Biocontrôle en blé tendre : des micro-organismes contre les maladies du blé
À ce jour, l’emploi de fongicides d’origine chimique demeure la stratégie la plus sûre pour obtenir un état sanitaire de la récolte satisfaisant. Il n’existe pas de variété de blé 100 % résistante aux maladies. Des pertes de récolte de 10 à 16 % sont ainsi constatées sur blé du fait de la fusariose des épis. Néanmoins, dans l’optique d’une réduction de l’usage des produits phytosanitaires, la recherche de solutions alternatives reposant sur des outils « non chimiques » devient prépondérante, notamment du fait des évolutions réglementaires.
Dans la nature, les plantes répondent aux stress biotiques (maladies…) et abiotiques (climat…) en déclenchant des réponses immunitaires visant à limiter la progression des pathogènes ou les dégâts des fluctuations météorologiques.
Une plante est affectée lorsque le pathogène ou le stress physique se développe plus rapidement que son immunité n’est déclenchée. Il est donc logique d’estimer que, si l’immunité de la plante est activée avant que la maladie ou le stress abiotique ne se présente, la plante pourra mieux assurer sa protection.
La stimulation préventive des réactions de défense est opérée de deux manières différentes, s’inscrivant pleinement dans le contexte actuel de développement du biocontrôle, à l’échelle nationale comme internationale. La première consiste à pulvériser des éliciteurs, molécules stimulatrices de l’immunité végétale, sur différents organes de la plante(1). La seconde vise à faire coloniser la plante par des micro-organismes bénéfiques (lutte biologique), en surface ou dans les organes de la plante. Ces deux technologies se traduisent in fine par un certain niveau de tolérance/résistance de la plante cible, en particulier face aux stress biotiques.
Fusariose sur épis en conditions tempérées
Deux variétés de blé tendre, Apache et Caphorne, ont été cultivées sur des parcelles expérimentales non traitées. Des organes floraux ont été prélevés à différents stades du cycle de reproduction de la plante pour isoler des endophytes (champignons filamenteux, levures et bactéries) potentiellement utilisables en lutte biologique. Les micro-organismes isolés ont été conservés dans du glycérol à -80 °C (Comby et al., 2017).
Les tests d’antagonisme(2) ont été effectués in vitro avec la souche Fg 1010 de Fusarium graminearum et la souche FC 37 de F. culmorum (Comby et al., 2017).
Les souches des micro-organismes les plus efficaces ont été sélectionnées pour vérifier leur potentiel directement sur les épis : des concentrations ajustées de ces micro-organismes ont été co-cultivées avec des épis détachés avant d’être inoculées par les souches de pathogènes (Comby et al., 2017). Ainsi, 758 souches de micro-organismes ont été isolées. Parmi elles, 86 ont été sélectionnées pour être testées vis-à-vis de leur pouvoir antifongique.
Ces souches se répartissent en 59 bactéries, 21 champignons filamenteux et 6 levures.
Les taux d’inhibition des souches pathogènes sont variables, s’étalant de 0 à 51 % pour la souche Fg1010 et de 0 à 53 % pour la souche Fc37 : 22 souches se sont révélées particulièrement efficaces.
L’effet protecteur des souches pré-sélectionnées in vitro a été testé sur des épis détachés.
Les données obtenues en antibiose directe ont pu être confirmées sur épis. En particulier, les espèces Phoma glomerata, Aureobasidium proteae et Sarocladium kiliense, non encore connues en tant qu’agent de lutte biologique, ont démontré le potentiel le plus intéressant.
Septoriose du blé en conditions arides
Une démarche du même type a été adoptée dans des pays à climat particulièrement chaud et sec (Maroc et Tunisie) dans le cadre du projet international BacPlant(3). Une variété de blé dur (Aquilal) et une de blé tendre (Karim), adaptées au climat local, ont été choisies. Les plantes servant aux essais ont été cultivées au champ dans les conditions locales de température et de sécheresse.
Des micro-organismes (bactéries, champignons) ont été isolés et caractérisés à partir d’organes de blé dur, de blé tendre, de vigne et d’oignon cultivés à proximité des parcelles. L’inoculum était constitué de graines d’avoine colonisées avec le vecteur de la septoriose, le champignon Zymoseptoria tritici. Il a été appliqué sur le sol dans les parcelles d’essai à 300 g/m2 au stade « 4 feuilles ».
Au global, 120 isolats ont été caractérisés et utilisés pour des tests d’antagonisme (mêmes modalités que celles des tests sur la fusariose). Selon les souches, les niveaux d’inhibition ont pu atteindre 65 % après 72 heures et 71 % après 96 heures de co-inoculation en boîte de Pétri. Pour certaines souches de Trichoderma, le potentiel d’inhibition a atteint 92 %.
In vivo, les isolats induisent des taux de protection variables selon que le traitement est appliqué de manière préventive ou curative. Les meilleurs isolats limitent l’infection à 28 % du témoin non traité en utilisation préventive et à 56 % pour une utilisation curative, dans les conditions locales de chaleur et d’hygrométrie.
Des travaux à consolider
L’utilisation de micro-organismes endophytes antagonistes des pathogènes apparaît donc comme une approche prometteuse. Un travail demeure nécessaire pour consolider les connaissances sur les souches d’agents de biocontrôle et leur mode de fonctionnement, ainsi que sur les méthodes d’application pour une efficacité optimale.
Le biocontrôle constitue un réel enjeu pour le développement d’une agriculture durable, en vue de limiter l’utilisation de pesticides traditionnels. De plus, ces travaux ont mis en évidence que certaines bactéries stimulent globalement le métabolisme des plantes, permettant notamment une meilleure adaptation de la plante vis-à-vis de stress abiotiques comme la chaleur et la sécheresse, conséquences directes du réchauffement climatique.
(1) Voir Perspectives Agricoles n° 420, mars 2015, p. 60, “Des stimulateurs de défense à l’essai”.
(2) Comby M, Gacoin M, Robineau M, Rabenoelina F, Ptas S, Duponta J, Profizi C, Baillieul F (2017). Screening of wheat endophytes as biological control agents against Fusarium head blight using two different in vitro tests. Microbiological Research 202 : 11–20.
(3) Projet ANR Arimnet, porté par M. Cédric Jacquard (Université de Reims Champagne Ardenne), regroupant deux équipes universitaires françaises (Reims et Calais), Acolyance, l’Inra de Tunisie et l’Inra de Rabat (Maroc).
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