaizing sur http://arvalis.info/1w6
Contributions d'Antoine Gaillard, Sébastien Praud, Maud Tenaillon et Agathe Renard, en collaboration avec le consortium Amaizing
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