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Modèles prédictifs en sélection variétale : des blés mieux adaptés au climat
Le réchauffement climatique se traduira vraisemblablement par des effets négatifs sur la production de céréales à paille du fait d’une augmentation de la fréquence et de l’intensité des stress abiotiques en fin de cycle (canicule, sècheresse…) et d’un développement accéléré des cultures pouvant conduire à une diminution de la durée d’élongation des tiges et du potentiel de rendement.
Il existe cependant des leviers pour s’adapter à ces changements. Ainsi, il est possible de modifier les dates de semis et d’utiliser des variétés présentant un cycle de développement adapté et/ou une tolérance accrue aux stress.
Afin de faciliter le développement de variétés plus résilientes, il apparait intéressant de développer des modèles statistiques basés sur des marqueurs génétiques permettant de prédire la précocité moyenne des lignées en cours de sélection. Cela donne la possibilité d’identifier les lignées d’intérêt très tôt et à moindre coût. Le couplage de cette approche avec des modèles écophysiologiques (intégrant les effets environnementaux) permet d’envisager des prédictions dans des contextes agroclimatiques particuliers, actuels ou futurs.
Le succès de ce type d’approche repose sur l’utilisation de modèles aux prédictions fiables et robustes. Cela requiert une évaluation de leurs capacités prédictives sur du matériel génétique et dans des environnements indépendants de ceux utilisés pour la calibration des modèles.
Des modèles calibrés puis évalués dans le cadre du projet GIEC
C’est dans ce but que le projet GIEC (« Génotypes issus d’idéotypes : sélection assistée par marqueurs et modèles du stade « épi à 1 cm » pour des blés tendres adaptés au changement climatique ») a débuté fin 2016. Financé par le Fond de Soutien à l’Obtention Végétale (FSOV) avec la collaboration d’Arvalis, du NIAB (National Institute of Agricultural Botany), du John Innes Center, de l‘Inrae (UMR-GDEC et UMR-GQE) et des entreprises de création variétale Agri-Obtentions, BASF, Florimond-Deprez, KWS Momont, Limagrain, Secobra, Syngenta et Unisigma, il s’est achevé au début de cette année. Il avait pour objectifs de proposer des idéotypes(3) de précocité adaptés à différentes régions en France et aux climats futurs, et d’évaluer l’effet de la durée d’élongation des tiges sur le rendement du blé et ses composantes.
Dans le cadre du projet, des modèles statistiques basés sur des marqueurs génétiques(2) de prédiction de la durée entre le semis et les stades « épi à 1 cm » et « épiaison » (en somme de degrés-jours), de la durée d’élongation des tiges (durée entre les stades « épi à 1 cm » et « épiaison ») et de la stabilité de ces caractères ont été calibrés à l’aide de données historiques générées dans le cadre des activités d’évaluation variétale de post-inscription et de projets de recherches d’Arvalis. Ce jeu de données de calibration incluait des mesures des stades « épi à 1 cm » et « épiaison » pour plus de 700 variétés inscrites au catalogue officiel entre 1969 et 2019 et testées dans plus de mille essais réalisés entre 1997 et 2016(1).
Une analyse de génétique d’association a identifié des marqueurs génétiques associés aux différents caractères étudiés. Puis différents modèles statistiques de prédiction des caractères ont été ajustés, notamment à l’aide des marqueurs précédemment identifiés.
Différents partenaires du projet (NIAB, sélectionneurs et Inrae-GQE) ont ensuite mis à disposition du matériel végétal sur lesquels ces modèles ont été utilisés afin de sélectionner des lignées contrastées pour les stades « épi à 1 cm » et « épiaison ». Ceci a conduit à sélectionner 13 à 18 lignées parmi chacune des neuf populations mises à disposition, afin de constituer un panel de 151 lignées au total (panel dit FSOV GIEC).
