Modulation des intrants : la caractérisation intraparcellaire évaluée en Digiferme
Les techniques de caractérisation de la variabilité intraparcellaire du sol sont nombreuses mais elles ne poursuivent pas toutes le même objectif : certaines caractérisations sont effectuées en vue de moduler des éléments chimiques (un engrais P et/ou K, par exemple) et d’autres, un élément physique comme la densité de semis. Chaque méthode de caractérisation de la variabilité intraparcellaire étant spécifique d’une utilisation, il ne faut pas espérer tout faire avec une seule.
Comment échantillonner avec précision et à quel coût ?
Historiquement, le grid sampling, ou échantillonnage par maillage systématique, a été la première technique utilisée. Il consiste à utiliser une grille de maille donnée et à prélever un échantillon à chacun de ses nœuds - mais combien de points de mesure faut-il effectuer par hectare ?
Un réseau de dix parcelles mis en place dans les années 2000 sur l’ensemble de la France a mis en évidence qu’il suffisait de prélever cinq points par hectare pour bien évaluer la variabilité des éléments physiques (profondeur, matière organique...), mais également chimiques (P, K, pH…). Avec un prélèvement de 1 point/ha, la prédiction est insuffisante.
Cette méthode de prélèvement selon une telle grille est fiable mais les analyses sont très onéreuses : 100 à 120 € par échantillon, soit environ 600 € par hectare. De ce fait, des méthodes indirectes se sont développées ; elles mesurent la résistivité ou la conductivité du sol soumis à un courant électrique. Les cartes obtenues (figures 1-2 et 1-3) définissent des zones du sol de comportement homogène à l’électricité.
Plusieurs types de données pour caractériser les zones
Sur les dix parcelles testées, les zones déterminées par cette méthode indirecte montrent un lien avec la répartition géographique de la profondeur du sol et de sa teneur en argile. Toutefois il n’y a aucun lien entre les zones obtenues et la répartition des éléments chimiques. La conductivité et la résistivité révèlent de manière plus générale des caractéristiques pérennes du sol (sa texture, le taux de cailloux et sa profondeur) ainsi que des caractéristiques liées à l’état du sol lors de la mesure (humidité, température, compacité et concentration ionique). Ces techniques de caractérisation sont inutiles pour moduler les engrais P/K.
Parmi les autres sources de données disponibles sur les exploitations pour caractériser la variabilité de la parcelle figurent les cartes de rendement (relevées en cours de moisson par des capteurs montés sur la moissonneuse) et les images satellite du sol nu. Ces données ont été suivies sur une exploitation agricole de Beauce présentant des parcelles aux sols hétérogènes. Lorsque ces informations sont utilisées, le zonage obtenu ne correspond pas à la carte des sols disponible sur l’exploitation. En effet, de nombreux autres facteurs conditionnent le rendement sur la parcelle, tels que la pression des maladies, des ravageurs et des adventices. La carte de rendement est, en effet, un instantané de l’année passée ; elle montre si une variété a mieux répondu qu’une autre sur cette parcelle, mais elle ne permet pas d’établir une carte de préconisation d’amendement.
Quand une caractérisation fine des parcelles est-elle rentable ?
Ces connaissances historiques montrent que le grid sampling est la seule méthode convenant pour moduler les amendements P et K, tandis que les méthodes électriques conviennent à la modulation des densités de semis. Peuvent-elles également aider à caractériser la réserve utile du sol ?
Pour y répondre, la Digiferme de Saint-Hilaire a caractérisé une parcelle de 20 ha ayant connu de nombreux types de précédent, dont une prairie permanente. Afin de moduler finement les apports d’engrais phosphatés (P2O5) et de potasse (K2O), un grid sampling à raison de 5 points/ha a été effectué - soit, au total, 96 points échantillonnés. Pour limiter les coûts, les analyses de teneurs en P et K ont été réalisées au champ par des mesures infrarouge.
En chacun de ces points, la dose de phosphates et de potasse à apporter sur une culture de maïs grain avec un précédent blé tendre a été calculée selon la méthode du COMIFER. La dose de K2O à apporter était nulle, celle de P2O5 s’est avérée homogène sur toute la parcelle et égale à 52unités/ha. L’agriculteur comptait effectivement ne pas apporter de potasse, mais prévoyait d’apporter 65 unités de phosphate ; le gain apporté par la caractérisation est donc de 13 unités en P2O5, soit environ 13 euros/ha. De fait, ces économies d’engrais n’auraient pas couvert le coût de la caractérisation « commerciale », qui peut atteindre plus de 150 euros/ha.
