Implantation des cultures : la protection agroécologique appliquée
La gestion des ennemis des cultures pendant la phase d’implantation dépend de nombreux facteurs (figure 1). Les éléments de connaissance nécessaires à la compréhension des interactions en jeu sont en cours d’acquisition par différentes équipes de recherche. Par ailleurs, les conditions d’implantation vont évoluer sous l’effet du changement climatique. Jusqu’à présent, les travaux de recherche étaient, et restent encore souvent, segmentés par disciplines scientifiques. Certaines études privilégient dorénavant une approche plus globale, entre autres grâce aux avancées de la modélisation.
Trois pistes de recherche se dégagent pour développer des stratégies de protection agroécologique des cultures efficaces pendant la phase d’implantation :
I) diagnostiquer les régulations biologiques naturelles et le niveau des risques biotiques ;
II) améliorer les caractéristiques des semences et des plantules ;
III) mieux connaître les effets des pratiques agricoles sur les populations de bioagresseurs et les dégâts qu’ils engendrent.
Afin d’analyser les risques biotiques, il est nécessaire de développer des indicateurs à différentes échelles (parcelle, exploitation, paysage proche). Les progrès de la biologie moléculaire (analyse de l’ADN) sont un atout précieux pour appréhender l’écologie du sol.
L’intégration aux semences de solutions de biocontrôle (fongicides, insecticides, répulsifs d’origine naturelle) et de biostimulation semble une piste plus prometteuse que celle du traitement du sol par inoculation, du moins en grandes cultures, du fait d’une action au plus près des semences et des futures plantules. Par ailleurs, l’amélioration génétique du matériel végétal (résistances aux principaux stress biotiques et abiotiques survenant entre le semis et la levée) sera pleinement valorisée par une gestion reposant sur une vision globale du fonctionnement des agroécosystèmes. Au-delà de ces travaux de recherche et des réponses complémentaires attendues, une adaptation des pratiques est déjà possible sur la base des connaissances et des expériences acquises. Quelques pistes se dégagent au regard des déterminants influençant la germination, puis la levée des plantules (figure 2).
Les solutions doivent être adaptées à chaque situation, de manière cohérente, à l’échelle de l’itinéraire technique, du système de culture, de l’exploitation, voire de la petite région agricole pour les ennemis des cultures mobiles. En premier lieu, il apparaît essentiel de maintenir ou de restaurer la santé du sol, dans ses trois composantes chimique, physique et biologique.
Préserver ou restaurer la santé du sol
La réduction, voire la non-utilisation, de produits phytosanitaires de synthèse est le premier levier à actionner de manière à ne pas perturber les dynamiques écologiques du sol. Des premiers résultats expérimentaux (site du réseau « Rés0Pest » à Bretenière, en Côte d’Or, sans utilisation de produits phytosanitaires depuis 2012) mettent en évidence que des semences non traitées peuvent lever à des taux satisfaisants, dans des systèmes exempts de toute utilisation de pesticides (Cellier et al., 2018). La tendance globale observée, sur la période considérée, est même à une légère augmentation des taux de levée. D’autres actions physico-chimiques sont à considérer, comme la gestion du pH du sol qui module le pouvoir pathogène des micro-organismes ou la matière organique (humus, débris végétaux). Cette dernière joue sur les propriétés des sols et sur les activités des organismes vivants.
Les apports de matière organique stimulent les activités microbiennes qui participent à la réalisation de cycles biogéochimiques essentiels, comme ceux de l’azote et du phosphore. L’apport de matière organique est un levier d’action important et multiforme mais encore mal connu. Parmi les actions sur la santé du sol, on peut également citer la technique de biofumigation (ou biodésinfection) qui utilise des composés organiques volatils naturellement produits par certaines espèces de plantes, comme mécanisme de défense contre différents ennemis des cultures (effets allélopathiques). L’exemple le mieux connu est celui de l’enfouissement de moutarde broyée dans les premiers centimètres du sol.
La manière dont le sol est géré (travaillé ou non), avec ou sans couvert pendant l’interculture, est une autre voie à considérer pour préserver ou augmenter la biodiversité du sol. Dans les systèmes en agriculture de conservation non aboutis (c’est-à-dire avant la mise en place d’équilibres écologiques au niveau du sol), la réduction de ce travail et le maintien de résidus en surface peuvent favoriser certains agents pathogènes (comme les Fusarium pathogènes des céréales) ou certains ravageurs (comme les limaces).
En système de culture avec labour, plusieurs ravageurs du sol, à l’instar des limaces et des larves de taupins ou de hannetons, peuvent être partiellement contrôlés par un travail du sol avec retournement, en particulier s’il est positionné au milieu d’une période chaude et sèche de plusieurs jours (assèchement du milieu de vie, lésions physiques sur ces invertébrés). De même, l’enfouissement des résidus par le travail du sol favorise leur décomposition et limite ainsi la production d’inoculum primaire de différents agents pathogènes.
En savoir plusPour plus de précision sur l’application des principes agroécologiques à la protection des cultures, se référer à l’ouvrage « Protection agroécologique des cultures », disponible sur www.quae.com. Consulter également chez le même éditeur « Réussir l’implantation des cultures - Enjeux agroécologiques, itinéraires techniques ».