Ce panel a ensuite été testé dans un réseau d’essais en France et en Angleterre (neuf lieux en 2018 et onze en 2019). Les stades « épi à 1 cm » (encadré) et « épiaison » ont été mesurés pour chacune des lignées, la durée d’élongation des tiges a été calculée dans chaque essai, et des valeurs moyennes de ces trois caractères ont été calculées pour chaque lignée. La stabilité de ces caractères a été évaluée, quant à elle, par une méthode statistique.
Parallèlement, le profil génétique des lignées du panel FSOV GIEC a été obtenu par une méthode de génotypage donnant accès à des informations sur environ 200 000 marqueurs génétiques répartis sur l’ensemble du génome du blé. Ces profils génétiques et les modèles statistiques calibrés sur les données Arvalis ont permis de prédire, pour chaque lignée du panel, les différents caractères étudiés. Leurs valeurs observées et prédites ont ensuite été comparées (figure 1). Les résultats font ainsi apparaitre de bonnes capacités prédictives des modèles pour la durée entre le semis et les stades « épi à 1 cm » et « épiaison » ainsi que pour la durée d’élongation des tiges. Les modèles de prédiction de la stabilité de ces caractères se sont, en revanche, révélés inopérants sauf pour le stade « épiaison ».
Trouver un lien avec le rendement et ses composantes
Dans un second temps, les partenaires du projet se sont intéressés aux relations entre les dates des stades « épi à 1 cm » et « épiaison » et la durée d’élongation des tiges avec le rendement en grains et ses composantes.
Les résultats obtenus(1) mettent en évidence, quel que soit l’essai considéré, des relations positives de ces trois paramètres avec le nombre de grains par hectare : plus les lignées sont tardives et plus le nombre de grains par hectare est élevé ; ils montrent aussi des relations négatives avec le poids de mille grains : plus les lignées sont tardives, plus le poids de mille grains est faible.
Il est apparu que ces effets inverses se compensent dans certains essais, conduisant ainsi à une absence de relation avec le rendement en grains. Néanmoins, dans d’autres essais, ces effets semblent ne pas se compenser totalement, conduisant ainsi à des relations positives ou négatives selon l’essai ; par exemple, il existe une corrélation positive entre tardiveté et rendement en grains dans l’essai CAP19, et négative dans l’essai ENC19 - voir tableau 1 du complément web(1).
L’examen graphique de la relation entre date d’épiaison et rendement en grains a mis en évidence un optimum de date d’épiaison, variable selon les essais. Avant cet optimum, une épiaison tardive est associée à un rendement élevé tandis qu’après cet optimum, une épiaison tardive conduit à des rendements moindres. L’hypothèse émise pour expliquer cela est qu’avant cette date d’épiaison optimale propre à chaque essai, une épiaison tardive est associée à une augmentation du nombre de grains sans effets négatifs sur leur remplissage tandis qu’après cet optimum, les effets négatifs de la tardiveté du remplissage dépassent les effets positifs de la tardiveté sur le nombre de grains et se traduisent par une perte de rendement. Cette date optimale pourrait être liée à l’occurrence de stress abiotiques de fin de cycle tels que la canicule ou la sècheresse.
Définir les variétés idéalement adaptées à chaque contexte agroclimatique
Le troisième objectif de ce projet visait à proposer des idéotypes de précocité adaptés à différentes régions en France et pour des climats futurs. Pour cela, une approche couplant analyse climatique, modélisation écophysiologique et modèles statistiques basés sur des marqueurs a été déployée.
Une analyse des risques de gel et de canicule a été réalisée à l’aide de données climatiques historiques sur la période 1986-2015 pour les départements français où se concentre l’essentiel de la production de blé tendre. Les régions présentant des niveaux de risques similaires ont été regroupées (figure 2). Ainsi, trois groupes de régions contrastées ont pu être identifiés. Le groupe 1 correspond aux régions pour lesquelles les risques de gel et de canicule sont faibles. Le groupe 2 rassemble les régions caractérisées par un risque de canicule élevé et un risque de gel modéré. Enfin, le troisième groupe rassemble les régions caractérisées par un risque de gel élevé et de canicule modéré à élevé.