De plus, une caractérisation du sol n’a d’intérêt que si les zones homogènes sont de grande taille ; autrement, la modulation de dose risque d’être imprécise. En effet, la plupart des épandeurs centrifuges fonctionnent en double recouvrement. Si l’épandeur épand sur une largeur de 28 m avec un aller-retour, seuls les 28 m centraux recevront la bonne dose. Si la dose est différente entre l’aller et le retour, la dose réellement apportée sera intermédiaire.
Cette parcelle ne présentait donc pas une variabilité suffisante pour justifier une modulation des éléments P et K, malgré la grande diversité de précédents. La modulation de dose est plus intéressante dans les rotations où une culture exigeante est présente.
Caractériser la réserve utile pour moduler la densité de semis
Afin de moduler la densité de semis de la même parcelle, sa réserve utile en eau (encadré) a été caractérisée par résistivité, par conductivité et par un pédologue, à l’aide de prélèvements par tarière et de fosses pédologiques. À ces données s’ajoutent une carte de types de sol réalisée par l’ENSAIA en 1988, la connaissance de l’agriculteur sur l’efficacité du drainage dans sa parcelle, et la carte des textures de surface déduite des mesures infrarouge (figure 1).
Lors de la prospection, le pédologue a montré que le sol est de type brun lessivé sur argile calcaire, avec une texture de surface variant de l’argile limoneuse au limon argileux. Il a aussi déterminé les caractéristiques discriminantes de la parcelle : la profondeur d’apparition de l’argile de la Woëvre, la profondeur de l’horizon d’argile carbonatée, et la profondeur de l’horizon hydromorphe. En associant toutes ces informations aux analyses réalisées en laboratoire (granulométrie, mesure des humidités caractéristiques…), une carte de réserve utile a été construite, présentant des réserves de 110 à 156 mm (figure 1-6).
Cette carte permet d’envisager la modulation des intrants dont la réserve utile est le facteur limitant, comme la densité de semis. Les essais historiques réalisés sur la modulation des densités de semis sur céréale montrent un enjeu très limité. La modulation sera donc appliquée au maïs, pour lequel l’enjeu est un gain potentiel d’environ 2 q/ha. Malheureusement, les taupins et les attaques de sangliers ont eu raison de l’essai qui a dû être abandonné, et le gain de rendement effectif apporté par la modulation de la densité de semis n’a pas pu être mesuré.
Les coûts de caractérisation de la variabilité de la parcelle spatiale du sol sont importants pour des enjeux agronomiques parfois limités. Elle est à considérer pour la modulation des éléments P et K dans les rotations présentant des cultures à forte exigences (betterave et pomme de terre, notamment) afin d’espérer un retour sur investissement. La modulation des amendements basiques (chaulage) est certainement à considérer dans zones à pH acides de France. Cette dernière information ne peut cependant pas être acquise par mesures infrarouge, moins coûteuses que des analyses en laboratoire.
Comment a été déterminée la réserve utile du sol ?La carte de la réserve utile du sol d’une parcelle est délicate à produire ; un seul type de données ne suffit pas. Ici, six types de mesures ont contribué à sa constitution (figure 1).
Les trois voies de la mesure de résistivité montrent l’évolution des différentes zones de résistance du sol de la parcelle avec la profondeur. Notons que les zones rouges-noires (très résistantes) ne sont pas nécessairement superficielles, ni les bleues (peu résistantes) forcément profondes ; ainsi, une zone hydromorphe très humide est conductrice (bleue) alors que le sol est superficiel. Dans cette parcelle, les deux zones les plus résistantes sur 0-50 cm de profondeur (à l’est et à l’ouest) le sont également sur 0-100 cm de profondeur. Il en est de même pour la zone conductrice (bleue) au sud.
Concernant la carte de conductivité, une seule carte intégrant la profondeur du sol était disponible : elle montre un gradient de conductivité est–ouest, avec une zone peu conductrice à l’est de la parcelle.
La texture de surface est obtenue grâce aux mesures infrarouge : les teneurs en limon et en argile déterminées sur les 96 points d’échantillonnage de la parcelle sont transcrites en texture grâce au triangle des textures GEPPA.
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