Utiliser les ressources biologiques du sol
En conditions contrôlées (au laboratoire), l’inoculation dans le sol de micro-organismes sélectionnés, réduit significativement la densité et l’activité infectieuse de champignons et d’oomycètes phytopathogènes. Néanmoins, le catalogue d’agents de lutte biologique disponibles est limité et, en grandes cultures, cette lutte biologique par inoculation reste difficilement envisageable : d’autres stratégies, basées sur la conservation et la gestion des communautés indigènes sont à promouvoir. Plus la biodiversité des parcelles cultivées est grande, plus les risques de voir se développer des foyers infectieux sont faibles lors de l’implantation des cultures. Des sols hébergeant une diversité microbienne active - grâce à la richesse des exsudats racinaires - sont peu réceptifs au développement d’une espèce pathogène. La biodiversité végétale planifiée (via une diversification de la succession culturale et l’implantation de cultures associées notamment) agit également sur la diversité de la microfaune et des vertébrés. Un équilibre doit être trouvé pour que la diversité animale permette le contrôle des ravageurs. De même, il est préférable que l’activité des granivores se concentre sur les graines d’adventices, accessibles en surface et davantage présentes en non-travail du sol, plutôt que sur les semences de plantes cultivées.
« En grandes cultures, les pratiques agissant sur la conservation et la gestion des communautés de micro-organismes indigènes sont à promouvoir. »
Utiliser des semences et des plantules « améliorées »
Du côté des cultures, il est important, avant tout, d’utiliser des semences exemptes de tout agent pathogène. Les principales maladies des céréales à paille peuvent se transmettre par les semences : la septoriose et la fusariose, le charbon nu du blé ou de l’orge, le charbon couvert de l’orge, la carie, l’helminthosporiose de l’orge. Actuellement, la protection des semences repose sur des techniques d’enrobage utilisant des fongicides ou des insecticides de synthèse. Au fur et à mesure de l’avancée des connaissances sur le microbiote des semences et les communautés microbiennes du sol, les techniques de biocontrôle ou de biostimulation via l’enrobage des semences (extraits d’algues, ferments lactiques, hormones végétales, microorganismes endophytes…) devraient se développer. En agriculture biologique, deux traitements de semences sont autorisés pour maîtriser les contaminations fongiques. Le premier (Copseed) met en œuvre un fongicide à base de sulfate de cuivre tribasique ; le second (Cerall), la bactérie Pseudomonas chlororaphis.
Un autre levier efficace à considérer est la limitation de la durée d’exposition des semences et des plantules à leurs ennemis en raccourcissant le temps écoulé entre le semis et la levée. La technique de prégermination fait partie des solutions à utiliser. À terme, les sélectionneurs pourraient proposer des variétés dont la vitesse d’élongation des hypocotyles ou des épicotyles(1), et la force d’émergence, seraient plus élevées. À plus long terme, on pourrait imaginer des stratégies de sélection variétale visant à obtenir des semences présentant des caractères physiologiques de résistance ou de tolérance aux attaques de bioagresseurs, avant la germination (par une modification de l’enveloppe des semences, par exemple) et après la germination (par un durcissement des tissus ou des réactions d’hypersensibilité, par exemple).
Gérer aussi le biotope aérien
De manière complémentaire à la santé du sol, à la protection des semences et à la stratégie d’évitement, l’attention doit se porter sur le biotope aérien. Compte tenu de la capacité de dispersion de certains organismes, cet axe de la protection des cultures doit être envisagé non seulement à l’échelle de la parcelle mais aussi à celle du paysage. Là aussi, il convient de rechercher l’augmentation de la biodiversité, dans le temps et dans l’espace, grâce aux cultures (mélanges variétaux, cultures associées, cultures intermédiaires multiservices, agroforesterie), aux plantes de services, ou encore, à l’aménagement de structures paysagères (bandes enherbées, bandes fleuries, haies, îlots forestiers). Cette biodiversité végétale peut fournir des refuges aux ennemis naturels des ravageurs. Par exemple, la proportion de prairies temporaires dans un rayon d’un kilomètre autour d’une parcelle a plus d’influence sur le taux de prédation des graines d’adventices que les pratiques agricoles appliquées sur la parcelle elle-même (Trichard et al., 2013). On peut aussi évoquer les systèmes de protection physiques (clôtures d’exclusion, effaroucheurs, pièges) pour éloigner des jeunes plantules les différents oiseaux et autres ravageurs des cultures.
Quelle que soit la problématique à résoudre, il faut chercher à maximiser les services apportés par le système de culture choisi et combiner des leviers agroécologiques (encadré).
Utilisation de la biodiversité : le concept de PAEC
La Protection AgroEcologique des Cultures (PAEC) repose sur un raisonnement des pratiques agricoles visant la durabilité des agroécosystèmes par la prise en compte de leur fonctionnement écologique. La santé du sol et la biodiversité sont les deux axes directeurs de la PAEC. Ils induisent un fonctionnement équilibré des peuplements cultivés et leur résilience vis-à-vis des stress biotiques (réduction des risques et de l’intensité des infestations, des infections et des invasions de bioagresseurs). La mise en œuvre doit être adaptée à chaque situation de production, selon une stratégie phytosanitaire générique, ordonnée et immuable : respect des mesures règlementaires, priorité donnée au mesures préventives non chimiques, observations au champ, mesures curatives si nécessaire, non chimiques de préférence.
(1) L’hypocotyle est la partie de la tige d’une plantule située en dessous des cotylédons ; la partie située au-dessus s’appelle l’épicotyle.
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