Dans un second temps, deux paramètres génétiques (qui traduisent les différences de précocité pour les stades « épi à 1 cm » et « épiaison » dans le modèle écophysiologique utilisé par Arvalis pour la prédiction des stades) ont été optimisés pour 408 variétés. Une analyse des données a ensuite abouti à l'identification des marqueurs génétiques associés aux variations de ces paramètres, et des modèles de prédiction basés sur des marqueurs ont été ajustés.
Les capacités prédictives de ces modèles ont été évaluées en comparant les dates des stades « épi à 1 cm » et « épiaison » prédites par les marqueurs génétiques et les dates observées dans les différents essais du projet FSOV GIEC. Ceci a fait apparaitre des capacités prédictives élevées pour la date du stade « épiaison » (la médiane des erreurs de prédiction était de 4,2 jours) ; la précision était plus modérée pour le stade « épi à 1 cm » (la médiane des erreurs de prédiction était de 8,5 jours).
Enfin, des simulations de la précocité ont été réalisées pour 1019 variétés représentant 965 combinaisons de paramètres basés sur des marqueurs pour 72 lieux de référence, trois dates de semis et trente années climatiques (6480 combinaisons de lieu × année × date de semis).
Pour chaque combinaison de lieu × année × date de semis, la probabilité d’éviter les périodes de gel et de canicule a été calculée pour chaque variété testée. Les idéotypes ont été définis comme étant les variétés maximisant la probabilité d’évitement de ces stress.
Les résultats (figure 3) montrent que l’enjeu d’adaptation de la précocité dans les régions du groupe 1 est relativement faible puisque l’ensemble des variétés testées montraient une probabilité élevée d’éviter des stress quelle que soit la date de semis. En revanche, dans les régions des groupes 2 et 3, l’enjeu d’optimiser le couple variété × date de semis semble important, car la probabilité d’éviter des stress est très variable selon les variétés et les dates de semis testées.
Ainsi, dans les régions appartenant au groupe 2 à risque modéré de gel, l’utilisation de variétés précoces semble avantageuse, particulièrement en semis tardif. Dans ces régions, il semble néanmoins possible de semer précocement mais, dans ce contexte particulier, le choix variétal est limité.
Dans les régions du groupe 3 caractérisées par un risque gel élevé (en moyenne), ces simulations montrent que la probabilité d’éviter les stress est très variable et nécessite d’optimiser le couple variété × date de semis. Dans ces régions, reculer la date de semis peut offrir une plus grande flexibilité dans le choix variétal à condition de préférer des variétés précoces à « épi à 1cm » et épiaison.
Toutefois, ces simulations ne tiennent compte que des risques de gel et de canicule, or d’autres stress peuvent être prépondérants selon les régions. De même, il n’a pas été tenu compte d’autres facteurs tels que le degré d’humidité du sol, qui peut limiter la possibilité de semer à certaines périodes. Ainsi, cette méthode pourra être affinée avec l’aide d’agronomes et d’écophysiologistes afin d’améliorer la prise en compte des facteurs limitants prépondérants. Elle pourra être déployée sur des séries climatiques futures afin de fournir des informations utiles aux sélectionneurs pour anticiper la précocité des variétés de demain.
(1) Retrouvez plus d’informations et de résultats sur ce projet en complément web sur http://arvalis.info/1xo.
(2) Marqueur génétique : c’est une séquence d'ADN variable selon les individus. Ces marqueurs sont utilisés pour caractériser la diversité génétique et identifier des corrélations entre les variations génétiques et les variations phénotypiques observées (par exemple, des tolérances différentes à une maladie).
(3) Idéotype : c’est un type génétique présentant des caractéristiques idéales pour un type d’environnement donné.
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